Née le 31 janvier 1978 à Yaoundé au Cameroun, Jessica Reuss Nliba est la cinquième d'une famille de huit enfants. Africaine par son père et Antillaise par sa mère, elle passe son bac au Cameroun, fait une partie de ses études à Abidjan et voyage beaucoup à travers l'Afrique. A dix-neuf ans, elle vient en France où elle exerce de nombreux métiers. Elle rencontre Didier Reuss avec qui elle se marie en 2008. Depuis, ils écrivent des livres à quatre mains sur l'Afrique, les Antilles et ailleurs. Jessica Reuss Nliba nous donne sa vision de Compère Lapin, l'homologue de Maître Renard en métropole. |
Compère Lapin est un personnage populaire aux Antilles. Serait-il l'homologue de Maître Renard qui, en Métropole, a donné lieu à maintes fables savoureuses, faisant montre de sa ruse légendaire?
Oui, c'est tout à fait comparable. On pourrait dire que ce « lapin antillais » est une sorte de transposition de Maître Renard. Il est aussi une transposition du personnage de « Leuk le lièvre », très populaire dans de nombreux pays d'Afrique de l'Ouest. Il est probable que Compère Lapin puise son origine dans ces deux cultures.
Compère Lapin joue souvent des tours à d'autres animaux et aux humains, notamment à Zamba l'éléphant, si grand et si fort. Zamba et les autres animaux cités dans ce recueil, sont-ils aussi des personnages traditionnels des contes martiniquais?
Oui, tout à fait! En fait, Zamba est représenté comme un éléphant dans notre ouvrage, cela dit selon les contes, il est parfois représenté comme une chèvre! Les autres personnages sont également récurrents dans de nombreux contes (non seulement de la Martinique, mais également de la Guadeloupe, voire-même en Haïti, en Guyane et en Louisiane) tout comme le tigre, très présent... Cela montre aussi les racines africaines de ces contes, car il n'y a jamais eu ni éléphants, ni tigres aux Antilles! Un autre personnage récurrent est « le grand diable », qui, à l'époque de l'esclavage, représentait de façon quelque peu imagée le « maître blanc ». À cette époque, lorsque les esclaves se réunissaient le soir, beaucoup de messages étaient ainsi transmis de façon codée.
Le point de départ de ces contes est souvent la faim, la gourmandise, l'orgueil, le narcissisme et la paresse de Compère Lapin. Ses tours pendables ne le rendent pas très populaires auprès des autres animaux, mais sa ruse est telle que c'est toujours très drôle...
C'est un personnage très attachant. Même après toutes ses mauvaises blagues, on a du mal à lui en vouloir vraiment. C'est ce qui fait tout son charme. C'est ce côté narcissique qui fait qu'on a envie de le toucher, de partager un moment et d'être son fidèle compagnon.
Ces histoires sont-elles issues de contes de la tradition orale, ou bien de votre imagination et de celle de Didier Reuss, avec qui vous écrivez à quatre mains?
Ces histoires sont issues de la tradition orale et je pense que bien des Antillais les connaissent ou en connaissent de semblables. Nous les avons retravaillées et adaptées pour de jeunes lecteurs. Mais nous préparons chez le même éditeur une version plus « adulte » de contes créoles, qui devrait paraître vers la fin de l'année. Il y aura d'autres histoires de Compère Lapin!
Vous êtes à la fois martiniquaise et camerounaise et vous vivez et France. Dans quelle culture vous reconnaissez-vous le plus?
Je me sens française, camerounaise et antillaise! Je pense que ma culture est issue de tout cela, mais également de bien d'autres choses! En fait, je me sens citoyenne du monde, j'aime découvrir d'autres cultures et les partager.
En France, les contes sont essentiellement pour les enfants, même quand ils font peur (sorcières, etc.). Pourquoi vos contes du Cameroun, sont-ils catalogués comme des contes pour adultes?
Ces contes du Cameroun sont sortis dans une collection plus adulte (c'est d'ailleurs dans cette collection que vont sortir nos prochains « contes et légendes créoles ») mais la plupart de ces contes sont lisibles par de jeunes lecteurs. Nous avons d'ailleurs également publié un conte camerounais pour tout petits aux éditions Grandir (Le Songe de la Tortue).
Votre triple culture, à Didier Reuss et à vous même, nourrit votre inspiration d'auteurs. Avez-vous songé à collaborer avec le Ministère de la Culture camerounais ou avec la Maison de Martinique pour compiler toute la richesse de leur patrimoine oral?
Nous avons eu quelques contacts avec des fonctionnaires du Ministère de la Culture lors de nos derniers voyages au Cameroun, mais pour le moment, cela n'a pas encore abouti à quoi que ce soit de concret. Cela viendra peut-être en son temps. Pour la Martinique, « Les aventures de Compère Lapin » viennent tout juste de paraître, mais nous aimerions bien entrer en contact avec la Maison de Martinique.
Il est toujours passionnant de garder un souvenir de ses voyages quand on aime un pays et de transmettre l'amour d'une culture, en image ou par écrit. Allez-vous continuer à répertorier des contes au Cameroun?
Bien sûr! Nous avons collecté de nombreux contes qui n'ont pas encore été publiés, non seulement du Cameroun et des Antilles, mais également d'autres pays ou régions du monde où nous avons pu faire des rencontres. Nous avons beaucoup de textes pas encore publiés dans nos tiroirs. Certains le seront chez diverses maisons d'éditions avec qui nous travaillons régulièrement comme Flies chez qui sont sortis « Compère Lapin » et « Les contes du Cameroun », d'autres le seront au sein de notre nouvelle maison d'édition, A vol d'oiseaux. Nous y avons publié des recueils de contes, et un ouvrage premier âge, illustré par l'artiste peintre ivoirienne Muriel Diallo: « Phi l'éléphant sert à rien ». Une histoire très tendre pour les tout petits!
Est-ce-que vos ouvrages sont aussi diffusés et lus au Cameroun et en Martinique?
Quelques ouvrages sont disponibles au Cameroun, notamment à Yaoundé à la librairie l'Harmattan. La plupart sont disponibles à la bibliothèque de l'Institut français du Cameroun. Pour la Martinique, nos ouvrages sont distribués par les mêmes réseaux qu'en métropole.
Propos recueillis
par Pascale Athuil
Jessica et Didier Reuss. Les aventures de Compère Lapin. Illustrations de Joseph Torres. Editions Flies, 2015, 80 pages.
Jessica et Didier Reuss. Contes et légendes du Cameroun. Illustrations d'Anastassia Elias. Editions Flies, 2014, 220 pages.