Elle sort un Panorama des cultures fondamentales congolaises, un projet éditorial d'envergure, consacré aux cultures fondamentales de la République Démocratique du Congo: us et coutumes, croyances, symboles, rites, paroles fondatrices, objets transcendants, techniques et inventions propres aux sociétés traditionnelles d'hier et d'aujourd'hui... Tout y est, c'est magnifique. |
Une éminence scientifique et humaniste
Docteur d'état en ethnolinguistique africaine, licenciée en philologie africaine de l'Université nationale du Zaïre, Lubumbashi; graduée en histoire, français et études africaines de l'Institut supérieur pédagogique de la Gombe (Kinshasa), titulaire du certificat de Linguistique (Université de Besançon), Clémentine Madiya Nzuji a également, durant toute sa carrière, suivi des enseignements poussés auprès de spécialistes traditionnels locaux de différentes cultures d'Afrique (tradi-praticiens, thérapeutes, géomanciens, maîtres initiateurs, spécialistes des symboles et des rêves, maîtres de la parole, etc.). Actuellement professeure émérite à l'Université catholique de Louvain, elle poursuit sa carrière de chercheure et de conférencière au sein du Centre international des langues, littératures et traditions d'Afrique (Cilta) qu'elle a fondé en 1986 et qu'elle dirige comme secrétaire générale. Elle sillonne les universités d'Europe et d'Afrique en tant que chercheure, professeure invitée ou conférencière, anime des stages, donne des formations et des séminaires sur divers aspects des sociétés africaines traditionnelles. Son expertise, elle la met à la disposition de différents réseaux et organismes de promotion du développement des langues et des cultures africaines. Mémoire vivante, elle témoigne: « Il y a quarante ans, après les indépendances, nos enseignants belges à l'université nous disaient que leur volonté était de former des homologues congolais. Mais une fois ceux-ci devenus homologues, ils deviennent tout de suite pour eux concurrents et ennemis à faire taire, dans un système impitoyable qu'ils ont mis en place et dont ils sont seuls à comprendre les mécanismes! »
Clémentine Madiya Faïk Nzuji compte parmi les sommités dans la recherche et la publication sur les divers aspects des cultures africaines: langues, littératures orales, symboles, arts sacrés, etc. Quand je l'interroge sur son expérience humaine durant sa carrière de quarante années, elle se rappelle: « J'avais seize ans en 1960. Je suis parmi la première génération d'Africains qui pouvait accomplir quelque chose en tant qu'indépendants et parmi les rares, très rares filles qui y parvenaient. Les barrières étaient si nombreuses! à l'Université Lovanium, à Kinshasa, nous n'étions que deux filles sur une trentaine d'étudiants dans dans ma promotion. Après, quand j'ai été engagée comme assistante à l'Université nationale à Lubumbashi, j'étais la seule femme africaniste à vouloir faire une recherche doctorale. A l'époque, qu'il s'agisse de la filière linguistique, littéraire ou anthropologique, la formation était très axée sur la recherche de terrain. Les doctorants assistants pouvaient être financés pour aller sur le terrain. Mais en ce qui me concernait, toutes mes demandes restaient sans résultats. Un jour j'ai pris une chaise et un livre et je suis allée m'asseoir tranquillement à côté de la porte du bureau du recteur. Sans parole. Plongée dans la lecture. Quand le recteur est arrivé le matin, il m'a trouvée là. On s'est salué. J'ai continué ma lecture. A midi, il est sorti déjeuner. Il m'a vu là, en train de lire. Quand il est revenu à 14 heures, j'étais toujours là. « Ah, Citoyenne Nzuji, vous êtes toujours là ? » « Oui, M. le recteur! » Le soir quand il est sorti pour rentrer chez lui, j'étais toujours sur place. Le lendemain, quand il est revenu au bureau, il m'a trouvée assise devant sa porte. Alors il m'a demandé ce que je voulais. « J'attends la réponse à ma lettre de demande d'une bourse pour aller sur le terrain... ». « Et votre mari ? Et les enfants ? ». « Cela me regarde, M. le Recteur ». Je suppose que ce siège silencieux de son bureau avait fini par le convaincre de ma détermination, car quelques jours plus tard, je recevais une bourse de recherche qui me permit d'aller faire mon terrain... Par la suite, tout s'est bien passé. J'étais dans mon pays, possédais les mêmes armes que tous mes collègues. Je me sentais respectée...
