Avec son premier livre "Reines d'Afrique et héroïnes de la diaspora noire", Sylvia Serbin a réussi un grand pari: rendre à la femme noire ce que la civilisation universelle lui doit. A 53 ans, cette journaliste, spécialiste en communication et historienne de formation, est née et a vécu pendant une trentaine d'années en Côte d'Ivoire et au Sénégal. Auteure de séries historiques pour la radio et la presse écrite, Sylvia Serbin a rédigé une contribution pour l'histoire générale de l'Afrique de l'Unesco (volume 8). Depuis 2001, elle relève d'autres passionnants défis en tant que conseillère municipale de Fontenay-le-Fleury, près de Versailles. |
Avant de commencer ce livre, que saviez-vous de ces femmes illustres dont vous racontez l'histoire ?
En travaillant sur des archives militaires pendant mon année de maîtrise d'histoire, je suis tombée sur le compte rendu d'une bataille qui opposait les troupes françaises commandées par le Général Faidherbe à une armée africaine conduite par une reine sénégalaise au XIXe siècle. Évidemment, cela a attiré mon attention. J'étais même intriguée car tout au long de mes études, jamais personne ne m'avait parlé de femmes qui ont marqué l'histoire. Je me suis donc renseignée sur le pays et la reine en question. A partir de là, je recueillais systématiquement tout sur les figures féminines. Même si mon métier de journaliste m'a poussé vers d'autres horizons, j'ai gardé intacte ma passion pour l'histoire. Dès que j'avais l'occasion de voyager pour un reportage ou une enquête dans un pays africain, j'en profitais pour interroger des traditionalistes, des vieux et aussi les moins âgés. Il y a une vingtaine d'années, j'ai eu à faire une série d'émissions historiques à succès sur Radio France. Petit à petit, je me suis constitué une importante documentation sur le sujet. Et puis mon parcours professionnel m'a emmenée vers d'autres centres d'intérêts.
Jusqu'au jour où votre fille vous "ouvre" les yeux...
Le déclic est effectivement venu de ma fille. Elle m'a confié un jour: "Comment se fait-il que tous les autres peuples ont des femmes célèbres et pas nous ? Les Indiens ont Pocahontas, les Américains, Calamity Jane, les Français, Jeanne d'Arc, les Anglais, la reine Victoria. Et nous, on n'existait pas avant ?" Elle était alors âgée de huit ans. Comme je ne voulais pas laisser un enfant sans réponse, j'ai repris mes notes, et afin que tous les jeunes et les parents en butte à ce genre d'interrogations puissent en profiter, j'ai écrit ce livre.
J'imagine qu'il n' y avait pas que les vingt-deux femmes du livre qui étaient connues. Quels ont été vos critères de choix ?
D'abord, il faut dire que la femme, malheureusement, a été rarement valorisée en tant qu'actrice de la vie sociale et politique. On se contente de dire qu'elle est le pilier de la société et c'est tout. Jamais, on ne l'a présentée comme dirigeante d'une communauté, résistante ou personnage central faisant face à un certain nombre de problèmes. Pourtant, les figures féminines historiques sont légions en Afrique. Il a donc fallu faire un tri. J'avoue que c'était un véritable défrichage car c'est la première fois que ce genre de travail se fait. Je tenais à ce qu'il y ait des sources écrites qui viennent confirmer les faits rapportés par la tradition orale. Beaucoup de personnes ont encore des doutes sur les sources orales et je ne voulais pas qu'on dise que j'ai inventé ces personnages. Les sources arabes du Moyen-Age m'ont beaucoup aidée. Les voyageurs et les géographes de l'époque se sont intéressés à plusieurs détails, ont cité des personnages et parlé de ce qu'ils faisaient.
Ce qui est frappant dans votre livre, justement c'est la diversité de ces héroïnes...
Effectivement, à part les reines, on retrouve des femmes d'influence, des résistantes, des prophétesses, des guerrières, des mères de héros et des victimes comme la Vénus Hottentote. A travers ces 22 portraits, j'ai touché une vingtaine de pays africains, les Antilles et les États-Unis. Mon objectif n'était pas de démontrer quoi que ce soit. Je n'avais pas d'a priori. Le plus important était de trouver des personnages. Cela a été difficile et c'est pourquoi cela m'a pris beaucoup de temps. C'était un vrai combat: je ne voulais ni deux ni six personnages seulement. J'en ai trouvé vingt deux . C'est déjà pas si mal. Mais c'est une première contribution qui, je l'espère, donnera envie à d'autres chercheurs - y compris les plus jeunes mieux outillées que moi - de poursuivre les recherches, d'interroger les anciens avant qu'il ne soit trop tard, d'aller à la quête de ces personnages - hommes ou femmes - emblématiques de notre passé.
