Née à Paris, Fantah Touré a passé sa jeunesse dans le Sud Ouest en région parisienne, en Côte d'Ivoire, son pays, et au Sénégal. Après des études supérieures à Toulouse, elle enseigne à l'université d'Abidjan puis est professeur de lettres agrégée à Dakar et à Paris depuis 2010. Elle a écrit « Tête nue » en 2009, « Parce qu'elle le valait bien » et « Entre deux vins » en 2007, « Histoires autour du Vin et Enfance » en 2006, aux éditions In8. Dans « Les Disculpées », son dernier roman aux éditions Présence Africaine, Fantah Touré nous parle de l'identité et de la difficulté à communiquer au travers de trois femmes. |
LES DISCULPÉES EN BREF: Incarcérée à la suite d'un crime dont elle est coupable, Aïcha fait le bilan de sa vie de femme et du fiasco de sa vie conjugale. Cette analyse l'amène à voir la suite des malentendus et des souffrances, des non dits et des silences qui l'ont conduite à cet homicide non prémédité. Après le journal d'Aïcha, deux lettres de sa mère font entendre une autre voix et apposent un autre regard sur cette tragédie familiale.
Votre roman relate le destin de trois femmes: Aïcha, Baptiste et Lucie. Est ce que Lucie a un lien de parenté avec Aïcha et Baptiste?
Il n'y a aucun lien de parenté entre les femmes du roman. Lucie est l'alter ego de Baptiste, sa sœur d'élection. Chacune a été privée de sa mère, pour des raisons différentes. C'est aussi une amie à laquelle elle s'est confiée, alors qu'elle est restée distante de ses filles. Elle n'est pas la femme froide que l'on pourrait croire, plutôt une femme qui a appris à contrôler ses émotions et à offrir une image lisse d'elle même. Lucie représente aussi la partie française des personnages nés sur le continent africain, le père absent de la grand mère, qui est à l'origine de cette lignée fracturée.
Les secondes épouses, dites encore « bureau », sont assez fréquentes en Afrique. Y a t il eu une évolution des mœurs concernant ce fait de société?
Une évolution des mœurs concernant la polygamie? On ne peut pas généraliser, chaque pays connaît une situation différente mais force est de reconnaître que ce type d'alliance matrimoniale se maintient (NDRL en Afrique), que certaines jeunes femmes la choisissent ou se la laissent imposer. Ici, il s'agit d'un type de polygamie particulier que j'appellerais la polygamie honteuse, celle des hommes qui tiennent à passer pour modernes et n'assument pas vraiment leur second ménage.
Votre roman situe Aïcha dans un milieu très aisé. On devine du clientélisme chez son mari et des pots de vin. Avez vous bien connu le milieu de la politique?
Non, je n'ai pas connu de près le milieu politique, ni le monde des affaires, mais j'ai pu l'observer de loin. La matière ne manquait pas. Je pense que c'est international.
Au début de votre roman, il semble que les hommes aient le beau rôle puis, à la fin, on s'aperçoit que ce sont trois femmes très fortes, chacune à leur façon...
Je ne crois pas que les hommes aient le beau rôle. Certains de mes lecteurs masculins m'ont d'ailleurs dit que je peignais des hommes faibles, velléitaires et pas très courageux... En effet, les femmes sont fortes. Pour la famille et pour elles mêmes.
Aïcha, jeune fille diplômée puis journaliste cultivée, paraît être l'opposé de nombreuses Africaines qui se marient, ont des enfants et interrompent tôt leurs études. Les jeunes femmes intellectuelles et lettrées sont elles bien vues en Afrique?
Je tends l'oreille et j'entends que même dans la jeune génération, ces jeunes femmes diplômées font peur et ont parfois du mal à trouver un compagnon qui accepte de les laisser s'épanouir sans prendre ombrage de leur réussite, sans se sentir écrasé. Mais est ce un problème spécifiquement africain? On essaie parfois de les freiner en les renvoyant à un modèle de femme plus traditionnelle, soumise et effacée, qui est un fantasme.
La grand mère d'Aïcha, mère de Baptiste, est très intéressante. Elle a vécu mille vies. Peut on voir une forme de rédemption quand elle revient finir sa vie auprès de sa fille?
Oui, pour la grand mère il s'agit en quelque sorte d'une rédemption: au soir de sa vie, elle veut retrouver sa famille et surtout, elle parvient à établir des liens forts avec sa petite fille. C'est comme une revanche qu'elle prend puisque la vie l'a forcée à se séparer de sa fille qui en a souffert et ne le lui a jamais pardonné. Mais y avait il quelque chose à pardonner?
Ce roman parle de secrets de famille, du rôle de la mère, du père. Le message est il qu'on ne peut pas toujours expliquer ses actes?
J'ai voulu écrire un roman sur la difficulté de communiquer, d'expliquer ses actes aux autres. Mes héroïnes ont en commun leur lucidité, et elles tentent d'être au clair avec elles mêmes Aïcha ou avec leur fille Bati . Elles tentent de dire ou d'écrire leur vérité. C'est un roman sur l'identité qui se construit et se cherche génération après génération, et sur la difficulté à se parler au sein du couple ou de la famille.
Propos recueillis
par Pascale Athuil
Les disculpées de Fantah Touré aux éditions Présence Africaine, 163 pages