Fatoumata Sidibé
Son premier roman, "Une saison africaine", porte un regard lucide sur les défis qu'affronte l'Afrique, en particulier ses femmes.
Fatoumata, Fathy ou Fatou. Une femme aux mille vies. On la croyait responsable associative et journaliste, on la découvre également écrivaine, peintre et militante engagée. Cette licenciée en communication et journalisme est fébrile, enthousiaste, curieuse, passionnée et passionnante. Son premier roman, "Une saison africaine", récemment publié aux Editions Présence Africaine, séduit par son optimisme et son souffle de liberté. Rencontre avec celle qui est également correspondante permanente du magazine AMINA en Belgique : une personnalité plurielle à plus d'un titre. |
Femme touche-à-tout, vous êtes sollicitée et présente sur plusieurs fronts. Quel est votre parcours ?
J'ai passé les premières années de ma vie en Belgique et en Allemagne avec mes parents. Mon père, Toumani Sidibé, travaillait à l'Ambassade du Mali comme comptable. Mes années d'adolescence se sont passées au Mali. A 17 ans, à la suite de grèves estudiantines, je suis revenue en Belgique rejoindre ma sœur. J'y ai terminé mes études secondaires puis universitaires. Mon diplôme en poche, j'ai proposé mes services à différents magazines. A la faveur d'une rencontre en 1990, le professeur, écrivain et historien guinéen Ibrahima Baba Kaké m'a conseillé de proposer un article au magazine AMINA sur "les femmes intellectuelles africaines et les carcans de la tradition". Cet article a été publié dans la Tribune libre. J'ai récidivé quelques mois plus tard avec un article intitulé "Excision et infibulation : pourquoi saccager le sexe des femmes ?". C'est ainsi que j'ai occupé quelques tribunes libres dans le magazine AMINA jusqu'en 1991 où j'ai animé la rubrique "Lettre de Belgique". Depuis 1994, je suis correspondante permanente de presse à Bruxelles. Parallèlement, j'ai collaboré à plusieurs magazines: Ulysse, Negrissimo, Noir Sur Blanc, Défis Sud, Demain le Monde, Tradition's Magazine, Hémisphère Sud, Femmes d'Aujourd'hui. J'ai publié quelques cartes blanches dans le journal Le Soir. Mes activités se sont diversifiées au fil des années. J'ai travaillé dans le domaine de la communication, de l'édition, des relations publiques et du social tant pour le privé que dans le monde associatif et la coopération au développement. D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours exercé plusieurs métiers en même temps, comme employée et indépendante. Je terminais une journée pour en entamer une autre. Depuis 2002, je suis responsable de projets au Centre régional du Libre Examen de Bruxelles où, outre l'organisation de colloques et de conférences, je mène des études et publications concernant la problématique des femmes issues de l'immigration. En 2006, j'ai notamment coordonné avec le Centre du Libre Examen trois ouvrages consacrés aux associations de femmes plurielles.
Vous venez de publier votre premier roman. Est-ce une nouvelle activité ?
J'ai toujours aimé lire et écrire. Je tiens cela de mon père qui m'a donné cette chance extraordinaire de frotter et limer mon esprit contre celui des autres et de me construire une pensée par l'écriture. Toute jeune déjà, j'ai lu Proust, Mérimée, Pearl Buck, Balzac, Zola, Camus. En réalité, je dévorais tout ce qui me tombait sous la main. Mon père ne pouvait me donner plus bel héritage. Cela dit, publier n'a jamais été une obsession. Simplement une finalité logique. C'est la raison pour laquelle je n'ai jamais été pressée de publier. "Une saison africaine" a dormi longtemps dans mon tiroir avant d'être envoyé à un éditeur.
"Une saison africaine", c'est quoi en substance ?
