Elles sont sept amies, la trentaine, et elles nous ont sorti un "Journal de Bridget Jones" à 14 mains, un recueil d'une vingtaine de nouvelles, récits vécus de leurs (mes) aventures amoureuses de ces dernières années. "Sept filles en colère" est le titre du livre... (Editions Les petits matins). Elizabeth Tchoungi est l'une d'elles. Née d'un père camerounais et d'une mère française, elle a fait ses études en France où elle est aujourd'hui journaliste télé, en charge de la culture à France 24 et co-présentatrice du magazine "Esprits Libres" sur France 2. Rencontre avec une femme libérée qui, comme le dit la chanson, est aussi fragile que toutes les autres... |
Vous travaillez dans les médias : que pensez-vous de l'image de l'Afrique que véhiculent les médias en France ?
L'image de l'Afrique dans les médias occidentaux est souvent réductrice, voire franchement désastreuse. Bien souvent, on ne parle de l'Afrique que quand il y a des guerres, des famines. On parle rarement de l'Afrique qui marche, alors que le continent reste debout. C'est pour ça que professionnellement, j'ai toujours essayé de prendre le contre-pied de cette tendance. A France 24, je m'occupe de la culture. Or la culture est un moyen de parler de manière positive de ces pays. Les artistes incarnent tous la vitalité d'un continent. Et en dehors de l'art, il y a beaucoup de choses positives à raconter sur l'Afrique : par exemple la renaissance de l'Erythrée après la guerre civile ou la floraison de festivals de musique qui incarnent un esprit d'ouverture et de tolérance.
Pensez-vous que les émeutes des banlieues en France, à l'automne 2005, ont aggravé encore cette image désastreuse de l'Afrique et des Africains dans les médias ?
C'est sûr que depuis ces événements, il y a eu une amélioration de la représentation des Africains à l'antenne, avec par exemple, la nomination de Harry Roselmack (journaliste d'origine martiniquaise, ndlr) pour présenter le journal télévisé de TF1. Mais il y a encore un gros effort à faire, notamment au niveau du contenu des programmes. C'est bien de mettre des présentateurs blacks à l'antenne. Mais si dans les feuilletons télé, le voyou est toujours un arabe et le dealer de drogue un black, on n'est pas très avancé... Dans les journaux télévisés, on voit des noirs quand on a des sujets sur les squats, les sans-papiers. Mais quand on interroge des spécialistes - un économiste à propos du prix du pétrole, un vétérinaire à propos de la grippe aviaire, ou un médecin à propos de tel vaccin - ce sont rarement des noirs. Or il y en a dans ce pays. C'est très important pour modifier la perception inconsciente dans la tête des gens. J'en ai marre que dans l'imaginaire de ceux qui vivent ici, le noir soit éboueur, racaille, nounou ou nettoyeur de métro. Alors qu'il y en a qui sont ingénieurs, chefs d'entreprise, et même secrétaire d'état !
Vous-même, avez-vous connu la discrimination en France ?
Oui, quand j'étais étudiante et que je cherchais un logement, c'était toujours ma mère qui partait visiter les appartements. Parce que moi, au téléphone on me disait oui, et quand j'arrivais, on me disait que l'appartement venait d'être pris...
Etes-vous pour la discrimination positive ?
Complètement. A partir du moment où il y a une inégalité, c'est vraiment indispensable. Il faut une volonté politique. Nous ne sommes pas dans un système d'égalité républicaine. La discrimination positive signifie qu'à compétences égales, on choisira le candidat qui vient d'une catégorie de population discriminée.
Venons-en à votre livre maintenant : comment est-venue l'idée d'écrire un livre à sept ?
Nous sommes sept amies, diplômées de l'Ecole de journalisme de Lille, et nous nous retrouvons régulièrement pour des dîners de filles. Dans nos dîners, on se raconte nos catastrophes sentimentales, nos déboires amoureux. Et on a réalisé que, bien que toutes différentes - une Africaine, une Marocaine, une fille du Nord de la France, une d'une autre région, des grandes, des petites, des blondes, des brunes, etc... - nous étions toutes confrontées aux mêmes voies sentimentales sans issue . On a trouvé quelque chose d'universel dans nos histoires. Ca a donné 25 nouvelles, qui vont des histoires les plus drôles aux plus dramatiques. Il s'agit finalement de portraits de mufles.
Qui sont-ils, ces mufles que vous avez toutes rencontrés ?
Il y a le beau mec avec qui tu vis une superbe histoire d'amour, jusqu'au jour où il te dit : "Viens dîner chez ma femme". Il y a celui dont tu tombes follement amoureuse, jusqu'au jour où il te dit qu'il ne pourra jamais t'épouser parce que tu n'as pas la même religion que lui. Il y a le type qui t'invite à dîner, te fait de grandes promenades romantiques, mais qui ne conclut jamais. Il y a le type qui te promet de te rappeler, et qui ne te rappelle jamais, etc.
Comment expliquez-vous le désarroi amoureux des femmes de votre génération, les trentenaires ?
Les hommes n'ont toujours pas digéré le mouvement de libération de la femme. Aussi bien dans les pays occidentaux que dans les pays africains : mes copines au Cameroun vivent les mêmes galères que nous. La femme, en gagnant son autonomie, son indépendance financière, fait peur à l'homme. Elle lui fait déjà peur sans ça, parce qu'elle a ce pouvoir de faire des enfants. C'est pour ça qu'il essaye de l'écraser, dans les sociétés traditionnelles. Aujourd'hui la femme n'a pas besoin de lui pour s'épanouir, s'éclater. Et les hommes se vengent. Dans nos sociétés africaines, ils prennent un deuxième, un troisième bureau, ils battent leur femme. C'est parce que la femme est plus forte.
Mais des femmes comme vous ont-elles vraiment besoin des hommes ?
Bien sûr, d'abord pour nous faire des enfants. Et puis, rien n'est plus beau qu'une histoire d'amour qui marche. Au fond, nous sommes de grandes romantiques.
Propos recueillis
par Nadia Khouri-Dagher
Le blog du livre: https://www.septfillesencolere.blogspot.com