A l'Université de Niamey, c'est surtout avec les étudiants que j'ai rencontré des obstacles. Je crois que je devais être la première femme d'un autre pays d'Afrique qui venait enseigner à la Faculté des Lettres de l'Université de Niamey. C'était en 1978. Les étudiants auxquels je donnais cours étaient tous des hommes et musulmans. J'ai eu l'impression nette qu'en me voyant, ils n'en ont pas cru leurs yeux. Les premières semaines furent épiques: ils parlaient entre eux comme si je n'étais pas là, se levaient, circulaient dans l'auditoire, certains arrivaient en retard au cours et entraient dans la classe de manière ostentatoire, sans s'excuser, sans me regarder, sans me saluer... Mais, peu à peu, j'ai constaté un changement dans les attitudes. Et puis, un intérêt de plus en plus croissant. A la fin de l'année académique, pour le cours de littératures orales par exemple, j'ai reçu une grande quantité de données de terrain récoltées par mes étudiants qui avaient fini par se passionner pour les cours que je leur donnais.
A l'Université catholique de Louvain, les choses ont été d'une telle complexité qu'il m'est impossible d'expliquer ma situation. Néanmoins, ce qui est certain, c'est que j'ai eu beaucoup de satisfaction avec mes étudiants tout au long des 26 années passées dans cette université. »
Le sacre du verbe et de l'écrit
Clémentine Madiya Faïk Nzuji est l'auteure de nombreuses publications et ouvrages à caractère scientifique sur les sources du sacré dans l'art africain, les méthodes de transmission dans les traditions orales, les signes et les symboles dans les cultures et les arts africains, les symboles graphiques et initiatiques, la structure et le fonctionnement du langage tambouriné, les célébrations rituelles, etc.
Elle a également publié des poèmes, contes, nouvelles. En 2005, elle publie Tu le leur diras, le récit véridique d'une famille congolaise plongée au cœur de l'histoire de son pays (Alice éd., Bruxelles, 2007). Mère de cinq enfants et grand-mère de sept petits enfants, Clémentine Madiya Faïk Nzuji connaît la fragilité de la mémoire et de la transmission intergénérationnelle des valeurs en Afrique. Elle sait combien il est important de « nourrir sa vie dans la chaîne des transmissions ». « Sur le plan personnel, la connaissance de la généalogie éclaire la psychologie de l'individu et, sur le plan scientifique, elle peut enrichir beaucoup d'autres disciplines des sciences humaines africaines: la psychologie, l'histoire, l'anthropologie culturelle, etc. ».
Dans tous ses écrits, dans toutes ses conférences, elle ne se lasse de répéter quand il s'agit du développement de l'Afrique: « Les langues, symboles cultures doivent figurer en priorité parmi les programmes scolaires dès l'école maternelle en Afrique. Car c'est à partir de la connaissance de ces cultures que l'on pourra agir efficacement sur elles ou avec elles, et préparer ceux qui en sont nourris à un véritable développement humain dès le plus jeune âge. » Pour mieux appréhender ces éléments, elle dit: « Il nous faut rechercher des méthodologies adaptées aux réalités socioculturelles africaines, se basant sur la vision africaine du monde et sur la logique culturelle des Africains dans leur contexte naturel ».
Ecrivaine de talent, Clémentine M. Nzuj est récompensée de plusieurs prix et distinctions honorifiques en République Démocratique du Congo et en Europe. En RDC, des institutions culturelles témoignent de la reconnaissance de ses contributions à la promotion culturelle: « Salon littéraire Clémentine M. Nzuji » à l'Institut Supérieur Pédagogique de la Gombe, Kinshasa (1995), « Lycée Nzuji Madiya » à Tshibombo, Kasaï oriental (1999), « Prix Littéraire Clémentine M. Faïk Nzuji pour jeunes de 18 à 20 ans » (2004), salle de lecture « Clémentine Madiya Nzuji » dans la bibliothèque de l'Institut Saint Eugène de Mazenod de Kinshasa...
« Sources et ressources. Panorama des cultures congolaises fondamentales »
C'est sous ce titre et sous-titre que sont rassemblés les textes de vulgarisation scientifique dont Clémentine Madiya Faïk Nzuji vient achever la rédaction. C'est un ouvrage qui présente les différentes facettes des cultures fondamentales de la R.D.C.: us, coutumes, croyances, symboles, rites, paroles fondatrices, objets transcendants, techniques et inventions propres aux sociétés traditionnelles d'hier et d'aujourd'hui.
