LIVRES. A la rentrée, Elizabeth Tchoungui présentera pour la deuxième année les "Maternelles" sur France 5, avec un tout nouveau concept, une maison ouverte. Journaliste, jeune maman, écrivaine, elle a sorti le 26 août son deuxième roman, "Bamako Climax", avec lequel elle nous offre une réflexion sur la fierté d'être soi et l'importance d'assumer pleinement son identité. |
Comment vous est venue l'idée du livre ?
Le point de départ est dans le livre, c'est un clin d'oeil. D'ailleurs c'est marrant la manière dont les idées naissent. Là, en l'occurrence, le point de départ, c'est que de retour d'un voyage à Bamako, je me suis amusée du fait qu'il y ait un quartier entier qui s'appelle le point G, et notamment une grotte qui s'appelle le point G à Bamako. Et donc j'étais dans l'avion, et pendant les 6 heures de vol entre Bamako et Paris, j'ai commencé à écrire une nouvelle délirante autour du point G à Bamako, qui est devenue en fait la nouvelle que l'on retrouve disséminée dans le livre. L'histoire de la Belle au bois dormant et du Djinn de Koulikoro. Au départ je ne savais pas du tout ce que j'allais en faire. Peu après, j'ai eu l'occasion de réfléchir sur la question des failles identitaires et j'ai créé ces deux personnages, ces deux héros masculins qui chacun ont une faille identitaire qui les empêche d'aller vers l'autre, en l'occurrence vers le personnage de Céleste qui représente l'altérité. J'ai travaillé autour de ça. Je connais bien l'Italie donc j'ai décidé que l'un des héros serait italien, j'avais envie de raconter l'Italie. Les livres, c'est ce qu'il y a de miraculeux, c'est comme une pelote de laine, on tire un fil et puis il y a des choses qui viennent. Quand j'ai commencé à écrire ce livre, je ne savais pas comment il finirait. C'était une période où je voyageais beaucoup en Afrique, et je percevais parfois (et j'insiste bien sur le "parfois"), toutes classes sociales confondues, un ressentiment à l'encontre de l'Occident. C'étaient en général des gens qui considèrent que l'Afrique est dans cet état parce qu'elle a été saignée par l'esclavage puis par la colonisation. Ça allait du vendeur d'oranges dans la rue jusqu'à des couches sociales plus établies. Et de là m'est venue l'intrigue de la deuxième partie du livre, d'attentats terroristes visant des intérêts occidentaux. Ça a été corroboré en réalité par un livre que j'ai lu récemment, au moment où je terminais mon histoire, qui s'appelle "La haine de l'Occident" de Jean Ziegler. C'est un essai qui est sorti il y a un an ou deux, et qui exprime assez bien ça. C'est d'ailleurs pour ça que Jean Ziegler figure dans les remerciements, parce qu'il m'a confortée dans cette idée de fiction que j'avais. Je me suis demandé comment allait être perçue cette affaire, et aujourd'hui je sais que la théorie que je développe de manière totalement romanesque est étayée par des essais de gens très sérieux qui se sont penchés sur cette question.
Quelle est votre méthode de travail ? Combien de temps avez vous mis pour écrire "Bamako Climax" ?
En mai 2006, j'ai jeté les premières lignes de la nouvelle sur le Djinn et la Belle au bois dormant que j'ai laissé dormir quelques mois. Puis, j'ai commencé à écrire des choses pendant l'été 2006. Mais depuis l'été 2006, il s'est passé des choses dans ma vie, à savoir qu'en septembre 2006, j'ai pris la responsabilité du service culture de France 24 avec un JT quotidien, puis j'ai enchaîné avec "Les Maternelles", une émission quotidienne, et j'ai eu un bébé entre-temps. Donc c'est vrai que, du coup, j'ai mis du temps pour écrire. J'écris par puzzle. Et je me suis beaucoup inspirée des voyages que j'ai effectué ces dernières années en Afrique. J'ai eu la chance d'aller en Afrique de l'Ouest pour TV5 Monde, pour France 24, pour l'émission Afrik'Art que je tenais sur Canal Horizon. J'ai rencontré des personnes qui m'ont éclairée sur des aspects que je ne connaissais pas forcément très bien. C'est un mélange de recherches biographiques et d'inspiration du réel. Certains personnages sont assez loin, mais quand même inspirés de personnes que j'ai pu croiser.
A qui s'adresse le roman ?
