Scholastique Mukasonga est la nouvelle lauréate du Prix Renaudot 2012. L'auteur d'origine rwandaise se dit fière et honorée d'avoir été choisie. Rencontre. |
Pouvez-vous revenir en quelques mots sur votre parcours ?
Je suis née en 1956 au Rwanda, non loin de la source de la rivière Rukarara, considérée comme une des sources présumées du Nil. En 1956, ma famille, parce que Tutsi, a été déportée à Nyamata, dans le Bugesera, une région dépeuplée par la tsétsé, et domaine des grands animaux. Les réfugiés de l'intérieur y subiront persécutions et massacres à répétition. Malgré le quota de 10 % imposé aux Tutsi, j'ai la chance d'aller à l'école secondaire, mais en 1973, je suis chassée de l'école d'assistante sociale de Butare, et dois me réfugier au Burundi. En 1994, une trentaine de membres de ma famille restés au Rwanda sont massacrés lors du génocide des Tutsi. Il me faudra dix ans pour retourner au Rwanda, et écrire mon premier livre Inyenzi ou les Cafards. J'exerce actuellement en France la profession de mandataire judiciaire. Je ne suis pas une rescapée du génocide mais une survivante.
L'origine de votre écriture se situe dans le génocide au Rwanda, l'écriture est-elle une libération pour vous et pour les victimes ?
C'est le génocide des Tutsi qui a fait de moi une écrivaine. Si mes parents ont choisi pour moi l'exil au Burundi, ce n'était pas seulement pour me sauver la vie, mais aussi pour pouvoir un jour peut-être témoigner de ce qui s'était passé, et de leur existence que l'on avait voulu nier et éradiquer.
Racontez-nous, en quelques mots, l'histoire de votre livre Notre-Dame du Nil pour lequel vous avez reçu le prix Renaudot.
Notre-Dame du Nil est un lycée perché à 2500 m. d'altitude non loin de la source du Nil. On prétend y former l'élite féminine, loin des tentations de la capitale du pays. Un quota limite à 10 % le nombre d'élèves Tutsi. Unité de lieu, unité de temps (l'interminable saison des pluies), le lycée Notre-Dame du Nil constitue le microcosme des tensions, qui divisent la société rwandaise des années 1970. Le plus grand malheur qui soit arrivé aux Rwandais, c'est d'habiter aux sources du Nil, là où depuis l'antiquité s'étaient déposés les mythes d'une contrée originelle, d'un paradis perdu. Le Rwanda fut la dernière tache blanche sur la carte de l'Afrique: aux sources du Nil, on allait trouver des êtres tout juste sortis de la Fable et si on ne les trouvait pas, on allait les inventer. Et les Tutsi étaient justement là pour tenir le rôle: des Noirs qui n'étaient pas des nègres, des Quasi-Européens venus d'Ethiopie ou d'Egypte, des étrangers dans leur propre pays. Le personnage de Fontenaille fait la synthèse de toutes ces utopies meurtrières.
Le prix Renaudot a été attribué à de très grands écrivains français ou francophones, qu'en pensez-vous ?
Le prix Renaudot et ses jurés sont très ouverts aux auteurs africains. On ne peut que les féliciter de cette courageuse originalité, qui fait exception dans la multitude des prix franco-français.
La notion de « témoignage » est-elle importante pour vous ?
Pour en revenir au témoignage, dès mon premier livre j'ai voulu que mon écriture soit digne des miens, que mes mots élèvent, pour ceux qui n'en ont pas, un tombeau qui leur fasse honneur. Je suis entrée ainsi, un peu sans le savoir en littérature.
Votre mère Stefania vous a-t-elle inspiré lors de vos travaux d'écriture ? Comment ?
En écrivant mes livres, c'est toujours à ma mère que je les dédie. C'est, je veux le croire, à son talent de conteuse que je dois mon talent d'écrivaine. De livres en livres, je bâtis le tombeau que les assassins lui ont refusé.
Propos recueillis
par Jessica Barre