Rabia Diallo est une jeune écrivaine qui vient de publier son premier roman « Amours cruelles, beauté coupable ». Née à Casablanca, d'une mère marocaine et d'un père sénégalais, il y a 29 ans, elle a grandi à Dakar. Rabia Diallo est diplômée en administration des affaires, spécialisée dans le Marketing et la Communication. Entretien. |
Depuis quand écrivez-vous?
Officiellement, je publie depuis maintenant six ans. Officieusement, j'écris depuis l'école primaire. A l'époque, j'écrivais surtout des poèmes, pour me « confesser », me libérer, avouer, exprimer mes émotions, mes sentiments, mes pensées...
Comment est né votre roman "Amours cruelles, beauté coupable"?
Ce roman a toujours été, inconsciemment, une évidence. Comme toutes les adolescentes, j'ai connu des moments de discorde avec mes parents. Je suis une personne sensible à l'extrême, et je n'ai pas bien vécu cette étape de ma vie. Je me disais tout le temps, « quand je serais grande, j'écrirai un livre pour sensibiliser les filles ». Cela ne veut pas dire que c'est un roman autobiographique. Cet ouvrage est bien loin de ce que j'ai vécu. J'ai fait une sorte de caricature. J'ai imaginé jusqu'où le manque de communication, le conflit de générations, peut aller. Parfois, cela peut être fatal.
Une beauté peut-elle être coupable?
Oui, sincèrement. La beauté peut même être fatale. La beauté extérieure suscite l'amour, la passion, l'obsession, l'envie, la jalousie. La beauté intérieure mène très souvent à la naïveté, l'insouciance et l'irréalisme. Cette beauté est à l'origine de plus de problèmes qu'elle n'en résout.
Des amours peuvent-elles être cruelles?
Au-delà de l'amour, c'est la vie qui est cruelle. Pour revenir à ce sentiment merveilleux, oui, il peut causer beaucoup de souffrances, c'est indéniable. C'est le paradoxe de l'amour. C'est le sentiment qui unit notre Seigneur à nous, ses créatures; c'est le sentiment qui unit les familles; c'est le sentiment qui unit l'homme et la femme, qui fonde un foyer. C'est le sentiment qui est le socle du monde, la base de nos vies. Mais l'amour peut aussi faire terriblement souffrir, d'où le mot "cruel". Le personnage de mon roman, Imaan, vit des amours cruelles, car elle est au centre d'une vie où ses parents, ses frères et sœurs, son amoureux Karim, l'aiment. Elle les aime aussi, de toute son âme. Mais elle souffre énormément de cet amour. Karim l'aime, mais fait ce qu'il a envie de faire. Ses parents l'aiment, mais la punissent sévèrement, la protègent trop. C'est pourquoi, il faut faire attention à trop vouloir « bien châtie r».
En quoi ce thème du conflit de générations est-il actuel?
Ce problème existe et existera toujours parce que simplement, il y aura toujours un décalage, dans l'esprit, entre les parents et les adolescents. Les parents mûrissent, et très souvent, en oublient leurs propres folies, ce qui les rend intolérants. En plus, ayant vécu des expériences pas toujours agréables, ils veulent protéger leurs enfants, naturellement. Malheureusement, quand on aime son enfant, on perd son objectivité et on fait très souvent les choses de travers. Par contre, tous ces conflits peuvent être surmontés grâce à ce remède incontournable et inévitable, qu'est la communication. Communiquer pour d'abord dissiper et éviter les malentendus, communiquer pour insuffler de la force intérieure, de la confiance à sa progéniture, communiquer pour lui insuffler la connaissance et le faire bénéficier de ses expériences. Il faut aussi savoir et pouvoir ouvrir son cœur, sans limites. Il faut aussi savoir psychologiquement, se mettre au niveau des enfants car le contraire est impossible.
Imaan, Karim, Anna: résument-ils votre roman?
Non, au-delà d'eux, il y a les parents d'Imaan qui jouent un rôle central. Il y a Bouba, le violeur, sorti de nulle part, un soir, et qui fait basculer la vie d'lmaan, d'une minute à l'autre. Il y a ces traditions, tenaces, qui défient la culture croyante. Il y a le Dr Koné, qui joue un rôle salvateur, et, dans un sens plus large, il y a le destin, l'irréversibilité du temps et de nos choix.
Votre roman a été aussi un prétexte pour parler de la société sénégalaise. Que pensez-vous de la persistance du système des castes (vieux) dans les conditions actuelles (modernité)?