J'écris pour toucher le plus de lecteurs possible. C'est pour ça que j'écris de la littérature divertissante. Quand je parle de divertissement, je ne veux pas forcément dire avec légèreté et superficialité : je parle de choses graves, il y a des messages que l'on peut aller chercher dans le livre. Mais pour moi, la littérature ce n'est pas des "pensum", on ne lit pas pour s'ennuyer. Il faut avant tout que ça plaise au lecteur, à tous les lecteurs, pas seulement aux spécialistes du "Gothique médiéval". J'écris vraiment pour toucher tout le monde. C'est pour ça que j'essaie de mettre aussi de l'humour dans mes livres, même pour parler de choses graves. Ça me permet d'accrocher facilement le lecteur.
Quel impact souhaitez-vous avoir en écrivant ?
L'écriture est un exercice qui parfois dépasse le rationnel. Parfois on laisse courir sa plume et les personnages vivent leur propre vie. Je ne me dis jamais que je vais écrire parce que mon but est de faire passer tel ou tel message. On connaît mon point de vue sur l'importance de la tolérance, du métissage et d'être capable d'aller vers l'autre. Il se ressent naturellement dans mes écrits. Là, je parle pour la France à un moment particulier où il y a un débat autour de l'identité nationale. Finalement, ce que je dis dans mon livre, c'est que l'identité c'est important pour aller vers l'autre. C'est un discours qui peut aussi s'appliquer aux lecteurs africains. Je dis ça parce que parfois je perçois derrière ce ressentiment à l'égard de l'Occident une forme de complexe. Alors qu'il n'y a aucun complexe à avoir, on ne doit pas se sentir inférieurs. On a autant de richesses et nous devons être fiers d'être africains. Cette fierté nous permettra d'avancer.
Pourriez-vous nous parler de la narration et la multiplicité des points de vue ?
La narration est un exercice de style qui m'a beaucoup amusée et qui n'a pas été facile. L'héroïne n'apparaît jamais dans le livre, en chair et en os. C'est un parti pris stylistique que j'ai mis en place, cette héroïne qui est en creux. C'est un peu "La disparue" de Georges Perec, mais c'est l'héroïne qui a disparu cette fois. Elle est évoquée à travers les deux héros masculins, les gens qui l'ont connue. Cassandre et Fabien sont les seuls personnages qui parlent à la première personne du singulier, ce sont les deux personnes qui sont les plus proches de l'héroïne. Et je voulais entendre Cassandre parler à la première personne parce que j'ai choisi de beaucoup jouer avec la langue par son intermédiaire. Et c'était plus facile à faire dans un langage parlé. Cassandra connaît très bien le langage populaire, le "nouchi", qui est né en Côte d'Ivoire, et en même temps elle a reçu une éducation importante donc elle a un langage châtié. Elle est également remplie de rage. Pour jouer avec ces deux niveaux de langage et faire passer sa rage, il fallait que ce soit à la première personne.
D'où vient le personnage de Cassandra ?
Pour l'histoire de Cassandra, je me suis inspirée de l'histoire des jeunes femmes candidates à l'émigration en Europe, à tout prix, pour avoir une meilleure vie. Elles sont prêtes à aller jusqu'à certaines compromissions pour chercher le blanc. C'est malheureusement un phénomène que je constate. Mais je ne l'ai pas vécu directement. La jeunesse en Afrique est en proie au chômage. Comment s'en sortir quand on est une femme ? C'est vrai que parfois, pour trouver du travail, il faut écarter les cuisses en gros. Donc oui, je pense que c'est difficile d'être une jeune femme en Afrique aujourd'hui. Ceux qui ont le pouvoir, et qui sont souvent des hommes, en profitent. Et c'est à tous les niveaux: combien de professeurs proposent à leurs jeunes élèves de leur donner de bonnes notes si elles leur accordent leurs faveurs ? Des histoires comme ça j'en entends dix par jour. Etre une jeune fille en Afrique c'est pas simple. Mais l'avenir de l'Afrique passe par les femmes. Je suis une indécrottable optimiste.
Pourquoi avoir placé l'action dans la haute société et dans les hautes sphères de pouvoir ?
J'ai choisi de placer le personnage antillais dans les hautes sphères du pouvoir, parce qu'on en parle peu. Il y a beaucoup de romans qui ont traité du sort des Africains en France, mais plutôt côté banlieues, clandestins et sans papiers. Moi ce qui m'intéressait en plaçant mon héros dans ce milieu, c'était de parler de la blancheur quasi absolue des hautes sphères du pouvoir. Je souhaitais parler du plafond de verre. Plus on se hisse haut dans la société en France, moins on voit de couleurs et de diversité culturelle. C'est un thème qui me tient énormément à cœur. Quant à l'autre héros, Elio, il évolue dans un milieu que je connais bien, et dont je souhaitais parler. Je voulais épingler cette bourgeoisie de la gauche bien pensante qui vaut à peine mieux que les "Berlusconistes" pur jus. Les gens qui évoluent dans les hautes sphères ont tendance à être très donneurs de leçons qu'ils n'appliquent pas.
