Valérie Moukaya, d'origine gabonaise, vit en France depuis l'âge de douze ans. En 1992, elle se retrouve contrainte d'élever seule ses quatre enfants suite à la disparition de son concubin, parti au Congo Brazzaville pour enterrer sa mère. Elle n'a plus de nouvelles de lui : Est-il mort ? toujours en vie ? Quoi qu'il en soit, la jeune femme, alors assistante de direction chez EMi et bénévole dans plusieurs associations, s'épuise à la tâche jusqu'au jour où, à bout de force, son médecin traitant lui propose de placer temporairement ses enfants en famille d'accueil et de l'envoyer en maison de repos. Commence alors une longue descente aux enfers qu'elle raconte dans un livre sorti aux éditions Luthenay, "Valérie Moukaya : une exécution ordinaire." Rencontre. |
Vous faites donc placer vos enfants avec l'idée qu'une fois en meilleure santé, vous les récupérerez ?
Tout à fait, mais très vite je me rends compte que ça va être difficile. Aussi, je contacte Ségolène Royal alors ministre déléguée à la famille qui me dirige vers Claire Brisset, défenseur des enfants. Cette dernière me prend sous son aile. Entre temps, je reçois une convocation informelle du tribunal de Bobigny à laquelle je me rends. Sur place, le président du tribunal, assisté du responsable de l'Aide sociale à l'enfance, me demande de signer un document où je renonce à mon autorité parentale. Je refuse. Il se fâche et essaie de me faire peur. Je lui dis alors que Mmes Royal et Brisset sont au courant de l'affaire. Il change complètement de comportement. Je repars soulagée que cette affaire se termine.
Vous reprenez le travail ?
Oui, depuis je travaille pour la Seine-Saint-Denis comme référent linguistique. Je suis chargée d'encadrer les jeunes qui sortent du système scolaire sans diplôme. Mon rôle consiste à essayer de les réinsérer dans la société par l'apprentissage linguistique. Je travaille alors avec le conseil général, l'ANPE locale... C'est une expérience formidable. Je suis en CDD, on me fait miroiter un CDI mais finalement je me retrouve au chômage. Et là les problèmes commencent.
Comment ça ?
Je suis de nouveau convoquée par le président du tribunal de Bobigny, cette fois-ci pour un problème de surendettement. Soucieuse de l'éducation de mes enfants, je les ai tous inscrits dans des écoles privées, j'ai pris de nombreux crédits et je n'arrive pas à m'en sortir. La Banque de France a transmis mon dossier au président du tribunal de Bobigny. Je suis en situation de demandeur, je sais qu'il ne m'aidera pas. Alors que je m'attends à être redressée personnellement, je reçois une convocation du juge pour enfants. Je découvre alors que mon fils cadet (le seul enfant mineur qu'il me reste) souffre de problèmes psychologiques et que moi-même je suis censée être atteinte de troubles psychiatriques très graves. On veut m'enlever mon enfant. Je tombe des nues. Je repasse mes cours de droit dans ma tête et je déclare au juge qu'on ne peut me le retirer sur la base d'un signalement et de dénonciations calomnieuses. Je demande à rencontrer le service qui vérifie que le placement de chaque enfant est nécessaire. On me refuse ce droit.
Comment expliquez-vous ce signalement ?
Au départ, je ne comprends rien. Par la suite, je me suis demandée si l'incident que mon fils avait vécu au collège en février 2007 n'avait pas été l'élément déclencheur. Mon fils était parti un mercredi matin au collège suivre ses cours. Je l'attendais l'après-midi et il n'est pas rentré. Inquiète, je téléphone au collège qui me dit qu'il est sorti avec des amis. Vers 17 heures ne tenant plus en place, je me décide à signaler sa disparition à la brigade des mineurs. Sur ce, il rentre en pleurant et m'explique qu'un de ses profs l'a retenu car il avait besoin de quelqu'un pour son équipe de badminton. Il lui a mis la pression. Il m'a dit qu'il avait voulu me prévenir mais qu'on ne l'avait pas autorisé à le faire. Je n'ai jamais su ce qui s'est vraiment passé. Même le lendemain quand je suis allée avec mon fils au collège pour obtenir une explication, ils m'ont dit qu'ils l'avaient vu fuguer. Comment pouvaient-ils en être sûrs alors qu'il est sorti soi-disant à la même heure que les autres ? La seule chose que je sais, c'est qu'il y a eu un signalement.
Un peu plus tard la police débarque chez vous ?
Oui. Nous sommes le 13 mars 2007, je suis dans le salon, je regarde les infos à la télé. Mon dernier fils lit un bouquin. Soudain on entend des bruits de talkie-walkie dans le couloir. Quelques minutes plus tard, la police sonne, puis cogne très fort. Je n'ouvre pas. Je suis effrayée à l'idée qu'ils viennent me prendre mon enfant. J'ouvre ma fenêtre pour voir ce qui se passe. Ma tour est quadrillée par la maréchaussée. J'essaie de négocier, j'apprends qu'ils sont envoyés par l'Aide sociale parce que je veux me suicider et tuer mon enfant. Je n'y comprends plus rien. Quand j'ouvre la porte, une horde de policiers s'empare de moi et cherche à me menotter. Des voisins essaient de me défendre. Je suis embarquée dans une ambulance, mon fils dans une autre. Je suis présentée à un psychiatre chargé de vérifier mon état mental. Il m'explique qu'il doit suivre la procédure et que je vais être dirigée vers un hôpital psychiatrique d'où je devrais vite sortir.
Et votre fils ?
