Fatoumata Sano n'a pas encore de recueils sur le marché du livre. Cependant, elle entre par la grande porte aujourd'hui dans le monde littéraire puisque l'anthologie bilingue "A Rain of Words" lui fait la part belle en publiant quelques-uns de ses textes. La rencontre avec la professeur Irène Assiba d'Almeida, éditrice, s'est faite par pur hasard. Fatoumata Sano porte en elle le pays de son père et elle se souvient avec émotion du temps où sa mère lui racontait des histoires. Son univers littéraire est plutôt centré sur le conte et la poésie. |
Comment avez-vous rencontré la professeur d'Almeida ?
Notre rencontre a été comme programmée par le destin. Je suis fixée à Conakry depuis 1990 mais en 97/98 mes filles sont retournées à Dakar pour étudier. La professeur d'Almeida et moi nous sommes rencontrées dans un salon de coiffure. Je ne saurais même pas dire avec exactitude comment nous en sommes arrivées à parler poésie. Elle a pris mes coordonnées et voilà.
Savez-vous d'où vous vient cet amour des mots ?
J'ai toujours aimé lire. J'adorais les études que j'ai réussies grâce à Dieu, à mes parents et à tous les professeurs qui m'ont encadrée. Ma chère maman nous racontait, à mes frères, mes sœurs et moi, des histoires le soir et, je m'en souviens encore, il lui arrivait de s'endormir. Alors je la secouais pour qu'elle nous raconte la suite. Les larmes me montent aux yeux aujourd'hui à ce souvenir parce qu'elle m'a beaucoup apporté tout en étant analphabète. Quant aux poèmes que j'écris, je ne me réfère à aucune règle, je pose sur le papier les mots tels qu'ils me viennent, quand ils s'imposent à moi, de jour ou de nuit, suivant mon état d'âme; ils peuvent être oniriques ou écrits sous l'impulsion de ce qui me touche au plus profond de mon être : les enfants maltraités, les femmes bafouées, les familles disloquées...
Vous êtes lle fruit d'une double culture : la sénégalaise et la guinéenne : laquelle des deux influence l'autre dans vos écrits ?
Les deux. Je suis née au Sénégal, j'y ai fait mes études, mes enfants y sont nés aussi et je n'ai vraiment foulé le sol de la patrie paternelle qu'à l'âge de 30 ans! La Guinée vivait en moi : je la sentais toujours présente car ma mère, métisse mandjack et sarakholée, ne cessait de me parler de mes racines guinéennes. Elle chantait quand elle faisait les travaux domestiques. Dommage que je ne puisse pas vous faire entendre les sonorités de cette mélopée qui me réchauffaient le cœur. A Dakar, les commerçants de fruits sont pour la plupart guinéens et ils ont leurs petits transistors branchés sur radio Guinée. Combien de fois ne me suis-je pas arrêtée pour entendre quelques sonorités de cette belle musique que distillait la radio, entrecoupée parfois de mots d'une langue que je ne comprenais guère ? Et je me disais : "C'est le pays de mon père".
Comment peut-on expliquer la présence de la langue espagnole dans votre univers ?
L'espagnol et moi, c'est une vieille histoire d'amour, depuis mes 13 ans. Il y avait une émission que je n'ai jamais ratée ; elle s'appelait "Écho des Caraïbes" et passait sur la radio sénégalaise tous les dimanches après-midi. J'ai toujours adoré la musique et même chanté dans une chorale, Cigale Wakili, en 2006, ici, à Conakry. J'aurais voulu apprendre à jouer de la guitare mais maman s'y était opposée : "Il n'y a pas de griots dans ma famille ni dans celle de ton papa, nous sommes des nobles". Aujourd'hui encore, je regrette de n'avoir pas pu réaliser ce rêve.
Revenons à l'émission "Échos des Caraïbes"...
Lorsque j'écoutais chanter Célia Cruz, Joe Quijano, Chéo Feliciano, Aragon, Broadway, j'étais transportée et je répétais les paroles de leurs chansons sans rien comprendre. Dans les matinées dansantes, mon cousin Bijou Fall et moi exécutions des pas de "pachanga" que tous ses amis appréciaient. Arrivée au collège, les élèves avaient le choix entre plusieurs langues. Je n'ai pas hésité. Mes amis savaient à l'avance ce que j'allais choisir: l'espagnol ! Après ma licence, ma maîtrise et une année de formation à l'École Normale Supérieure de Dakar, j'ai enseigné l'espagnol, depuis 1979, d'abord au Sénégal et ensuite ici en Guinée.
En écrivant en espagnol, quel public visez-vous ?