En lisant le livre, on sent un cynisme qui se dégage des personnages et de leurs points de vue sur leur condition. Pourquoi ?
C'est difficile de voir le monde dans lequel on vit aujourd'hui sans une bonne dose de cynisme. Pour paraphraser un écrivain célèbre, c'est "l'humour du désespoir". Quand on voit le monde actuel, soit on se met sous Prozac et on se jette par la fenêtre, soit on est cynique. Cela dit, la fin de mon livre est à prendre comme une grande ouverture vers un avenir plus heureux. Je suis cynique au quotidien, optimiste dans l'absolu. C'est un peu contradictoire, mais vous savez quand on est métisse...
Elio et Eliott se rendent compte qu'ils n'atteindront pas la plénitude sans Céleste. Pourquoi une femme, en particulier ?
Elle, ce qu'elle a de plus, c'est qu'elle assume son identité pleinement. Ce qui en plus n'est pas simple pour une jeune métisse. En assumant son identité, elle renvoie Eliott à sa faille. La faille d'Eliott c'est qu'il est noir et qu'il voudrait être blanc : il se dit que s'il était blanc il ne serait pas freiné par ce plafond de verre, il irait encore plus haut, il serait bien plus loin. Du coup Céleste va aller, dans cette passion qu'ils vont vivre, toucher la négritude qu'il y a au fond de lui, et au début, il ne le supporte pas. Ça le renvoie à son complexe. Quant à l'autre personnage, Elio, il ne sait pas très bien qui il est. Il a vécu une existence facile sans vraiment s'interroger sur son identité. Son père était Juif, mais lui, pas vraiment. Il y a cette quête identitaire aussi. Il s'accroche à une judaïté et ça fait longtemps qu'il essaie de faire le parcours pour le devenir vraiment. Et puis il vit dans un pays qui a un vrai problème avec l'émigration. A côté, la France, c'est le pays "arc-en-ciel". Il vit dans un pays qui a un problème avec la diversité culturelle et dans une sphère où c'est carrément martien ; la haute bourgeoisie italienne. A la fois il est amoureux de ce personnage de Céleste, et en même temps, il n'assume pas complètement et socialement le fait d'être avec elle. Au début Elio ne veut pas voir comme Céleste. Elle vit en Occident, elle mène une vie à l'occidentale, elle ne porte pas de boubou. Du coup, elle n'entre pas dans les clichés qu'il se fait de l'Africaine. Mais c'est à cause de sa faille identitaire qu'il n'arrive pas à aller au-delà de cette apparence d'Occidentale pur jus. Et lorsqu'il l'accompagne au Togo, il se rend compte qu'elle est différente et ça lui fait peur. L'idée derrière ça, c'est qu'il faut faire attention aux clichés. Ça pourrait s'appliquer aussi en France, aux clichés comme: "les musulmans abattent forcément un mouton dans leur baignoire le jour de l'Aïd...". C'est une invitation à considérer l'autre de manière plus nuancée, à sortir des préjugés.
Donc si on devait retenir quelque chose, c'est que les femmes font avancer les choses...
Ça me fait sourire, parce que l'intérêt, c'est que chacun conclut ce qu'il a envie de conclure. C'est une interprétation très juste, mais je n'avais pas forcément pensé à ça en écrivant. Maintenant je vous dirais, oui je pense qu'il faut que les femmes prennent le pouvoir, mais je n'avais pas cette idée en tête en écrivant. Je pense que les femmes sont plus fortes de toute façon. C'est pour ça qu'on essaie de nous affaiblir.
Qu'est-ce qui vous a inspirée pour écrire ce livre ?
Le point de départ de mon premier livre, "Je vous souhaite la pluie", c'est que j'avais envie de jouer avec la langue, avec le "camfranglais", qui est l'équivalent du "nouchi" en Côte d'Ivoire. C'est le langage des jeunes au Cameroun, un mix de mots de langue locale, de français ... Tout cela fait vivre le français. J'ai joué à fond sur cette carte-là dans le premier. Je savais que ça avait beaucoup plu aux lecteurs, et donc pour le deuxième, il fallait que je trouve autre chose. J'avais envie de continuer à jouer avec le français d'Afrique, donc je suis allée voir du côté du « nouchi ». Je me suis beaucoup documentée. J'aime beaucoup la « littérature monde ». Et des écrivains capables de sortir de Saint-Germain-Des-Prés et de décrire autre chose que leur nombril, je trouve qu'en France il n'y en a pas beaucoup. La « littérature monde », pour moi, ce sont les anglo-saxons qui font ça très bien. J'avais envie d'être capable d'écrire une intrigue qui se déroule dans plusieurs pays, et qui sorte de Paris, voire du périphérique, voire même de la banlieue! J'ai décidé d'explorer cette veine là. On est à l'heure de la mondialisation, on vit dans un monde cosmopolite, et je trouve que la littérature française, à quelques exceptions près, ne reflète pas cette réalité.
