Les prix littéraires sont une institution qui traduit une reconnaissance du travail d'écriture de nombreux auteurs. Cette institution fait non seulement le bonheur des écrivains mais également celui des lecteurs et des éditeurs. Ces cinquante dernières années, seule une vingtaine de femmes du monde noir en ont bénéficié. |
De la Camerounaise Marie-Claire Matip, première femme africaine à publier un texte littéraire en 1958 (« Ngonda ») à Marie NDiaye, le nombre de femmes noires qui écrivent et se trouvent récompensées ne cesse d'augmenter et renforce leur place dans le canon littéraire. Marie NDiaye, par exemple, qui est la première femme à décrocher le Goncourt depuis 1998 et qui s'est distinguée en novembre 2009 avec « Trois femmes puissantes » (Gallimard). « Je suis très contente d'être une femme qui reçoit le prix Goncourt », disait-elle en substance à son arrivée au restaurant Drouant, lieu de remise du prix. « Ce prix est inattendu. C'est aussi le couronnement et la récompense de vingt-cinq ans d'écriture et d'opiniâtreté », a-t-elle ajouté. Il faut dire que son dernier roman est un véritable succès: plusieurs milliers d'exemplaires vendus à ce jour.
Il n'a pas échappé aux critiques présents à la cérémonie de remise des prix qu'à 42 ans, Marie NDiaye a une trajectoire impressionnante qui l'a imposée comme l'une des principales plumes de la littérature contemporaine. Son premier roman publié à seulement 18 ans, « Quant au riche avenir » (1985), la pousse à arrêter des études de linguistique à la Sorbonne pour se consacrer à l'écriture. À son actif, une vingtaine de livres en vingt-quatre ans, parus pour l'essentiel aux Editions de Minuit, puis chez Gallimard. Pour l'anecdote, cette élégante femme noire aux longs cheveux relevés en chignon, romancière atypique, tour à tour féministe et engagée, surprend par l'originalité de son écriture musicale et l'étrangeté de ses récits qui jonglent avec le réalisme et le surnaturel. En entrant au répertoire de la Comédie Française en 2003, Marie NDiaye rejoint aussi la famille des femmes noires écrivains reconnues. En obtenant un prix littéraire, les femmes se trouvent propulsées dans une position privilégiée sans relation avec les thèmes qu'elles abordent, le genre, la géographie ou leur origine. Leur point commun: une écriture assumée et assurée.
« L'Exil selon Julia » (1996), roman d'un exil vécu de la Guadeloupéenne Gisèle Pineau, obtient le prix Terre de France 1996 et le prix Rotary 1997. Bons échos du Congo-Kinshasa avec Clémentine Nzuji dont la nouvelle « Cité de l'abondance » reçoit le prix unique au concours annuel 1986 de l'Académie royale des sciences d'outre-mer, Bruxelles. Nzuji s'était déjà distinguée en 1968 avec « Murmures » (poésie) aux éditions Lettres Congolaises, grâce au premier prix littéraire Sedar-Senghor. Léonora Miano, elle, reçoit en juillet 2006 le prix Montalembert du premier roman de femme pour « L'intérieur de la nuit », Plon. Née à Paris d'un père ivoirien et d'une mère française, Véronique Tadjo, poète et romancière, reçoit le prix littéraire 1983 de l'Agence de Coopération culturelle et technique pour « Latérite » (poèmes), Hatier, 1984.
De 1961, date de sa création, à 2008, plusieurs femmes ont reçu le Grand Prix littéraire d'Afrique noire, attribué chaque année par l'Association des écrivains de langue française (l'ADELF): en 1976 Aoua Keïta (Mali) pour « Femmes d'Afrique »; en 1980 Aminata Sow Fall (Sénégal) pour « La grève des Bàttu » paru aux Nouvelles éditions africaines; en 1982 Mariama Bâ (Hors concours) pour « Un Chant écarlate » alors que le Prix Noma lui avait été attribué en 1980 pour « Une si longue lettre »; en 1994 Calixthe Beyala (Cameroun) pour « Maman a un amant » - Calixthe Beyala a aussi été honorée par le Grand Prix du roman de l'Académie française pour « Les Honneurs perdus » en 1996, et elle a reçu le Grand Prix de l'Unicef pour « La Petite Fille du réverbère », Albin Michel, 1998; la Sénégalaise Mariètou Mbaye Biléoma dit Ken Bugul (Bénin) lui emboîtent le pas et reçoit le Grand Prix littéraire d'Afrique noire en 1999 pour « Riwan ou le chemin de sable »; Véronique Tadjo est la lauréate 2005 avec « La reine Pokou » et en 2007, Bessora (Suisse-Gabon) est consacrée par l'ADELF avec « Cueillez-moi jolis Messieurs... » - après avoir reçu le prix Fénéon en 2001 pour son roman « Les Taches d'encre ».
