Compte-rendu publié par Yaya Sidibe dans Le Républicain 96 du 13 juillet 1994.
Avec ce premier roman Aïcha Fofana vient de faire une entrée remarquée dans le monde littéraire malien. Découvrez l'oeuvre et l'auteur.
Le film s'achève: les convives prennent congé des nouveaux
mariés. D'abord un gros plan sur Jocelyne, Amina Kouniassé et
Niélé. Ombre et lumière alternant sur ces visages
accentuant la pâleur de Jocelyne, faisant cligner les yeux de
Niélé. Kouniassé ne se lasse pas de poser, Amina, quant
à elle, s'efface, puis réapparaît dans un
chassé-croisé permanent avec la cam�ra.
Accolade de part et d'autre, baisers généreusement
distribués alternent sur l'écran au rythme des images. Jocelyne
tend une main timide à Niélé, celle-ci l'entoure de ses
bras dans une étriente affectueuse. A travers son châle
ajouré, c'est un élan de tendresse que la cam éra tente vainement
de déciler au regard. La séparation s'effectue dans un silence
vite brisé par le chant strident des griottes qui domine le brouchaha de
la foule. Des destins se sont rencontrés. Chaque femme emporte avec
elle le souvenir de la cérémonie de mariage: un regard sur un
autre destin noué sous l'oeil inquiet et moqueur de la camera qui les
renvoie à leur propre réalité.
C'est l'épilogue de <<Mariage, on copie>>, le tout dernier-né de la littérature malienne, si caractéristique de la maturité précoce de la plume d'Aïcha Fofana, son auteur.
Pour un coup d'essai, Aïcha Fofana avec <<Mariage, on copie>>, son premier roman, a plutôt administré un coup de maître. Préfacé par Urbain Dembélé, l'auteur du très célèbre <<Saga des fous>>, <<Mariage, on copie>> vient opportunément renforcer une présence féminine plutôt timide sur la scène littéraire nationale. L'auteur met en scène l'histoire bouleversante de quatre femmes dont les destins diversement ballotés par des vents contraires se rejoignent dans la souffrance, la frustration et les passions trahies.
Victimes expiatoires d'un système qui les domine et les interpelle à la fois. A l'image de Jocelyne, la française qui a abandonné famille et patrie pour suivre, par amour, Tidiani dont elle a fait la connaissance à Paris alors qu'elle était étudiante en médecine et lui préparant une thèse en économie. Une idylle couronnée par un mariage qui ne tardera pas à être sanctionné, à son tour, par le divorce. Conséquence d'une incompréhension née d'une irreductible opposition entre deux civilisations, deux cultures et deux milieux.
A l'image aussi de Amina Kouyate, une brillante avocate qui verra son rêve de mariage brisé, à jamais, du seul fait de son appartenance à la caste des griots.
<<Mariage, on copie>>, c'est aussi la radioscopie d'une société à la recherche de son identité, prise dans les mailles de ses multiples contradictions. L'exode rural, l'émigration, le conflit entre tradition et modernité y sont abordés avec profondeur et originalité. A l'évidence, avec cette première oeuvre, Aïcha Amina Laïla Fofana fait une entrée très remarquée dans le cercle restreint de la littérature malienne, se positionnant comme une romancière au talent très prometteur.
Tout comme la cam éra qui traque implacablement couleurs et sons, de l'essentiel au moindre détail, des replis profonds de l'âme de ses héroïnes aux scènes les plus diverses, rien n'échappe à la plume alerte et perspicace de l'auteur. Avec <<Mariage, on copie>>, Aïcha innove en apportant une nouvelle technique de construction du roman qui fait, fort heureusement, penser à <<Architecture d'un film en studio.>> <<Mariage, on copie>> est justement un chassé croisé entre les images qui défilent sur le téléviseur dans le studio de Diakité et les souvenirs de ses clientes (les héroïnes du roman) au gré des séquences. Lorsque Diakité enclenche une cassette, dans le but de faire des copies pour ses clientes, peut-il penser, un seul instant, que par ce geste il va provoquer un délic dans leur mémoire?
Le procédé utilisé est osé, quasi révolutionnaire. Pour sortir des sentiers battus, au premier coup, il faut une bonne dose de courage. Du culot, Aïcha en a justement, à revendre. Mais la faiblesse de la technique réside dans sa force même. Son usage répond, certes, au souci de l'auteur d'éviter le piège d'une écriture linéaire. Mais à force de l'utiliser de façon outrancière, on aboutit à des flashes-back dont la répétition finit par créer l'uniformité dont on dit que l'ennui naquit un jour. Un jeu périle sur les bords.
Dans le fond, les amateurs d' émotions fortes, coups de théâtre, suspense à couper au couteau et autres actions spectaculaires en cascade, resteront, peut être sur leur faim. Mais c'est vite oublier que <<Mariage, on copie>> est avant tout un roman psychologique et doit être dégusté comme tel.
Fille de feu Dr Bénitiéni Fofana, ex-ministre de la Santé (auquel l'oeuvre est dédicacée), Aïcha Aminata Laila a fréquenté l'école primaire à Bordeaux. Après des études secondaires au lycée Notre Dame du Niger (section philo langues), elle a poursuivi ses études supérieures en Langues Etrangères Appliquées à la Sorbonne (Paris IV). Elle a effectué de nombreux séjours linguistiques à l'Université de Manneheim (ex RFA) et à Oxford en Angleterre. Elle est actuellement traductrice et interprète bilingue auprès d'établissements et organismes internationaux.
Loin de dormir sur ses lauriers, Aïcha a déjà mis en chantier un autre roman <<La Fourmilière>> ou la saga d'une famille africaine.
Yaya Sidibe
© Le Républicain, 1994.
Editor ([email protected])
The University of Western Australia/French
Last updated: Sunday, 28-Jun-1998.
https://www.arts.uwa.edu.au/AFLIT/Fofanacompterendu2.html