"Une saison Africaine", c'est l'histoire d'une jeunesse qui, en cherchant la voie d'un possible bonheur, est atteinte par le virus de l'inexorable modernité. C'est l'histoire de femmes africaines enfermées dans leur destin et prisonnières de traditions castratrices dont elles voudraient s'affranchir. C'est un roman qui porte un certain regard sur une Afrique spoliée et exsangue de la post-indépendance en proie au chômage, à l'exode rural, à l'analphabétisme, à l'insuffisance et la vétusté des infrastructures sanitaires, à la corruption et aux pratiques concessionnaires des groupes dirigeants. C'est l'histoire d'un amour qui marche, tel un funambule, sur une corde raide et qui, de l'Afrique à l'Europe, n'aura de cesse de tenter d'abolir les frontières. C'est aussi un roman d'espoir qui montre combien, dans ce chaos, les hommes et les femmes d'Afrique s'organisent et luttent pour sortir du marasme, pour améliorer les conditions de vie et vouer sans ambages aux gémonies la légende obstinée d'une fatalité arc-boutée contre tout un continent.
Dans votre livre, vous montrez que l'émancipation des femmes est aussi celle des hommes...
Cheickna est un fils de l'Afrique parti étudier en France avec des
idéaux plein la tête et revenu parmi les siens pour tenter
d'apporter sa pierre au développement de son pays. Sa famille comme
toutes celles de ce village niché au fond de l'Afrique de l'Ouest, est
une modeste famille de paysans analphabètes vivant dans le respect des
traditions et des coutumes sous la puissance protectrice des ancêtres. La
vie s'écoule au rythme des récoltes, ponctuée par les
naissances et les décès. Très peu d'enfants ont
accès à l'école et rares sont ceux qui dépassent le
stade de l'alphabétisation. C'est donc un miracle si au lendemain des
indépendances, Cheickna décroche une bourse pour étudier
à Paris. Lorsqu'il revient parmi les siens, paré de gloire et
empli de connaissances mais avec la moitié de son cœur en
bandoulière, l'autre moitié traînant chez les Blancs, il
comprend toute la difficulté de concilier ses traditions africaines avec
ses acquis européens. Il découvre l'épouse que son
père a choisie pour lui en son absence.
Malgré la soumission dans laquelle elle a été
élevée, Coumba a toujours ressenti les sacrifices et les brimades
subies par ses mères comme une grande injustice. Sans jamais avoir
été à l'école ni su qu'autre chose existait
ailleurs, elle sait qu'un autre monde est possible pour les femmes. Alors
qu'elle appréhendait d'être donnée comme épouse
à un vieux, son mariage arrangé avec Cheickna lui apparaît
comme une providence. Assurément, un homme parti étudier en
France, qui a vu et vécu autre chose lui offrira une vie
différente. Mais entre eux deux, Nathalie la Blanche, vaincue par
l'amour, est prête à accepter ce que d'autres femmes subissent
comme une injustice. Ce sont les femmes qui, en voulant se libérer des
chaînes des traditions ou pour trouver le bonheur, vont libérer
Cheickna.
On peut dire qu'"Une Saison africaine" est aussi un roman d'actualité à l'heure où, en Europe, la question de l'intégration des femmes issues de l'immigration est au cœur des débats.
Dans mon roman, Coumba est une femme analphabète qui arrive, grâce à sa pugnacité, à se libérer des chaînes de la tradition. Elle y arrive surtout grâce à l'alphabétisation. En Europe aussi, les femmes migrantes découvrent un espace de liberté grâce à l'alphabétisation, les mariages subis sont encore pratique courante au sein de ces communautés, les mariages mixtes sont parfois difficiles même s'ils font désormais partie du paysage social et les anciennes générations tentent de préserver les jeunes d'une forme d'aliénation culturelle.
S'agit-il d'un roman autobiographique ?
Non mais comme dans toute œuvre littéraire, il y a un peu de l'auteur(e) dans les différents personnages. Il paraît que dans mon roman, on sent parfois plus le descriptif ou la situation vécue que la véritable fiction, mais, c'est paraît-il le lot de la plupart des premiers romans.
Quand on lit "Une Saison africaine" on comprend mieux votre engagement comme militante. Avec une poignée d'hommes et de femmes, vous avez lancé il y a un an le Comité belge "Ni Putes Ni Soumises" dont vous êtes la présidente.
