"Taxi-brousse"
    et
    "Au pays des mille et mille lunes"
    Deux textes d'Annick Assemian
    1997
    Prière de lire la notice sur la protection des droits d'auteur

    *

      TAXI-BROUSSE

      T axi-cahotant, tempêtant et ronchonnant
      Tu m'emmènes sur les bosses et dans les trous
      De la piste folle.
      Tu cliquettes, tu bourdonnes, tu ronchonnes
      Jamais tu ne me laisses en paix et si la bosse du sol
      Est trop forte, c'est ma tête que tu cabosses.

      Taxi-Brousse sans fenêtre et sans fards,
      Tu dévales la pente et m'envoies la poussière.
      Si la pluie sillonne ta route, c'est
      Dans les mares que tu m'entraînes,
      Toujours tu m'éclabousses
      Toujours tu recommences.

      Si le soleil tape fort, c'est sur mon
      Nez qu'il se repose.
      Si la pluie tombe fort, c'est sur
      tout mon corps qu'elle se dépose.
      Si la pluie tombe fort, c'est toute
      La route qui m'inonde.

      Quand le drap noir des ténèbres m'enveloppe,
      Ce sont mes yeux qui n'y voient plus.
      Quand la nuit tombe, c'est au hasard
      Que mon pied se pose,
      Mon pied s'égare, ma main se soulève
      Et ça recommence.
      La route est longue dans le noir
      Le noir pesant, le noir enveloppant
      Celui que l'on sonde et que rien ne
      Traverse.
      Une ombre passe, puis une autre.
      Bonsoir absurde, puisque rien ne se voit.
      Bonsoir tout de même, on te reconnaît :
      Toi pas...

      Quand le poids de l'ombre est trop fort,
      Il m'écrase la poitrine, il transperce
      Mon regard fuyant droit devant moi
      Et fait poindre au coin de l'oeil la larme fatidique
      Salée et chaude qui va
      Gonfler, gonfler et gonfler encore
      Pour déborder enfin et
      Crier sa haine chaude.

      Ruisseau de l'âme meurtrie,
      Rivière de solitude, larme,
      Tu dévales silencieuse sur
      Ma joue tendue,
      Tu inondes ma bouche rebelle
      Et envahis tout mon être.

      Quand le poids de l'ombre est trop fort,
      Il soulève mon pas pour mieux le
      Rabattre plus loin, violent et continuel.

      *

      AU PAYS DES MILLE ET MILLE LUNES

      LA VISITE DU VILLAGE

      Dans mon avion, toi et moi, nous survolons la belle forêt-lune. Ici au pays des mille et mille lunes, la forêt est épaisse, les arbres sont des lunes et les herbes sont aussi des lunes. Là, c'est mon village-lune qui apparaît. Il est beau, tout petit, entouré de si vertes lunes. Les larges ailes de notre avion-lune se déploient largement, tout en rond autour du village. Tel un vautour, il tourne et tourne encore. Une, deux, trois maisons-lunes se distinguent nettement du groupe. De toutes petites qu'elles étaient tout à l'heure, nos maisonnettes sont grosses et se dressent bien droites maintenant. Leur forme de lune se voit mieux. Les fenêtres et les portes sont des lunes.

      - Et les gens ? Me dis-tu.

      - Ils sont lunes, bien sûr, regarde mieux !

      On les voit s'activer tout en bas. Un par-ci, un par-là, ils vont à leurs occupations. Ici maman-lune, son petit au dos, pile le foutou. Là, un groupe de petites filles-lunes jouent à cuire du foutou. Là encore, un peu plus loin, c'est au contraire un groupe de turbulents petits garçons-lunes qui jouent au ballon. Il fait chaud, le soleil tape fort sur les têtes-lunes. A l'ombre du grand lunier, un papa-lune et un grand-papa-lune dorment paisiblement.

      Les autres habitants semblent partis au champ. Le soir venu, ils reviendront les uns après les autres retrouver le gîte familial et déguster leur délicieux foutou. C'est là toute la vie de mon village.

      La visite est terminée. Les ailes de mon avion dessinent une dernière fois un grand cercle tout autour des maisons-lunes. Mes amis-lunes se font de plus en plus petits et disparaissent. Les arbres-lunes de la forêt recouvrent maintenant tout le sol. Nous volons droit devant au-dessus du pays des mille et mille lunes.

      Petit ami, le voyage est terminé. J'espère que mon village-lune t'a plu. Reviens me voir quand tu veux, je suis là.

      Je t'attends et les lunes avec moi.

      Ton ami

      P.S. D'ailleurs moi aussi je suis lune mais cela tu le savais !
      Je m'appelle KOUSDIO

      © Annick Assemian, 1997.


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      Editor: ([email protected])
      Created: Friday, 04-April-97
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