« Survivre pour voir ce jour » (Edition Michalon,) est l'histoire bouleversante de Rachel Mwanza, l'héroïne du film « Rebelle » de Kim Nguyen (2012). L'adolescente, aujourd'hui âgée de 17 ans, raconte son enfance, des rues de Kinshasa au tapis rouge d'Hollywood où elle reçoit un Oscar pour son interprétation d'enfant soldat. Ecrit avec le journaliste Mbépongo Dédy Bilamba, ce récit poignant et éducatif est à mettre entre les mains de tous les enfants de 7 à 77 ans. Rencontre avec celle qui veut incarner l'espoir. |
Comment aimeriez-vous que l'on vous présente ou que l'on parle de vous?
J'aime que l'on me présente en tant qu'artiste, c'est cool. Et comme j'assume mon passé, c'est important pour moi de rappeler que je suis Ambassadrice de bonne volonté de l'Unesco. Je veux être la porte-parole des enfants de la rue, ce que j'étais moi-même, il n'y a pas si longtemps.
Aujourd'hui, avez-vous des nouvelles de votre mère?
Oui... Maman est toujours en Angola. Elle vit avec un homme qui l'a recueillie et a eu trois enfants depuis la dernière fois que je l'ai vue. On s'est parlé plusieurs fois au téléphone. J'aimerais la revoir, mais pas tout de suite.
Quelles relations entretenez-vous avec les autres membres de la famille dont vous parlez dans le livre, notamment votre grand-mère maternelle, vos frères et sœurs, etc.?
Aujourd'hui c'est moi qui subviens aux besoins de ma famille. Bien entendu, je ne suis plus une sorcière aux yeux de ma grand-mère. Je leur ai pardonné et ne veux rien leur faire payer, mais je reste vigilante et je jure que plus personne ne me fera plus jamais autant de mal. Ils ont encore beaucoup de mal à réaliser ce qui m'arrive.
Vous considérez-vous finalement comme la fille de la famille qui est venue « sauver les autres » et apporter le bonheur?
Oui, oui, c'est bien moi. Je ne suis pas la sorcière, et ma sœur, non plus d'ailleurs. Il n'y a pas de sorcière, à part « Komona », le personnage de mon film.
Qu'avez-vous envie de dire à ceux qui croient toujours aux enfants sorciers?
Vous savez, j'ai vu des choses horribles dans la rue, qui me rappellent que le mal et le diable existent bel et bien. Concernant les enfants, je vais me battre pour que l'on arrête de les utiliser. Les enfants sont des victimes innocentes que l'on doit protéger.
Comment avez-vous trouvé la force de pardonner?
J'ai été bénie par Dieu en survivant et en devenant actrice. Si je gardais de la colère dans mon cœur, je ne pourrais pas bien vivre toutes ces belles choses, et les gens auraient peur de moi. Je suis croyante, et c'est important pour moi de pardonner. Je me battrai pour les enfants.
Vous venez d'être nommée Ambassadrice par l'Unesco. Quelles vont-être vos priorités?
Ma priorité est de raconter mon parcours à travers le monde pour que les enfants sachent que l'on peut y survivre. Il faut que les adultes (parents et politiques) prennent leur responsabilité. Ce livre c'est mon parcours, mais des milliers d'enfants vivent la même chose au moment où l'on se parle. Pour moi, le plus important c'est l'éducation, alors je veux que les enfants sachent que je suis comme eux, je réapprends à lire et à écrire. Mon meilleur souvenir des deux dernières années n'est pas le tapis rouge des Oscars, mais le jour où j'ai enfin pu porter un uniforme pour aller à l'école. Je veux donner de l'espoir.
Comment, selon vous, peut-on lutter contre le phénomène des enfants de la rue, dans votre pays, le Congo, ou ailleurs sur le continent africain?
Les adultes mettent les enfants dans la rue à cause du malheur, de la pauvreté. Quand j'étais à Mbuji-Mayi, on était riche et cela n'aurait jamais pu m'arriver. C'est seulement quand papa a perdu son travail que tout a commencé. Alors il faut donner du travail aux gens pour qu'ils puissent s'occuper des enfants et ne plus se faire avoir par de faux prophètes qui font du business au nom de Dieu.
Vous considérez-vous maintenant comme une actrice à part entière, ou avez-vous encore l'impression que ce n'est pas votre monde et que vous êtes là par le hasard de la vie?
Hasard? J'ai gagné plus de 10 prix (grand sourire). Oui, je me considère comme une actrice et je veux en faire mon métier, bien que l'école soit très importante pour moi. C'est vrai qu'il m'arrive encore d'être très surprise quand on me reconnaît dans la rue, mais je me considère comme une actrice.
Vous écrivez un documentaire sur les enfants de la rue avec votre co-auteur. Pouvez-vous nous en dire quelques mots?
En fait ce n'est pas un documentaire sur les enfants des rues; on écrit une histoire qui commence en Afrique et se poursuit en Europe, mais ce n'est pas sur les enfants soldats. Dédy est très sensible au malheur des jeunes Africains qui meurent dans le désert ou en mer pour aller en Europe. Voilà tout ce que je peux vous dire pour le moment!
Quels sont vos autres projets personnels?
Aller à l'école pour récupérer l'enfance que l'on m'a volée. Je vais prendre des cours de comédie et voyager à travers le monde pour parler au nom des enfants de la rue. J'espère avoir le temps de faire mes devoirs (rire).
Allez vous désormais être installée à Montréal?
Oui, je vis avec la famille d'Anne-Marie que j'ai connue à Kinshasa, elle faisait partie de l'équipe de tournage du film « Rebelle ».
Une nouvelle année vient de commencer, que peut-on vous souhaiter?
(Eclats de rire) Réussir mon régime! Cette année j'espère pouvoir lire et écrire parfaitement. Que mon chemin va se poursuivre aussi loin que Dieu le voudra, avec le livre, les enfants des rues et le cinéma.
Quel est votre souhait le plus cher pour les enfants du Congo?
Qu'ils aient la paix... qu'ils aient le droit d'être des enfants normaux dans leurs familles et en allant à l'école dans leurs beaux uniformes. Dites aux enfants que Rachel Mwanza la petite « shégué » ( enfant de la rue, ndlr) est encore vivante alors eux aussi ».
Propos recueillis
par Claire Renée Mendy