Pourquoi avoir choisi de parler des amazones du Bénin dans leur ensemble plutôt que de dresser le portrait d'une illustre amazone par exemple ?
Parmi les amazones, il existait des trajectoires individuelles très marquantes auxquelles je pouvais m'intéresser mais je trouvais que le corps en lui-même était emblématique d'une réalité. Quand on a un corps de femmes qui a été formé pour défendre le pays et qui se considère comme le rempart de valeurs séculaires d'un pays cela veut dire que dans la société les femmes estiment qu'elles ont un rôle à jouer et elles le montrent par leurs actes. C'est en cela qu'il me paraissait important de parler du corps des amazones plutôt que de brosser le portrait d'une seule des leurs.
En lisant votre livre on est transporté d'émotion. On a l'heureuse impression d'y être soi-même. D'où vous vient ce talent de conteur ?
C'est vrai que ma formation de journaliste m'a beaucoup aidé. J'ai longtemps écrit pour les autres ; j'ai fait de la presse écrite et de la radio. Il faut dire que ce dernier média est très formateur car il faut toujours aller à l'essentiel, captiver les gens et illustrer ses propos par un style imagé. J'ai écrit ce livre comme un conteur sous l'arbre à palabres.
D'origine antillaise, vous êtes née et avez longtemps vécu en Afrique. A laquelle de ces figures féminines vous identifieriez-vous ?
Je m'identifie à toutes ces femmes dans la mesure où elles ne se sont pas dérobées au combat de la vie. Je considère que les femmes de ma génération sont des battantes. Nous avons été marquées par le féminisme. Pour moi, c'était important de montrer que nous n'avons rien inventé et que nous sommes les descendantes de nos dignes ancêtres. Cela dit, j'avoue que j'ai été beaucoup plus sensible aux destins individuels. A l'inverse des reines, des guerrières et des autres qui avaient le soutien des groupes dont elles étaient l'émanation, la résistante guadeloupéenne Solitude ou la Vénus Hottentote étaient des femmes seules face à l'adversité. Dans leur trou à rat, on les voit progressivement prendre conscience. Pour elles, le principal était de survivre. Il leur fallait parer les coups, lutter pour ne pas mourir. Ces deux destins-là m'ont le plus touchés car elles étaient faibles, désarmées et seules face à l'oppression, à l'esclavage.
Dans les manuels scolaires et les médias, l'abolition de l'esclavage est présentée comme un cadeau des humanistes européens...
En écrivant l'histoire, nos anciens colonisateurs ont fait comme si l'Afrique n'existait pas avant leur arrivée sur le continent. C'est pour cela que dans mon livre, je suis allée bien au-delà. Comment imaginer que le continent le plus anciennement peuplé, d'où viennent tous les hommes, n'ait pas eu d'histoire avant le XVIe siècle. Concernant plus particulièrement l'esclavage comme beaucoup d'autres faits importants qui ont marqué le passé des peuples noirs, ceux qui ont écrit notre histoire de l'extérieur avait intérêt à nier l'existence des grands royaumes et à minimiser la valeur de la résistance. En réalité, les esclaves ont arraché leur liberté. L'abolition n'a pas été un cadeau. De plus avec la révolution industrielle, les esclavagistes avaient plus à perdre à faire face aux incessantes révoltes des esclaves. Les grandes puissances industrielles avaient davantage besoin de marchés et de nouveaux consommateurs de leurs produits manufacturés. Malheureusement, il y a un grand silence sur ces révoltes d'esclaves. Dans mon livre, je montre plusieurs types de résistantes : les résistantes à l'esclavage arabe dont on ne parle pratiquement jamais dans les livres d'histoire et qui jusqu'au XXe siècle poursuivait silencieusement ses ravages, à l'esclavage français comme la mulâtresse Solitude, à l'esclavage américain avec Harriet Tubman et la Vénus Hottentote qui était, quoi qu'on dise, une esclave. Elle a été traitée comme un animal de foire dans deux pays promoteurs des droits de l'homme. Il était important pour moi de montrer que les esclaves n'étaient pas ces gens dociles et sans réaction comme on a voulu nous le faire croire. L'Afrique n'est pas comme on le présente un continent figé, réceptacle de civilisations extérieures. L'histoire universelle doit beaucoup à l'Afrique. Je sais que cela va susciter des polémiques mais il était temps d'avoir une position courageuse.
Vous parlez aussi de Néfertiti. Elle est assez connue, non ?