Vous avez pour projet d'écrire encore ?
Pour l'instant je laisse décanter, mais j'ai déjà des envies d'écriture. Je ne sais pas quand je les concrétiserai, mais j'aimerais faire, dans un genre différent, une biographique qui serait destinée aux jeunes lecteurs africains. Je trouve qu'il est important que les jeunes africains connaissent l'histoire des héros africains, qu'ils puissent se projeter, et qu'ils ne soient pas uniquement tournés vers l'occident et Barack Obama ! Il y a plein de gens biens, porteurs de valeurs dans l'histoire de ce continent. Quand je parle d'identité et d'être fier de son identité, c'est ce que je veux dire. J'étais à l'école primaire au Cameroun et je sais de quoi je parle, à l'époque, jamais on ne m'a appris l'histoire des grands empires africains, de Soundiata Keita (empereur du Mali au XIIIe siècle ndlr), d'Aboubacar III, qui a peut-être découvert l'Amérique avant Christophe Colomb. On nous a nié notre histoire et je pense que c'est important que les jeunes africains sachent que des Africains ont fait de grandes choses dans l'histoire. J'aimerais bien un jour écrire une bio graphie, mais vraiment destinée à la jeunesse, accessible, d'Alioun Diop, le fondateur de Présence Africaine (maison d'édition fondée en 1949, ndlr). Les éditions Présence Africaine ont accompagné tous les mouvements d'indépendance, elles ont recentré toute la pensée africaine à l'époque où on pensait encore qu'il n'y avait pas de pensée africaine. C'est un de mes héros africains et j'aimerais bien un jour écrire sa biographie, destinée à la jeunesse.
Parlez-nous des "Maternelles"...
Lorsqu'on m'a proposé l'émission, mon fils avait 5-6 mois et j'étais dans une bulle de maternité dont je n'avais pas très envie de sortir. Les "Maternelles" étaient une offre en or. Ça me permettait d'y rester. Le format de l'émission me plaît beaucoup. C'est un talk-show. A terme, j'aimerais mener un talk-show généraliste ou culturel. J'ai fait beaucoup de présentation de journaux, donc c'était une manière pour moi d'essayer autre chose. Ce n'est vraiment pas le même exercice. Il y a des chroniqueurs, toute une musique à mettre en place et cette espèce d'alchimie me plaisait beaucoup. Et puis, à travers les problématiques de la maternité, je retrouve des problématiques qui me sont chères, féministes, à savoir la difficulté, même dans un pays comme la France, à concilier son statut de femme, de mère, et sa carrière. Il y a une pression très forte sur les femmes. On nous demande d'être des super maman, des "working girls", des super amantes, et de tout faire à la fois. C'est quelque chose qui revient très souvent en filigrane chez les invités qui viennent témoigner sur notre plateau, toutes couches sociales confondues. Il y a une vraie demande d'aide de la part des spectateurs. C'est pour ça que pour la 10e saison, on a vraiment eu envie d'insister sur l'aspect "service" de l'émission. Chaque jour on accueille un parent qui a un problème très précis, pour essayer de l'aider, à travers d'autres parents qui ont vécu la même situation et qui ont réussi à s'en sortir. Il y aura évidemment un spécialiste en pédiatrie et psychiatrie. Autour de moi, j'aurai une bande de chroniqueurs réguliers. La grosse différence, c'est surtout que le plateau sera ouvert à toute la famille. Les tontons, les grands-parents qui accompagnent les mamans qui viennent témoigner seront sur le plateau, les enfants aussi. On a aménagé des aires de jeux sur le plateau. La maison des maternelles est plus que jamais ouverte à toute la famille.
Cette ouverture du plateau va-t-elle changer quelque chose à votre rôle de présentatrice ?
Oui, parce que le plateau va vivre beaucoup plus. Pendant qu'on parle, un bébé va peut-être se mettre à pleurer sur le plateau. On ne va donc pas pouvoir continuer à faire nos petits discours comme si on n'entendait rien. Il faudra être plus en éveil par rapport à chaque personne, et ce, le plus naturellement possible. Ça ne va pas être facile, mais c'est un chouette défi. Je pense que l'émission avait vraiment besoin de se renouveler en profondeur. Les mamans d'aujourd'hui ne sont plus les mêmes que celles d'il y a 10 ans. Je suis ravie de ce changement. J'espère juste que ça se prolongera par un passage en direct, et qu'on pourra être dans l'interactivité totale avec des spectateurs. Et puis j'adore le direct...
Propos recueillis
par Astrid Carlen-Helmer