En mars 2005, j'ai eu l'occasion d'assister a une conférence
donnée au CCLJ par des militants français du mouvement
international "Ni Putes Ni Soumises". J'en suis sortie remuée. Enfin, un
mouvement qui ne mâchait pas ses mots et qui donnait envie au citoyen de
prendre entièrement place dans le débat public. La Belgique, qui
abrite la capitale de l'Europe, se devait de prendre ce train en marche. Il y a
urgence face à la dégradation du statut et des droits des femmes,
la montée des modèles et des enfermements obscurantistes,
machistes et communautaristes, le repli identitaire, la montée des
extrêmes, le sexisme, le racisme, la misogynie, l'antisémitisme,
l'homophobie, les discriminations et fascismes de tout bord. Parce que chez
nous aussi, il faut briser le silence sur les discriminations et les violences
faites aux femmes (violences conjugales, mariages forcés, déni du
corps, excision, crimes d'honneurs), sur les traditions archaïques et les
dérives religieuses qui endoctrinent les garçons et asservissent
les filles.
Parce que nous ne pouvons pas, sous couvert du respect de la différence
et du relativisme culturel, être par notre silence, complices de
certaines traditions et dérives religieuses qui bafouent les droits des
femmes. Parce que nous voulons lutter contre l'atmosphère
générale de non respect qui s'est installée, banalisant
des actes ignobles. Mais, "Ni Putes Ni Soumises" veut avant tout une action
décidée sur le terrain, mettre l'accent sur l'éducation et
la sensibilisation, en libérant la parole, en se mobilisant pour que les
valeurs de mixité, laïcité et égalité soient
appliquées à tous et à toutes sans exception, pour vivre
ensemble dans le respect de l'autre. Nous voulons écouter, accueillir,
aider, accompagner psychologiquement et juridiquement les femmes soumises
à la loi du silence, libérer la parole, sensibiliser,
éduquer, aller partout où la société fait mal et
pour cela nous mobiliser: voilà le combat indispensable à mener !
(contact@ niputesnisoumises.be)
A ce sujet, on vous voit partout dans la presse : Le Soir, Elle, Le Ligueur, Ma Santé, Femmes d'aujourd'hui, sans compter les journaux associatifs. C'est à croire que vous avez entamé une vraie campagne médiatique.
Ce n'est pas nous qui allons vers la presse mais la presse qui vient à nous. Au cours de ces derniers mois, nous avons pris la mesure du terrain, participé à de nombreux colloques, conférences, rencontres, manifestations, émissions télé et radio, fait l'objet de nombreux articles de presse. A chaque fois, nous avons été assaillis par les demandes d'informations, les propositions de collaboration, les demandes d'adhésions. Des hommes, des femmes. De toutes classes sociales, de toutes couleurs. De 17 à 77 ans. L'intérêt suscité témoigne de l'extraordinaire énergie citoyenne qui anime les hommes et les femmes et surtout confirme que nous sommes dans le bon. Je crois en la force des idées.
Vous êtes une artiste touche-à-tout et vous vous avez également des talents de peintre. Vous peignez essentiellement des masques. Vos tableaux peints à l'huile explosent en gammes de couleurs et reflètent une belle mixité afro-européenne. Comment trouvez-vous le temps de peindre et pourquoi des masques ?
Sans être douée, j'ai toujours aimé dessiner. En réalité, dès que j'avais une feuille en main, c'était pour y gribouiller des textes ou dessiner. Je suis arrivée à la peinture par le chemin de ma découverte intérieure. Un soir, avec un pastel et une feuille, ma main a dessiné des formes géographiques sans savoir où l'aventure créative la mènerait. Le résultat fut un masque que je trouvais particulièrement mystérieux et effrayant. Je me suis mise à peindre pour me relaxer de mes multiples activités. Il s'agissait juste de me poser et de prendre du temps pour moi. Tout naturellement, mon inspiration s'est posée sur l'immense magie des masques. Traditionnellement utilisé en Afrique dans les rites religieux, initiatiques, funéraires, dans les manifestations théâtrales ou burlesques souvent liées aux mythes fondateurs de l'ethnie, le masque permet la personnification d'une divinité ou d'une entité d'un autre plan. Le porteur du masque se met au service de cette force supérieure et en relate la volonté à travers les mouvements et gestes qu'il fait. Les masques sont donc des attributs dont les Dieux et les ancêtres ont besoin pour se faire entendre et voir. Les forces résidant dans les masques permettent d'interpeller les puissances surnaturelles et tentent d'intercéder auprès des esprits pour le bien des peuples. Force est de constater que la fonction religieuse ou mythique de ces masques est peu à peu oubliée, surtout en Europe où l'on ne privilégie de cet art que la forme esthétique. J'ai passé plus de trente années de ma vie en Belgique. Malgré ces années, l'Afrique est restée présente en moi avec ses contradictions qui à mon sens peuvent être dépassées. Je me rappelle les interminables contes autour d'un feu qui nous menaient au bout de la nuit et nous parlaient des esprits, bons ou mauvais qui sortaient rôder longuement. Il est étonnant de voir à quel point je retrouve cette crainte infondée en regardant certains de mes tableaux inspirés de masques réels ou nés de mon imaginaire traditionnel. En les sortant de leur contexte pour les présenter sur toile, j'intègre à la fois la dimension magique telle qu'elle m'a bercée durant mon enfance et la dimension purement esthétique européenne. Ce travail est le symbole de mon métissage culturel.