Nous vivons dans une société atypique. La religion et la tradition y cohabitent de façon très particulière. C'est comme si nous disions: d'accord, on veut bien adopter la culture musulmane, voire chrétienne, ses valeurs, et même le mode de vie, mais on ne prend que ce qui nous arrange. Je ne peux pas comprendre que dans une société où la quasi-totalité des gens se disent croyants, on en reste à ce niveau où, deux personnes ne peuvent vivre leur amour, ne peuvent pas fonder un foyer, parce que simplement l'une des familles se considère supérieure à l'autre. Ils ont peut-être leurs raisons. Le pire, c'est qu'en général, les gens ont peur de se lancer dans des projets d'union. Ils ont peur que leurs enfants soient marginalisés. Le choix devient alors difficile et on assiste à des vies brisées, des grossesses hors mariage. Tout cela pour dire que si on interdit à deux personnes qui s'aiment de s'unir, pour des raisons de clivages sociaux, on ouvre la porte à la débauche. Ils feront tout ce que nos valeurs interdisent. Je me rappelle un commentaire que j'ai lu une fois sur un site internet sénégalais. Quelqu'un avait dit que ce qui l'énervait, c'est que les parents refusent toujours de donner leur enfant en mariage à un homme de caste inférieure alors qu'ils acceptent de le marier à un étranger. Par exemple un Noir Américain n'essuierait jamais de refus, alors qu'il est, lui, descendant d'esclave. J'ai trouvé sa remarque très pertinente et intelligente.
Certaines femmes sénégalaises sont très dépensières lors de cérémonies familiales. Qu'en pensez-vous?
Quand cela vient du cœur, quand on a envie d'offrir rien que pour faire plaisir, c'est tolérable. C'est l'ostentation pure qui est révoltante. Des gens le font, pour leur image, pour montrer à quel point ils sont « nobles » et riches alors que quelque part, au Sénégal, un membre de leur famille crève de faim, ou, pire, un voisin proche risque de mourir car il n'a pas de quoi se soigner. Le plus important, c'est de faire les choses avec le cœur, sincèrement, mais raisonnablement.
À propos de l'édition au Sénégal, comment se porte-t-elle au vu de votre parcours?
L'édition au Sénégal n'est pas très vivante. Par contre, j'ai eu la chance d'avoir été acceptée aussitôt que j'ai déposé mon manuscrit. Écrire est une pratique ingrate, au Sénégal. On ne le fait que par passion. On ne peut pas espérer devenir riche, grâce à ses écrits, à moins de gagner peut-être des prix. Je trouve cela assez dommage qu'on passe des années de sa vie à travailler, à imaginer une histoire, à la raconter, à lui donner forme, et qu'après, on se retrouve à gagner au plus, 10% sur les ventes, quand on est chanceux. Mais, je suis très satisfaite de ma collaboration avec l'Harmattan Sénégal car cette maison a imprimé un ouvrage de qualité et je bénéficie d'une grande présence sur Internet et d'une distribution mondiale. Le problème fondamental, c'est qu'au Sénégal, les gens ne lisent pas, ou plus, et du coup, nos livres ne se vendent pas massivement. Pour moi, il est essentiel d'abord de faire un travail d'éducation, de sensibilisation, ce qui suscitera le besoin, et permettra aux écrivains de mieux partager leurs ouvrages, et ainsi, leurs opinions.
Y a-t-il de l'espoir pour une jeune littérature féminine sénégalaise?
Oui, même au-delà de la distinction homme-femme, il y a de l'espoir. Nous avons tellement de choses à raconter, et c'est notre devoir de léguer aux générations futures une photographie de la société d'aujourd'hui, ainsi que son histoire. J'éprouve de l'admiration, du respect et une gratitude profondes pour Mariama Bâ, par exemple. Une si longue lettre, le chef-d'oeuvre qu'elle nous a légué, transcende les générations et nous enrichit, nous jeunes femmes, mariées, actives ou non. J'aimerais qu'un jour, dans cinquante ans, ou cent ans, que nos petits-enfants disent cela de Nafissatou Dia Diouf, de Mariama Ndoye, de Fatou Diome, de Rabia Diallo et de tant d'autres qui ont chacune des histoires à raconter, des expériences à partager, des choses à dire.., et je pense que si nous bénéficions du support nécessaire et d'une certaine dose de chance, nous y arriverons»
Propos recueillis
par Alain Barry