Ce projet est né de la conviction de Clémentine Madiya Faïk Nzuji selon laquelle, « quelle que soit sa nature, tout aspect culturel mérite d'être connu et conservé dans la mémoire historique collective du peuple dont il est issu, sans que cela implique nécessairement son maintien à l'identique dans l'univers contemporain en devenir. Je voudrais dire que s'il est nécessaire et même vital de connaître le fondement de sa culture, cette connaissance ne devrait pas nous obliger à mettre en pratique tous les aspects de cette tradition ». Elle souligne aussi la relativité de certains aspects culturels et leur caractère cyclique: « En Afrique centrale, avec la colonisation et le christianisme, on a laissé tomber certaines pratiques culturelles comme les scarifications, par exemple. Aujourd'hui, on assiste en Europe à une mode de marquage, de modifications corporelles à travers des piercings, tatouages, coiffures bizarres... ». Clémentine Madiya Nzuji insiste sur la notion d'invention, de créations originales. « La plupart des Africains se complaisent à se mépriser, disent qu'ils n'ont jamais rien inventé, que tout vient d'Europe, etc. Et pourtant en Afrique noire, l'inventivité est partout, dans tous les domaines. Taillé, sculpté, modelé, chaque objet de culte qu'on tient en main est une œuvre d'invention. Le croyant animiste qui fabriquait un objet pour entrer en contact avec ses ancêtres, fait appel à son imagination créative pour que l'objet issu de ses mains remplisse avec efficacité une fonction sacrée. Tailler signifie utiliser un outil particulier qui soit capable de donner une expression et de dessiner des contours qui fassent reconnaître la chose représentée. L'artiste inventait cet outil luimême, sans l'avoir vu dans un ouvrage venu d'Europe. On dit que Mozart a inventé une musique divine. Que dire de celui qui a inventé le tam tam dont les notes font vibrer jusqu'à la transe ? »
Se reconnecter à ses racines et éveiller la conscience d'un fonds culturel commun
Pour Clémentine Madiya Faïk Nzuji, « L'ouvrage "Sources et ressources. Panorama des cultures congolaises fondamentales" s'inscrit dans la volonté d'ouvrir une réflexion constructive articulée autour de quelques grandes questions de fond. De quelles valeurs culturelles s'agit il?" Pourquoi ont elles été conçues et transmises ? Comment sont elles vécues aujourd'hui sur le terrain ? Quelles perspectives ouvrent-elles pour l'avenir? Comment procéder à leur évaluation? Comment revitaliser et promouvoir ce qui vaut d'être promu ? Comment appréhender l'avenir et le construire ?
Cela passe par l'éducation. La jeunesse africaine, ici où là-bas a besoin de se nourrir des informations nécessaires pour la construction de son identité culturelle et historique.
Dans le cas des pays africains délimités de manière arbitraire, il est important que les populations comprennent que, pour leur survie, il est temps de former une nation, un peuple. Il est aussi important de faire la promotion des valeurs africaines positives auprès des publics étrangers désireux de comprendre l'Aftique sans préjugés ».
L'enseignement des cultures fondamentales est donc une priorité pour Clémentine Madiya Faïk Nzuji. « Il y a deux cultures. Celle de l'esprit (théâtre, cinéma, arts, musique ... ), c'est la culture qu'on développe quand on a le ventre plein. L'autre, que j'appelle fondamentale, est celle qui donne à l'individu son identité culturelle et le renvoie à son origine. Dans beaucoup de pays d'Afrique noire, les cultures fondamentales ne sont pas inscrites dans les programmes d'enseignement. Quelques références aux proverbes et quelques contes donnent le sentiment d'introduire les cultures africaines dans l'éducation. Mais il n'en est rien en réalité. Les Africains n'ont pas l'habitude de se valoriser par leurs cultures. »
Puissent l'idéal et l'expérience de Clémentine Madiya Nzuji susciter des vocations auprès de la jeunesse africaine afin que la relève soit assurée!
Propos recueillis
par Fatoumata Sidibé
Contact:
Ciltade, Centre international des langues, littératures et des traditions d'Afrique (asbl)
Courrilel: [email protected]