Prévoyez-vous d'exposer vos peintures ?
Je n'avais jamais pensé que je serais amenée à exposer un jour, mais force est de constater que mes tableaux, qui s'entassent chez moi, récoltent beaucoup d'éloges. C'est dans le partage que se nourrit l'artiste. A l'occasion donc de la sortie de mon roman, je prépare une première exposition de peinture qui se déroulera du 26 octobre au 15 décembre chez Triangle 7 et Arizona films à Boitsfort.
Quel est l'accueil réservé à votre livre ?
Je suis touchée par l'accueil qui lui est réservé, ainsi que par les marques de sympathie et d'encouragements. Il paraît que mon roman se lit très facilement et se dévore sans interruption. Sans doute ai-je réussi le pari d'écrire un roman pour le grand public. Il ne devrait pas être lu uniquement par ceux qui ont envie de mieux comprendre l'Afrique ou les relations interculturelles, ni les mordus de littérature, mais tout simplement par ceux qui veulent une fiction africaine, et aussi ceux qui ont besoin d'espoir et d'utopie. J'ai déjà eu quelques belles rencontres avec mon public et quelques bonnes critiques dans la presse à Bruxelles. En France, j'ai déjà été invitée par le CIDF - Centre d'Information Droits des Femmes et des Familles - à la Foire des Bouquinistes de l'Iton à Evreux (Normandie). Le CIDF avait été impressionné par la force de ce roman et la façon dont il pouvait être "un excellent vecteur pour valoriser l'image de la femme africaine". Ce fut un merveilleux moment. J'ai aussi été invitée à Paris au Salon de la plume Noire et au Salon du Livre Africain (UNESCO). Je suis invitée pour participer au Festival international du Livre "Etonnants voyageurs à Bamako", du 20 au 26 novembre 2006. Autant dire que je vais devoir redoubler d'ingéniosité en matière d'organisation.
Un message ?
On devrait révéler aux femmes qu'il y a un temps pour donner la vie et un temps pour se donner la vie, que leur destin n'est pas déterminé à l'avance, qu'il y a une issue quelque part. Ce roman est dédié à ma douce mère Saran Coulibaly trop tôt partie sans avoir pu goûter au fruit de ses sacrifices. Femme jusqu'à la mœlle et surtout femme africaine, traditionnelle mais talonnée par la modernité, elle ne s'est permis qu'une chose : c'est d'être notre mère et rien d'autre. Elle disait "Quand les autres femmes se présentent avec leurs beaux atours et leurs bijoux en or, moi je me présente avec mes enfants comme parure". Il paraît que l'individu porte en lui le poids de ses ancêtres et que ceux-ci l'accompagnent tout au long de sa vie. Il paraît qu'ils exigent de nous qu'on aille au bout de ce qu'ils attendent de nous et que tant qu'ils n'ont pas gain de cause, ils ne reposent pas en paix. Je suis talonnée par cette nécessité.
Interview réalisée
par Salimata Konaté
"Une Saison africaine" de Fatoumata Fathy Sidibé, Paris, Présence africaine, 2006, 160 p.
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