Le personnage de Néfertiti m'a intéressée à double titre. D'abord pour rappeler que l'Égypte appartient à l'Afrique. Parce qu'on a trop tendance à présenter la civilisation égyptienne comme étant plus proche de l'occident que de l'Afrique. J'insiste, l'Égypte est bien africaine et de tous temps elle a eu des échanges commerciaux avec des royaumes comme celui du Mali. Ensuite, Néfertiti a toujours été considérée comme une belle femme. Rien de plus. Or, en fouillant, on se rend compte qu'elle a joué un rôle très important. On estime que c'est elle qui a influencé la décision de son mari, le pharaon Akhenaton, d'imposer le culte du dieu soleil à l'Égypte. Elle venait d'un pays monothéiste, Elle a aussi joué un rôle important dans le développement des arts, de l'architecture et de la sculpture. Sauf à consulter les archives des spécialistes, le grand public n'a pas accès à cette facette de la personnalité de Néfertiti. C'était important pour moi de montrer qu'elle n'était pas uniquement une belle femme mais aussi une femme d'action et d'influence.
Comme Malan Alua, la "Messaline noire" du royaume Sanvi de Côte d'Ivoire...
Malan Alua était surtout une femme libre dans le sens le plus large du terme. Comme, d'ailleurs, Tassin Hangbé, qui exerça une courte régence sur le trône d'Abomey (actuel Bénin) au début du XVIIIe siècle. Les princesses avaient un statut particulier. C'étaient des femmes émancipées qui n'entendaient subir aucune contrainte sur leur vie privée. A ce titre, elles avaient parfois une vie libertine. Elles participaient au pouvoir par leurs conseils. Malan Alua est considérée comme une reine importante mais sa vie privée est venue entacher quelque peu son action. Son mal-être profond l'a poussée à la cruauté. Je ne voulais pas montrer que des femmes parfaites dans ce livre. Mon but n'était pas d'encenser le passé en prétendant que tout était magnifique. Il n'y a pas eu que des héroïnes positives. Il y a eu des chocs très violents entre sociétés et groupes ethniques. Il fallait le dire aussi.
Vous êtes aussi revenue sur la romance du couple mixte franco-malien Salou et Anselme. Inimaginable au XVe siècle, non ?
L'histoire de ce couple montre que c'est bien après qu'on a commencé à construire ce regard négatif sur l'Afrique pour justifier la domination coloniale, piller l'Afrique en faisant croire que les Africains étaient des sauvages et qu'il fallait leur apporter la civilisation. La romance de la princesse malienne Salou et du gentilhomme toulousain Anselme était une belle histoire. Salou était une femme très cultivée qui avait une vie sociale très riche. Anselme qui était l'un des premiers européens à être arrivé dans l'empire Songhaï au Moyen-Age, n'avait pas de préjugés. Ils se sont connus et aimés parce qu'en dehors du sentiment qui les unissait, ils étaient intellectuellement très proches l'un de l'autre. Ce qui est frappant, c'est que dans la société de l'époque, ils ont accepté un Français qui n'était pas de la même religion qu'elle. Je dis bien que c'était un mariage œcuménique avant l'heure. Cela ne posait pas de problèmes parce que c'étaient deux sociétés tolérantes. A l'inverse, quand Salou est arrivée en France, elle n'a pas été acceptée dans la société toulousaine de l'époque. Elle a été frappée d'ostracisme et est restée cloîtrée entre sa maison, sa bibliothèque et l'église où elle allait régulièrement. Alors qu'à Gao, elle connaissait les plus grands savants, les plus grands voyageurs. De plus, elle était dans une famille où on recevait énormément.
Avec votre livre vous réparez une injustice...
Oui. Je crois que c'est la première fois qu'un tel ouvrage a été réalisé. Je souhaite qu'il puisse connaître une large diffusion. C'est très important qu'un maximum de gens et surtout la jeune génération (les collégiens, les lycéens etc.) puisse connaître ce passé-là. Face à la télévision et au cinéma où tous les héros sont des occidentaux, les enfants ont besoin de nouveaux repères. C'est difficile pour eux de se forger une identité positive dans la mesure où ils ont l'impression que le peuple noir n'a rien apporté à l'histoire de l'humanité. Il est temps de leur montrer que parmi leurs ancêtres, il y a des personnages qu'ils peuvent revendiquer avec fierté. Le courage, la dignité ou la fierté n'est pas l'apanage d'un seul peuple. Ce sont des valeurs universelles qu'on retrouve dans toutes les cultures. Mon rêve c'est que partout dans le monde on puisse citer en exemple Solitud ou Harriet Tubman et pas seulement Jeanne d'Arc.
Propos recueillis
par Gnimdéwa Atakpama
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