Née en 1981 en Somalie, Nadifa Mohamed a étudié l'Histoire et les Sciences politiques à Oxford. Sélectionnée pour le Orange Prize pour son premier roman « Black Mamba Boy » (éditions Phébus) et finaliste du Guardian First Book Award et du John Llewellyn Rhys Prize, elle figure sur la liste des 20 meilleurs jeunes romanciers britanniques dressée par la revue littéraire « Granta ». Nadifa Mohamed vit aujourd'hui au Royaume-Uni. Elle revient sur ces trois destins de femmes somaliennes plus vraies que nature dans son roman « Le Verger des âmes perdues ». |
Il paraît que votre roman est en partie autobiographique. Est-ce que ces trois destins de femmes sont des histoires que l'on vous a racontées ou ce sont des femmes que vous connaissiez?
Comme pour mon premier roman, mes personnages sont venus de la même façon, par des questions que j'ai posées à ma famille et les expériences vécues de ma grand-mère pendant la guerre. On l'avait laissée clouée au lit à la suite d'un accident de voiture, et tout le monde s'était enfui pendant le bombardement.
Peut-on dire que votre roman est un roman féministe relatant ce qui s'est passé en Somalie en 1987?
Le livre traite des femmes et de leur relation au pouvoir. Cela peut être vu aussi comme une critique de ce qui s'est passé à une époque et à un endroit particulier, quand les femmes ont acquis de nouveaux droits et qu'on leur en a pris d'autres. J'ai essayé de m'éloigner des réponses simplistes et toutes faites sur ce à quoi la vie devait ressembler pour mes personnages. Je pense que dans notre vie, nous saisissons toutes les opportunités offertes, chacune à notre manière.
Trois femmes seules, célibataire, veuve, ou orpheline. Toutes trois autonomes financièrement, même la petite fille de 10 ans, ont des idéaux forts: l'honnêteté, la foi en la nation, dans le président et dans la dignité. Sans peur, elles bravent le pouvoir pour leurs libertés. Comme vous?
J'aimerais penser ainsi! Mais je n'ai jamais eu à affronter le niveau d'oppression et de risque que Kawsar, Filsan et Deqo ont vécu. Beaucoup de ces combats ont été menés, selon moi, par des hommes et des femmes qui ont changé la société en mieux. Je pense que c'est ce qui est intéressant dans ces trois personnages: ils sont assez semblables dans leur affirmation mais leurs idéaux sont loin derrière. Quant à Deqo, je ne pense pas qu'elle ait des idéaux très clairs. Elle a le sens de ce qui est juste et de ce qui est mal, quelque chose que les enfants ont instinctivement.
Ces trois femmes sont actrices de leur vie et témoins de l'histoire de la Somalie dans les années 80. Vous vivez au Royaume-Uni, vous avez voyagé. Est-ce que ce livre est une façon d'exprimer vos idées sur votre pays natal, sur le plan économique, politique?
Non, j'étais plus intéressée par mes personnages et par leur environnement. J'ai fait beaucoup de recherches mais quand le livre a progressé, j'ai passé plus de temps dans la tête de mes personnages que sur les événements extérieurs et le contexte politique de chaos. Cela m'a ouvert les yeux et j'ai compris à quel point la vie était difficile à Hargeisa durant ces quatre années où j'y ai vécu enfant. Ce livre m'a permis de retourner dans ce monde que j'avais connu.
« Le Verger des âmes perdues », c'est le verger que Kawsar a créé de ses mains avec soin et où elle a enterré ses bébés. Mais le verger, c'est aussi la Somalie et Hargeisa avec ses très belles maisons et tous ces pauvres gens qui sont restés tandis que les plus prospères sont partis avant la guerre civile...
Oui. J'ai visité ce qui restait du verger de ma grand-mère et il n'y avait plus que des graines, des détritus, des trucs en métal, quelques buissons et des arbres qu'elle avait plantés. C'était très triste de voir tout ce dur labeur et tous ces soins qu'elle avait apportés, réduits à néant. Le verger est devenu une métaphore de tout ce que j'ai perdu dans la destruction et la futilité de la guerre.
Vous relatez un événement à propos de Kawsar et de l'excision, vue comme un privilège et un passage à l'âge « adulte » pour les jeunes filles, ce, malgré tous les risques de santé. Est-ce encore pratiqué?
Je n'ai pas envie de répondre à cette question sur l'excision, on en a trop parlé déjà...
Bien que Deqo n'ait rien, elle est maligne, vive, et elle réussit à survivre et à faire son trou dans le chaos de la révolution. Elle est une merveilleuse leçon de joie de vivre et de résilience...
Oui, j'adore Deqo. Elle est endurante et courageuse et n'a pas perdu le capital de gentillesse avec lequel, j'espère, nous venons tous au monde.
A travers de cette histoire, on peut sentir votre amour pour votre pays natal. Allez-vous régulièrement en Somalie?
Je vais là-bas tous les deux ans, mais j'espère y aller plus souvent car je commence à mettre sur pied une organisation pour venir en aide aux enfants des rues d'Hargeisa. J'ai écrit à propos des enfants de la rue dans mes deux romans. J'ai dû m'asseoir et réfléchir pour me mettre à leur place. Aussi j'espère faire quelque chose de plus proactif à présent. Je voudrais les aider, rendre leur vie un peu plus facile.
Quelle est la situation politique actuellement? Est-ce que la Somalie est autonome sur un plan économique?
Je suis du Somaliland. C'est un pays indépendant et très stable. Il y a un grand salon littéraire chaque été et si le pays est pauvre il se suffit économiquement. Le gouvernement n'a pas eu besoin d'aller jusqu'à demander des prêts à des pays étrangers et des aides en devenant dépendant d'organisations internationales.
Propos recueillis
par Pascale Athuil
Nadifa Mahame. Le verger des âmes perdues. Traduit de l'anglais par Françoise Pertat. Paris: Editions J.C. Lattes, 2015. 331 pages.