Sa passion pour la bande dessinée remonte à l'enfance, à l'époque où sa mère lui offre « Un crocodile à Luozi », une BD réalisée par des dessinateurs de la République Démocratique du Congo. Elle a alors sept ou huit ans. A l'époque, comme beaucoup d'autres enfants, tous les films d'animation qui passent à Télé Congo la réjouissent: elle se souvient particulièrement de Tom Sawyer qu'elle croquait fébrilement sur son ardoise. Et que dire de la période où elle pouvait s'acheter la BD de Kouakou à 100 F CFA? ou le journal Ngouvou de Fernand Kibinza publié à Brazzaville, et vendu à 300 F CFA! |
L'année 2005 a été une année particulière pour vous...
En effet, c'est en 2005 que je me suis vraiment lancée dans la BD et que j'ai rejoint l'Association Congolaise pour la Promotion de la Bande Dessinée (ACPBD) suite à ma rencontre avec « De l'idée à la BD » animée par Fortuné Kombo Djobiss, l'un des aînés de la BD congolaise et président de l'ACPBD, à la bibliothèque des enfants du Centre culturel français de Brazzaville, l'actuel Institut culturel français.
Que racontez-vous dans vos bandes dessinées?
Je puise mon inspiration dans mon train-train quotidien. Je n'ai pas de thèmes de prédilection. Dans « Le Petit Mayangui », j'aborde la famille recomposée; dans « Rien », je me plonge dans le quotidien d'une femme au foyer. Pour l'instant je ne souhaite pas me figer sur un seul lectorat car il y a encore un long chemin à parcourir.
Combien de bandes publiées jusqu'à ce jour? Combien de temps mettez-vous pour les peaufiner?
Je n'ai pas encore publié de bandes dessinées individuelles mais j'ai participé à des publications collectives, d'abord à Brazzaville avec l'ACPBD dans (« Mbongui BD » et « Revue Images »), à Alger dans « La BD conte l'Afrique », à Kinshasa dans le magazine « Amazone BD » et puis dans « Chroniques de Brazzaville » paru aux éditions Harmattan BD en France. Pour mettre en forme une bande dessinée, ça peut prendre de un à six mois, parfois une année et même plus, cela dépend de la grandeur du projet. Tout dépend du scénario, du nombre de planches prévues pour la bande dessinée.
Rencontrez-vous des difficultés? Si oui, sont-elles liées au fait d'être une femme ou au manque de matériel?
Les difficultés ne manquent pas, mais ne sont pas liées au fait que je sois une femme. Par exemple à Brazzaville, avec l'ACPBD, j'étais au milieu de près d'une vingtaine d'hommes. Aujourd'hui cela fait six ans que j'évolue avec le collectif des bédéistes de Pointe-Noire « Ponton BD ». Je suis aussi l'unique femme pour l'instant! Dans les deux cas, mon travail a été bien accueilli, dès le départ. Les difficultés sont liées à l'édition, il n'y a pas de maison d'édition au Congo qui s'intéresse à la BD. L'imprimerie est trop coûteuse, et je pense que le 9e art congolais ne figure pas encore dans le registre des arts au Congo, on en parle peu ou presque pas. La BD congolaise est toujours absente des grands événements culturels qui se déroulent au Congo, comme le Festival panafricain de Musique, où il y a un espace dédié à l'art visuel ou encore récemment la Biennale des arts... Tout cela ne favorise pas la production locale et le rayonnement du 9e art congolais, c'est dommage! Le manque de matériel est aussi une difficulté, mais actuellement tout change, aujourd'hui, ici à Pointe-Noire, par exemple, je peux acheter des feutres professionnels, de l'acrylique, des carnets à dessin ou encore d'autres médiums. Le prix reste quand même élevé, mais on n'y peut rien!
Aviez-vous été à l'école de Peinture de Poto Poto?
Je n'ai pas été à l'école de Peinture de Poto Poto. Je suis sortie de l'école nationale des Beaux Arts Paul Kamba de Brazzaville, peu connue du grand public. Elle est toujours confondue avec l'école de Peinture de Poto Poto. J'y ai été formée pendant quatre ans en arts plastiques. C'est grâce à cette formation que j'ai été reçue à l'école nationale des Beaux Arts et que je suis professeur d'art plastique dans un collège d'enseignement général.
Vous aviez monté en mars dernier une exposition au titre évocateur « Butsielé ». Quelle signification donnez-vous à ce nom?
