Enseignante-chercheure à l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar au Sénégal, Ndèye Astou Ndiaye vient de sortir son premier roman, « Une étoile qui ne brille pas pour l'amour ». Spécialiste des questions de politiques publiques en Afrique et diplômée en sciences juridiques et politiques, elle travaille avec d'autres jeunes Africains au sein du think tank « Afroacademy ». Elle coordonne aussi l'association « Sen'Dev » qui mobilise ses forces pour l'accès à l'éducation pour tous au Sénégal. Elle nous parle de son roman qui vient de paraître. |
Il est né au cours de mes trois mois de chômage. À l'époque je réfléchissais sur tout et sur tout le monde, sur des histoires que je voyais ou que je vivais. J'étais en plein spleen baudelairien. J'écris depuis gamine mais cet ouvrage a été le premier à être publié.
De quoi s'inspire-t-il?
Il s'inspire de la vie d'une femme, Nafissa, qui a tout pour être heureuse, une belle carrière, des parents formidables, une santé recouvrée... et qui finit par se marier avec le seul homme qu'elle a vraiment eu à fréquenter. Nafissa est une perle rare, mais un mensonge qui brise son couple lui fait découvrir le vrai visage de celui qu'elle croyait être son âme sœur. Elle part alors se reconstruire sur un autre continent, au Nicaragua... Mais encore une fois cette reconstruction est remplie de rebondissements.
Vous avez choisi d'écrire un roman alors qu'on vous attendait plutôt sur un essai politique par exemple...
Travailler sur un roman est naturel. C'est quelque chose qui nous vient du fond des tripes. Je pense que l'écriture est un de mes dons et il n'est pas exclu qu'un jour je fasse un travail empirique en Science politique africaine et que je le publie. Je rêve par exemple de produire un manuel avec un de mes maîtres en Sciences politiques, le Professeur Alioune Badara Diop, pour qui j'ai une énorme admiration. Cela d'autant plus que l'Afrique en a besoin. Nos chercheurs ne publient pas beaucoup et les moyens ne sont pas mis à leurs dispositions.
Dans les mariages, au Sénégal notamment, les belles-familles sont très présentes. Est-ce une bonne chose?
C'était une bonne chose. Les mariages ne tenaient dans ce pays que grâce aux belles-familles. Vous savez, lorsque les ménages reposaient sur l'amour et la bonne foi, lorsque l'argent était absent des problèmes de couple, les beaux-parents jouaient un rôle de régulateur. Ils conseillaient les jeunes mariés, les mettaient sur le droit chemin, les soutenaient financièrement quand la question se posait. Aujourd'hui, pour la plupart des mariages, les belles-familles sont devenues des fardeaux financiers, elles jouent un rôle néfaste qui participe à la flambée des divorces. C'est dommage, l'Afrique perd en valeurs et gagne en contre valeurs.
Finalement, « Une étoile qui ne brille pas pour l'amour » semble être l'histoire du dépit amoureux. Est-ce une raison de ne pas croire en l'amour?
Ah non, pas du tout! La plus belle chose dans cette vie, c'est l'amour. Et quand vous lisez les derniers mots de Nafissa, vous voyez qu'elle a toutes les raisons de croire en l'amour. Personnellement, je vis d'amour tous les jours et j'y crois fermement. Mon prochain roman le montrera encore davantage aux lecteurs.
Le prochain roman, ce sera toujours autour du couple?
J'ai deux autres romans en cours. L'un traite de l'adoption et l'autre d'un amour fort qui se vit jusque dans l'au-delà... Vous en saurez davantage au moment opportun.
Vous êtes très engagée sur les questions de politiques publiques en Afrique, pourquoi?
La question des politiques publiques ou de l'action publique est intéressante en Afrique car sur notre continent, son analyse est très complexe. Les politiques publiques comme action de l'autorité gouvernementale, de l'autorité publique, n'ont jamais existé en Afrique. Depuis les Indépendances, l'Afrique politique vit son quotidien avec un système d'aide au développement qui fait que les politiques publiques sont une question bien plus alambiquée qu'on ne le croit. Raison pour laquelle, j'en ai fait un sujet de recherche qui m'amène à des conclusions très surprenantes, du point de vue institutionnel mais aussi du point de vue des acteurs concernés.
Au Rwanda, l'alternance ne semble pas être un vœu du peuple. Le modèle démocratique importé est-il le meilleur modèle pour les politiques en Afrique?
Vous savez, en général je ne pense pas que le modèle démocratique à l'occidentale soit adéquat à l'Afrique. Une démocratie, un système politique, institutionnel, tire son originalité et sa détermination de l'histoire de la société qui la vit. Tant qu'on ne sera pas d'accord sur le fait que l'Afrique et les Africains doivent se construire eux-mêmes, on fera une erreur monumentale. Autrefois, les Africains vivaient leur démocratie à leur manière, avec le système de l'« arbre à palabre », avec la Charte de Kurukan Fuga de 1236 et les chefs politiques, aussi arriérés et autoritaires qu'ils pouvaient être, savaient sur quoi reposait leur pouvoir. Malheureusement l'Afrique est entrée dans un cercle vicieux où on lui montre qu'elle est élève dans tous les domaines et qu'elle devrait toujours suivre les autres. Si les Rwandais ne veulent pas d'une alternance, ils en ont le droit. Est-ce qu'on se pose la question de savoir pourquoi les Allemands maintiennent Angela Merkel au pouvoir? Pourquoi, il n'y a pas de limitation de mandat dans ce pays? Maintenant, si l'on prend le cas du Burundi, les populations ne semblent plus vouloir du président. Il ne doit pas faire de forcing pour rester au pouvoir, sans quoi le pays, après des tensions, ira droit vers le chaos.
Vous définissez-vous comme féministe?
Tout dépend du sens qu'on donne au féminisme. Je suis pour le respect et la considération des femmes. Je suis pour le rôle et la place qu'occupaient nos aïeules dans la société africaine. Je suis pour le rôle qu'occupe la « Grande royale » dans « L'aventure ambiguë » (ndlr de l'auteur Cheikh Hamidou Kane). Je suis pour cette femme que je vois respectée et respectable qui sait qui elle est et qui défend certaines valeurs. Je suis pour que les femmes et les hommes aient les mêmes chances de trouver du travail après avoir fait les mêmes études. Je suis contre le fait qu'une femme ne puisse jouir que de ses facultés physiques. Si c'est cela être féministe, alors je m'en réclame haut et fort. Si c'est par contre ne plus savoir qui est l'homme dans la famille, qui fait la demande en mariage, qui dirige la barque dans le foyer (même si c'est en apparence), là je ne suis pas féministe, parce que pour l'équilibre de la famille, je pense qu'il faut une autorité de fait et je réserve « ce petit rôle » (rires) à l'homme.
Propos recueillis
par Alain Barry
Ndèye Astou Ndiaye. Une étoile qui ne brille pas pour l'amour. Paris: L'Harmattan, 2015, 108 pages.