"Le destin d'Aminata" c'est le titre du deuxième roman de Florence Lina Mouissou, d'origine congolaise, paru aux éditions l'Harmattan. L'auteure, qui vit en France depuis plusieurs années, aborde dans cette œuvre l'épineux problème de la polygamie, mais aussi celui du mariage forcé dans un contexte français. Aminata, l'héroïne, partira de Dakar pour rejoindre son mari, Abdoulaye, qui vit déjà en France avec une épouse. Dans ce foyer à trois, le lecteur découvrira les tensions, les rancœurs, la jalousie, ainsi que quelques fragments d'un amour au goût étrange. Florence s'est confiée à AMINA. |
Vous abordez le thème du mariage forcé mais un contexte français. Pourquoi un tel choix ?
Dans mon pays, certaines familles arrangent les mariages mais ne forcent pas les enfants à se marier. C'est pourquoi j'ai toujours été choquée de remarquer que dans certains pays du Maghreb et d'Afrique, les jeunes filles étaient forcées de se marier. Dans la plupart des cas, celles-ci vivent un véritable cauchemar au début de leur mariage. Puis elles finissent par s'habituer. C'est un thème qui m'a particulièrement intéressée. Et j'ai choisi la France comme cadre de mon histoire parce que l'univers m'a paru beaucoup plus propice pour une seconde chance après un échec sentimental. Et puis le mariage forcé d'Aminata, mon héroïne, est un peu différent des autres.
Justement Aminata est née en France mais a été forcée - avec ses frères, ses sœurs et sa mère - de vivre à Dakar où son père est subitement mort alors que toute la famille y passait des vacances. Elle va vivre comme les autres filles issues de familles pauvres. Elle va s'occuper de ses frères et de ses sœurs en faisant des petits boulots. Mais, en même temps, elle voudrait revenir en France. Et ce mariage forcé avec Abdoulaye semble être, pour elle, une bouée de sauvetage ?
C'est tout à fait ça ! Aminata a toujours rêvé, secrètement, de retourner dans son pays natal. Elle est consciente qu'en étant pauvre, seul un mariage forcé peut lui garantir le retour vers le pays de ses rêves. Et ce mariage avec Abdoulaye est une aubaine pour elle, même si elle ressent une certaine appréhension en pensant aux moments intimes qu'elle va passer avec cet homme qu'elle ne connaît pas. Mais elle pense tenir le coup. L'existence de sa rivale, Fatou, lui fait moins peur.
Finalement une fois en France, son mariage se révèle un véritable enfer ?
Elle va se rendre compte de son erreur. Elle s'en voudra de s'être engagée dans cette aventure en sous-estimant certains paramètres, notamment l'ambiance d'une vie à trois dans un foyer. Pour une fille issue d'une famille monogame, son quotidien va être un véritable enfer. Elle va se rendre compte que cette vie intime avec Abdoulaye qu'elle redoutait tant en Afrique n'a rien à voir avec le cauchemar que sa rivale lui fait subir.
Ce qui est paradoxal, c'est qu'elle finira par aimer son mari tout en détestant sa rivale ?
Je crois que l'explication découle d'une logique toute simple : son mari vient dans sa chambre, lui fait des câlins, lui donne des cadeaux, jour après jour. C'est un peu normal qu'elle finisse par tomber amoureuse.
L'habitude peut donc favoriser l'amour ?
Je trouve! Mais avec sa rivale ça se passe très mal. Celle-ci ne la respecte pas. Elle l'insulte à tout bout de champ. C'est normal qu'elle la déteste.
Mais le problème avec Aminata c'est qu'elle ne conçoit pas...
En effet, elle ne parvient pas tout de suite à donner un enfant à Abdoulaye. Mais ce n'est pas forcement de la stérilité. Car, de nos jours, ne pas mettre d'enfants au monde ne relève plus de la fatalité. La médecine a fait beaucoup de progrès dans ce domaine. C'est plus un problème d'impatience de la part d'Abdoulaye.
Aidée par sa cousine, Aminata finira par fuir son foyer. Mais cette libération se transformera en un autre enfer, car elle va se livrer à une vie de débauche.
La situation d'Aminata est comparable à celle d'un chien en Afrique qui est tenu en laisse toute sa vie. Dès qu'on le relâche, il va errer dans toute la ville comme un fou. C'est ce que ressent Aminata. Lorsqu'elle réussit à quitter Abdoulaye, elle est tellement heureuse de retrouver sa liberté qu'elle ne se maîtrise plus. En chaque amant, elle recherche le grand amour, l'homme dont elle a toujours rêvé lorsqu'elle était petite. Et chaque fois qu'elle découvre que ce n'est pas le bon, elle repart en chasse.
Qu'est-ce qui fait qu'elle ne s'intéresse qu'aux Blancs dans cette quête perpétuelle de l'amour parfait.
En fait Aminata a toujours aimé les Blancs. Tout a commencé quand elle était petite à Dakar. Elle regardait souvent les feuilletons américains à l'eau de rose. Elle était très romantique dans l'âme. Elle remarquait la façon dont les Blancs chérissaient et câlinaient leur partenaire dans les films. Cette tendresse l'a touchée énormément. Et puis en observant longuement ses proches qui vivaient en couple, elle avait remarqué qu'aucun homme ne paraissait tendre envers sa femme. C'est à partir de ce moment-là qu'elle s'est dit que seul le Blanc pouvait être tendre vis-à-vis d'une femme.
Après la fuite d'Aminata, Abdoulaye disparaît du roman. On ne le retrouvera plus nulle part ?
La disparition d'Abdoulaye après la fuite d'Aminata relève d'un choix personnel. Le romancier est comme un metteur en scène qui distribue des rôles aux comédiens. Une fois que son rôle est fini, le comédien doit disparaître de la scène. C'est exactement pareil dans un roman. Le rôle d'Abdoulaye s'est arrêté une fois qu'Aminata est sortie de sa vie.
Quelle est la leçon à retenir de ce roman ?
J'ai voulu dire à mes sœurs africaines, en particulier, qu'il est important pour une femme d'être indépendante financièrement. Seule cette indépendance peut nous permettre d'éviter certaines erreurs dans la vie. L'indépendance financière peut rendre une femme digne et respectable. Que nos sœurs africaines entreprennent de plus en plus. Car il y a tant de choses à faire dans nos pays d'Afrique. Il faut bien réfléchir. Qui cherche finit toujours par trouver.
Propos recueillis
par François Bikindou