Je l'ai appris plus tard. Il a été transféré à la brigade des mineurs de Stains, puis transféré dans une famille d'accueil à Juilly en Seine-et-Marne. Du jour au lendemain, il s'est retrouvé loin de ses repères habituels et obligé de changer d'école. Il n'avait même pas ses médicaments (il est asthmatique) ni de linge pour se changer.
Et vous combien de temps êtes-vous restée en hôpital psychiatrique ?
Trois semaines. Au bout de dix jours, le psychiatre me trouvant tout à fait normale, m'a dit qu'il allait me faire sortir, mais il m'a fallu encore dix jours supplémentaires et plusieurs autres rendez-vous avec des psychiatres pour qu'on accepte que je quitte l'hôpital. De l'hôpital, je suis allée en maison de repos où j'ai tenu douze jours. J'étais inquiète pour mon plus jeune fils et son aîné qui, même s'il était majeur, devait se débrouiller seul.
Comment avez-vous supporté tout cela ?
J'ai toujours beaucoup aidé les gens et à l'hôpital, mes voisins me l'ont bien rendu. J'ai eu de nombreuses visites et mon voisinage s'est occupé de mon fils de 19 ans.
C'est alors que vous avez entrepris des démarches pour récupérer votre fils ?
Oui, je voulais déjà pouvoir le voir car il était sans nouvelles de sa famille depuis trop longtemps. J'ai contacté des associations d'enfants placés. J'ai découvert que la folie était l'argument dont les services sociaux se servaient quand ils n'avaient rien à vous reprocher et que de nombreuses victimes étaient issues de l'immigration. J'étais une femme seule, c'était aussi plus facile.
Votre fils faisait l'objet d'un placement ?
Oui. Lorsque j'étais à l'hôpital, j'ai appris qu'une décision de placement avait été ordonnée à partir du 16 mars, soit trois jours après notre «enlèvement ». Ce placement provisoire était prévu jusqu'en septembre. Pour éviter que mon fils ne rate son année à cause d'un nouveau changement d'école, j'ai accepté qu'il ne soit pas une nouvelle fois déplacé.
Donc en septembre 2007, votre cauchemar prend fin et vous le récupérez ?
Pas du tout, il a été replacé pour une année supplémentaire. J'ai écrit au juge, lui ai envoyé la copie de mon certificat médical prouvant que je n'avais pas de problèmes mentaux, mais je n'ai pas eu de réponse. J'ai contacté de nombreuses personnalités du monde politique, judiciaire et social. Des journalistes. J'ai été jusqu'à l'ONU. En 2008, les résultats scolaires de mon fils, qui était jadis bon élève, ont chuté. Il a raté son brevet. Et puis, il a commis son premier acte de délinquance. J'ai fait appel de la décision de placement, elle a été rejetée. Ne supportant plus de voir mon fils s'enfoncer, le 9 juillet, je suis partie le récupérer. J'ai écrit au juge et à l'Aide sociale en recommandé pour leur signifier que je reprenais mon fils en mettant en avant mon passeport diplomatique.
Et depuis ?
Ils n'ont pas apprécié et ils ont essayé de m'avoir en refusant de me donner ses bulletins scolaires. Les choses sont finalement rentrées dans l'ordre et mon fils a pu reprendre les cours en janvier. Depuis septembre, je le fais travailler pour qu'il n'accumule pas trop de retard.
Pourquoi ce livre ?
En contactant les associations d'enfants placés, je suis tombée sur l'association « Respect des familles ». C'est elle qui m'a conseillé de mettre sur papier toute ma souffrance. J'ai souhaité témoigner pour que cela n'arrive plus. Le responsable de l'association m'a aidé à écrire ce livre.
Quel accueil avez-vous reçu ?
J'ai écrit au président de la république ainsi qu'au président du conseil constitutionnel pour attirer leur attention sur ce problème. Ce dernier m'a répondu et félicité. Depuis le magazine Envoyé Spécial a fait un reportage sur les enfants placés dont il ressort qu'un enfant sur deux l'est injustement.
Comment va votre fils aujourd'hui ?
Il réapprend à vivre. Au début, il était replié sur lui-même, alors que c'était un garçon aux abords faciles, très en avance sur le plan verbal. Il hésitait à sortir comme s'il se rendait coupable de ce qui lui était arrivé. Je l'ai inscrit à différents sports et au catéchisme pour qu'il soit en contact avec d'autres jeunes de son âge. J'essaie d'être forte et de lui redonner confiance.
Comment voyez-vous l'avenir ?
Depuis l'affaire de l'Arche de Zoé et des enfants tchadiens, j'ai l'impression d'avoir été entendue par Rama Yade. Une nouvelle loi a été votée et je m'en réjouis.
À la suite de cette triste aventure, avez-vous monté votre propre association ?
Je n'en ai pas éprouvé le besoin car je fais déjà partie de nombreuses associations. Tout ce que je demande c'est que les droits des enfants soient respectés. Beaucoup de gens n'osent pas se battre à cause des représailles. De mon côté, je me sens comme privilégiée car j'ai eu la chance d'avoir un soutien grâce à l'État gabonais. J'en profite pour essayer de faire avancer la situation.
Qu'espérez-vous pour 2009 ?
Avec l'investiture de Barack Obama aux États-Unis, j'espère que les journalistes vont davantage s'intéresser aux Noirs de France, qu'on va arrêter de les stigmatiser. Je ne critique pas le système dans lequel nous vivons, nous en avons besoin, mais j'attends qu'il soit plus humain, avec davantage de contrôles. Que l'économique arrête de primer sur l'intérêt supérieur de l'enfant.
Propos recueillis
par NB