J'écris en espagnol pour mon propre plaisir. Je ne sais pas si j'aurai un jour l'occasion de me faire connaître en Amérique latine, en Espagne ou en Guinée Équatoriale. Je ne peux écrire ni en ouoloff ni en malinké car je n'ai pas eu la chance d'étudier l'écriture de ces deux langues. Je parle très bien le ouoloff mais ne comprends pas le malinké.
En tant que professeur d'espagnol, que ressentez-vous ?
Une joie indicible! Récemment je suis allée à Dakar assister au mariage d'une nièce et une jeune femme m'a demandé si je la reconnaissais. Un peu gênée, je l'avoue, je cherchais comment me souvenir d'elle... Elle me dit: "Je suis une ancienne élève et je suis aujourd'hui professeur d'espagnol grâce à vous ; vous êtes mon modèle". J'étais émue aux larmes.
Vous avez créé une école maternelle, "Les Pharaons à Conakry", qui vous fait vivre et le Sénégal rêver ?
Je ne vois pas les choses ainsi. Il ne faut pas voir le seul côté lucratif. J'ai créé cette école parce que j'aime beaucoup les enfants. Tout ce qui est lié à eux me touche profondément. J'ai étroitement travaillé avec le ministère de la Promotion féminine et de la Protection de l'enfance et j'ai beaucoup écrit sur comment mener différentes activités à l'école maternelle. En 1997/98, j'ai fait un exposé sur "L'impact des jeux et des jouets sur le développement psychomoteur des enfants".
Et en 2001, vous êtes allée au Canada ?
En 2001, sur proposition de Berthe Lamou, un des cadres de la direction de la
petite enfance, j'ai fait partie du groupe d'auteurs qui a travaillé
avec les Éditions Beauchemin du Canada et Ganndal de Guinée afin
de produire un document à l'usage des formateurs et des
éducateurs du préscolaire guinéen? Ce ministère
travaille sans relâche pour que les enfants reçoivent à la
base une bonne formation; il est vrai qu'il y a beaucoup à faire.
Le
Sénégal est ma terre natale, je la porte en moi, et j'y ai deux
de mes filles qui s'y sont mariées, des parents, de très
chères amies d'enfance, de très bons souvenirs.
Pourquoi une école maternelle ? Est-ce dû à une passion pour les tout-petits ou simplement le bonheur d'être à l'écoute d'un monde qui s'éveille ?
C'est que c'est sûr que les mamans qui travaillent ont besoin
d'être aidées car souvent elles n'ont personne à la maison
pour les seconder. Les enfants sont encore fragiles lorsqu'elles doivent
reprendre le travail après leur congé de maternité. Les
maternelles accueillent les enfants et en même temps les encadrent dans
leurs différentes découvertes à travers la communication
orale, les activités artistiques, leur éveil, le
développement de leurs compétences en motricité fine,
globale...
Les activités artistiques développent la sensibilité des
tout petits, impriment en eux la notion du beau, développent leur
motricité fine, une des étapes vers l'écriture, et leur
font acquérir une estime de soi après un dessin ou une peinture;
la littérature, ils la découvrent sous forme d'images à
commenter pour faire vivre leur imaginaire. Ensuite il y a les contes. La
manipulation des livres ne doit pas être négligée. Si
l'enfant est en contact avec des livres, il s'intéressera à la
littérature, il continuera à lire et, pourquoi pas, à écrire
plus tard.
Il est donc indispensable d'initier les enfants au livre dès le plus jeune âge ?
Indispensable même. Tout le monde y gagne. L'enfant sera habitué à ouvrir un livre sans qu'on le lui demande. Les parents ne seront pas obligés de lui courir après pour qu'il lise, son attention sera plus soutenue en classe. Il aura ainsi davantage de chances de réussir car il sera curieux. Pour l'éveil à l'écriture, il faut mettre à la portée de l'enfant tout ce qui aide à assouplir ses mains, ses poignets (pâte à modeler, pétrissage, découpage etc.), utiliser la méthode graphique pour l'amener sans le brusquer ni le traumatiser vers l'écriture. Il faut retenir au passage qu'en maternelle, l'écriture et la lecture sont très liées...
Des projets ?
Continuer à écrire chaque fois que l'inspiration me visitera. Ce que j'écris sera-t-il un jour édité? Oui, pourquoi pas! Pour ce qui est de la maternelle, j'ai envie de l'agrandir... Nous manquons aussi de tellement de choses sur place. Les moyens font défaut pour beaucoup car souvent, il faut faire dans le social.
Propos recueillis
par Marie Léontine Tsibinda
Contact: [email protected]