Première Africaine-Américaine à obtenir le prix Nobel de littérature en 1993, Toni Morrison est l'une des voix majeures de la littérature contemporaine anglophone. Auteur de romans, de pièces de théâtre, d'une comédie musicale, de recueils de poésie et d'essais littéraires, Toni Morrison a obtenu quelques-unes des récompenses les plus prestigieuses: le National Book Critics Award en 1977, le prix Pulitzer en 1988. Succès d'estime, mais aussi de librairie, car les récits puissants et poétiques de cette grande dame figurent dans la liste des best-sellers mondiaux. Ils perpétuent la tradition littéraire africaine-américaine, née il y a deux siècles avec les premiers récits d'esclaves fugitifs. La Sénégalaise Fatou Diome reçoit, elle, en 2003, le prix des Hémisphères Chantal Lapicque pour son roman « Le Ventre de l'Atlantique », Editions Anne Carrière. En octobre 2005, elle obtient, pour le même roman, le LiBeraturpreis parallèlement à la Foire du livre de Francfort.
La Martiniquaise Suzanne Dracius se voit remettre en 2005 le prix Fetkann pour le collectif d'une anthologie poétique d'inédits intitulée « Hurricane, cris d'insulaires ». Elle obtient le même prix en 2009 pour « Exquise déréliction métisse ». La Guadeloupéenne Maryse Condé reçoit, en 1986, le prix Alain Boucheron pour « Moi, Tituba, sorcière noire de Salem »; en 1988, elle gagne le prix Liberatur (Allemagne) pour « Ségou: les murailles de terre »; en 1994 le 50e grand prix littéraire des jeunes lecteurs de l'Ile-de-France pour « Moi, Tituba, sorcière noire de Salem »; en 1997 le prix Carbet de la Caraïbe pour « Désirada »; en 1999 le prix Marguerite Yourcenar (décerné à un écrivain de langue française vivant aux Etats-Unis) pour « Le Cœur à rire et à pleurer »; en 2003 le grand prix Metropolis bleu et en 2007 le prix Tropiques remis au roman « Victoire, des saveurs et des mots ».
L'Ivoirienne Tanella Boni, professeur titulaire de philosophie, poète, romancière, essayiste, critique littéraire et critique d'art, a aussi vu ses ouvrages primés. Elle reçoit le prix Ahmadou Kourouma au Salon International du Livre de Genève en 2005 pour son roman « Matins de couvre-feu » paru aux éditions du Serpent à plumes. Elle reçoit le prix international de poésie Antonio Viccaro 2009 au 27e Marché de la poésie de Paris pour l'ensemble de son œuvre poétique et le prix Continental lui a été décerné le 15 juillet 2009 à Alger. Esther Mujawayo et Souâd Belhaddad, elles, se distinguent avec « SurVivantes, Rwanda dix ans après le génocide », Éditions de l'Aube, Prix Ahmadou Kourouma 2004. L'Ivoirienne Marguerite Abouet allonge la liste des primées en 2006 avec un prix au Festival de BD d'Angoulême pour son premier album « Aya » publié par Gallimard; et la même année, c'est à l'écrivain haïtienne Kettly Pierre Mars à qui revient le Prix Senghor de la Création littéraire pour « L'Heure hybride » - dix ans aprés avoir reçu le prix Jacques-Stephen Alexis de la nouvelle, pour « Soleils contraires », en 1996.
La femme noire écrit. Elle est lue et se voit récompensée par des prix internationaux prestigieux. Quand paraît le premier prix littéraire octroyé à un roman noir, « Batouala », prix Goncourt 1921, la littérature du monde noir est encore loin d'être sortie des oubliettes. À cette époque, elle n'a pas encore à proprement parler, droit de cité en Occident. Cette littérature trouve aujourd'hui sa place dans les bibliothèques de renom. Un certain Léopold Sedar Senghor n'y est pas étranger, lui qui, en 1935, devient le premier Noir agrégé de grammaire française. Il obtient le grand prix international de Poésie en 1963. Il est désigné « Prince des poètes » en 1978 lors de la rétrospective que lui consacre la Bibliographie nationale de France. Il reçoit, en 1963, pour l'ensemble de son œuvre, la médaille d'or de la langue française; le prix Apollinaire en 1974; le prix littéraire de Monaco en 1977; le grand prix Alfred de Vigny en 1981. Après lui, de plus en plus nombreux ont été les écrivains noirs à être récompensés par différents jurys. Le prix Renaudot fut accordé à « La lézarde » d'Édouard Glissant, Seuil, 1958, et récemment, le prix Médicis est revenu à Dany Laferrière pour son roman « L'énigme du retour », Grasset, 2009.
La palme des prix reste, sans aucun doute, le Grand Prix littéraire d'Afrique noire dont les plus illustres bénéficiaires occupent les rayons de nos bibliothèques: Aké Loba « Kocoumbo l'étudiant noir », Cheikh Hamidou Kane « L'Aventure ambiguë », Birago Diop « Contes et Lavanes », Jean lkelle Matiba « Cette Afrique-là » », Sony Labou Tansi « L'Anté-peuple », Tierno Monénembo « Les écailles du ciel », Amadou Hampaté Bâ « Amkullel, l'enfant peul » et « L'empire peul du Macina », Kama Sywor Kamanda « La Nuit des griots », Kangni Alem « Cola Cola jazz », Sami Tchak « Littérature et engagement ». Sans oublier certains auteurs contemporains parmi les plus actifs tels que Kossi Efoui, Alain Mabanckou, Koffi Kwahulé et Nimrod, pour ne citer que quelques-uns de ceux et ce celles qui continuent à donner un souffle immense à la littérature commise par des originaires du monde noir.
Cikuru Batumike