Je souhaitais donner à mon exposition un titre qui pouvait mieux englober mon nouveau travail, mes premières toiles peintes en classe de troisième. J'ai peint des cases, des femmes avec des calebasses sur la tête, etc. Mais, après quatorze ans, on se sent un peu déconnecté de cette réalité. Alors j'ai été inspirée et j'ai dit « Butsiélé », dans ma langue maternelle, un mot qui englobe lui même plusieurs mots comme: éveil, le temps est arrivé, émancipation. J'ai donc présenté mon autre moi qui s'est éveillé, libéré et qui s'est épanoui, un autre moi, qui longtemps est resté à la recherche d'une identité. Une identité qui s'affirme peu à peu avec des œuvres beaucoup plus contemporaines. Cet éveil est aussi le fruit de rencontres, d'échanges, avec les autres, mais aussi de formations. Mes deux passages aux ateliers de résidence des ateliers Sahm en 2012 et 2013, en peinture, encadrée par Félicité Codjo et en art vidéo par Sean Hart et Frédéric Dumond.
Avez-vous atteint les buts visés?
À vrai dire, je ne m'étais pas fixé de buts. Mon souhait est de cheminer avec mon arsenal de créations pour construire un univers qui soit propre à notre « Liberté ». Je me suis lancée et j'ai travaillé avec toutes les émotions possibles. Beaucoup de personnes qui me connaissent en tant que bédéiste ont été surprises. Elles ne s'imaginaient pas que je pouvais réaliser un tel travail. Une aînée artiste est passée voir l'exposition et elle m'a laissé un mot disant que « mon travail l'avait inspirée ». Le résultat est là!
Organisez-vous des ateliers pour les jeunes curieux qui viennent vers vous?
J'organise des ateliers pour les jeunes et les enfants, avec « Espace Nsan'Arts » une association culturelle et artistique que j'ai fondée à Brazzaville en mai 2017. Cette association s'est fixé pour but de contribuer à l'épanouissement socioculturel des enfants et des jeunes en organisant un grand nombre d'événements en milieu enfantin et jeune dans les domaines de la culture, des arts et des loisirs. À Pointe-Noire, avec le soutien de Mouns' Foundation Le Bon Berger, j'organise deux grandes activités pour les jeunes: la rencontre « Graines d'artistes » qui a pour but de promouvoir les droits de l'enfant en milieu scolaire et « Anim'tè vacances » qui est un festival d'arts et de loisirs pour les enfants et les jeunes. Ce festival les occupe pendant la période des grandes vacances au moyen d'activités artistiques (ateliers peinture, BD, percussion, bibliothèque, projections vidéo, musique etc.) animés par des artistes professionnels. La 6e édition est prévue du 1er au 30 août 2014, à Pointe-Noire. Mon rêve est d'installer à Pointe-Noire et à Brazzaville des centres d'arts et de loisirs pour les enfants et les jeunes.
Y a-t-il d'autres femmes qui pratiquent l'art de la bande dessinée?
L'univers de la BD est peut être dominé par les hommes, mais il y a aussi des femmes qui prennent le crayon pour « plancher ». J'ai rencontré des collègues femmes à Alger, lors de mon passage au Festival International de la BD d'Alger en 2009. Je n'ai pas encore rencontré de collègues femmes du Congo Brazzaville, pour l'instant je suis l'unique Congolaise. J'ai participé à pas mal d'activités autour de la BD (atelier, résidence etc.), et à Pointe-Noire comme à Brazzaville, je me suis toujours retrouvée seule au milieu des hommes. Peut-être que les femmes ne se lancent pas parce que les parents ne veulent pas. Moi, j'ai la chance d'avoir eu des parents qui m'ont orientée vers les Beaux Arts sans aucun préjugé.
Avez-vous des modèles?
J'ai beaucoup d'admiration pour plusieurs artistes plasticiens ou auteurs de BD des deux Congo, d'Afrique et d'ailleurs mais je n'ai pas de modèle. Avec tous ces talentueux artistes, dans le monde, il m'est difficile de choisir un modèle. Plus encore, je ne souhaite pas trop ressembler ou me comparer « à... ». Je veux être moi-même. Il y a toujours chez un auteur, un point qui m'interpelle, me plaît, que je trouve intéressant et qui m'inspire, cela peut être son trait, la manière dont il pose ses couleurs, sa démarche artistique, etc. On apprend beaucoup en observant les autres, le danger, c'est de les imiter.
Qui sont vos lecteurs?
J'ai toujours voulu que mon art soit à l'image d'un carrefour pour que tout le monde puisse se retrouver, pour cela je dessine pour les femmes, les hommes, les jeunes et les moins jeunes, et ça se remarque lors des expositions auxquelles je participe.
Propos recueillis
par M.L. Tshibinda
Contact:
https://espace-nsan-arts.com