Difficile condition que celle de créateur au Gabon. Pour l'écrivain, comme pour le musicien, les droits d'auteur ont du mal à se mettre en place. Et c'est toute la création qui en souffre. Ecrivaine et éditrice, Sylvie Ntsame s'est engagée. Elle est la seule chez nous qui redonne à l'auteur ce qui lui revient. Ecrire est un métier difficile, et tout métier mérite salaire. |
Quelles ont été vos relations à l'édition, ici et ailleurs ? Soleil radieux ?
(Sourire) Pas vraiment ! Quand j'ai achevé l'écriture de La Fille du Kama, puis les relectures, j'ai cherché un éditeur. Au Gabon, il n'y avait que Raponda Walker, et je n'ai pas reçu de réponse après l'envoi du manuscrit. Je me suis donc tournée vers des éditeurs français. Certains proposaient le compte d'auteur. Vous payez alors 10 000 euros (650 000 Fcfa) pour la fabrication du livre. Mais comme l'éditeur s'occupe de la distribution, il prélève ensuite 40 % sur la vente de l'ouvrage. Soit un bénéfice de 160 %. je n'ai pas répondu, c'était grotesque ! Ils sont revenus à la charge, avec des propositions toujours aussi... ridicules.
Et du côté des éditeurs plus « sérieux » ?
J'y viens. Pour l'Harmattan, qui édite beaucoup d'écrivains africains, à la sortie du livre, je devais payer cinquante ouvrages pour contribution à la fabrication. Bon... Mais après, le contrat stipulait que les 500 premiers exemplaires vendus ne recevaient aucun droit d'auteur. Ce n'était qu'au 501, que l'auteur touchait... 4 %. Alors que le pourcentage habituel est à 6 ou 7 %. J'ai accepté, acheté les 500 premiers exemplaires que j'ai mis dans les librairies au Gabon. Simplement pour me faire connaître, ici, au pays. Tout cela pour dire que l'on vit vraiment dans une grande précarité, à la fois économique et psychologique.
Comment un auteur peut-il accepter cette perte totale de considération ?
Parce qu'il est prêt à tout pour faire connaître son travail. Et les éditeurs profitent de cette naïveté. Au point même de ne pas respecter les contrats qu'ils imposent aux auteurs. Mais ces derniers n'osent rien dire. Même si c'est l'éditeur lui-même qui ignore les clauses initiales. Ce qui fait souvent que les auteurs s'enferment dans l'amertume. Ils écrivent un livre, et puis plus rien. Il faudrait avoir le courage de rompre le contrat, parce que vous êtes dans votre droit le plus absolu. C'est une relation à deux, et chacun doit un respect égal à l'autre.
Vous êtes romancière, et là, vous décidez de passer vous-même à l'édition...
Un peu par hasard. J'ai une ONG, «Sourire à l'Enfance démunie». Nous amenons de petites choses à des familles dans le besoin. Des denrées de première nécessité, des cadeaux pour Noël. Ce sont des situations qu'une mère ne peut pas supporter. Ces familles qui ont quatre ou cinq enfants, pour lesquels les parents ne peuvent rien, ils ont des regards éteints, des regards de vieilles personnes, et quand vous leur donnez quelque chose, la vie revient. Dans ma sensibilité de maman et de chrétienne, je dois faire quelque chose. La question que je me suis posée en 2008, était toute simple: si demain je disparais, qui va encore les aider ? J'avais écrit un livre de contes, Le soir, autour du feu, et je voulais que les droits soient intégralement reversés à l'ONG. Intégralement... Comme j'avais un autre titre Femmes libérées battues, et que des amis ont accepté de me confier leurs manuscrits... La maison d'édition est née comme ça.
En terme d'édition même, qu'est-ce qui vous distingue de vos confrères ?
Que le livre aujourd'hui se fasse entièrement au Gabon. Jusqu'ici, les éditeurs faisaient imprimer à l'étranger. Nous pas ! On a investi dans les machines, acheté en France et au Gabon, fait venir le papier du Cameroun. Mais la maison d'édition a aussi misé sur le savoir-faire. Ce travail s'apprend, que l'on soit à l'imprimerie, l'infographie, le brochage... On forme donc notre personnel. C'est toute une chaîne à maîtriser. De l'auteur à l'éditeur, de l'éditeur à la fabrication, puis à la distribution, avec ce retour à l'auteur. Cette globalité, cette maîtrise m'intéressent vraiment. Parce que le livre fait vivre bien plus largement que l'auteur et l'éditeur.
Vous vous rappelez de vos premiers versements aux auteurs ?
C'était après notre premier Salon du Livre, au mois de mars. Et c'était M. Mbuluku, qui avait été mon enseignant, pour Au-delà des frontières. Le chèque était de... 11000 Fcfa. Dans la deuxième tranche, ça s'échelonnait entre 8 000 et 1,3 million. Et ça, sur les cinq à six maisons d'édition gabonaises, nous sommes les seuls à le faire. Certains nous reprochent de ne pas être à l'international. Que nos livres ne soient pas visibles en France par exemple. Mais notre priorité, c'est le marché gabonais. Pourquoi engager des frais importants pour un bénéfice réduit ? Nos livres sont aux programmes scolaires, ils sont distribués dans des librairies agréées, et nous payons nos auteurs. Nous leur redonnons le respect qui leur est dû. le pense qu'au Gabon, nous ne mesurons pas toujours combien ce travail d'écriture est exigeant... et respectable.
Quand vous échangez avec vos confrères du Cameroun ou du Congo Brazzaville, quelle est leur situation ?
Pour les deux pays, il y a des sociétés d'auteurs. C'est donc plus avancé que chez nous. Mais par contre, il y a la contrefaçon. Un vrai fléau, l'arsenal pénal n'est pas au point. Et les auteurs, encore une fois, en souffrent. Cela dit, oui, les choses sont en place, il faut juste que ces gens qui photocopient les livres arrêtent. Ce qui est aussi le cas chez nous. La raison pour laquelle nous avons notre circuit de distribution, dans toutes les provinces. Nos livres sont là et seulement là. Avertissement à ceux qui copient !
Beaucoup de droits à gagner pour les auteurs... et des devoirs ?
Qu'ils s'impliquent plus dans la vie de leur ouvrage. Il y a une inertie qui est très préjudiciable. Il faudrait qu'ils oublient ce fatalisme. Beaucoup se disent que ça sert à rien de dépenser de l'énergie, même si les droits d'auteur leur sont payés. Ils ont gardé des expériences antérieures une grande amertume. Et ils laissent les choses se faire, sans s'impliquer dans la promotion. Même si le livre est difficile à vendre, qu'il est « saisonnier » lié à la période scolaire, il faut se battre. Oui, que l'auteur reprenne courage !
Propos recueillis
par Roger Calmé
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