"Taxi-brousse" et "Au pays des mille et mille lunes" Deux textes d'Annick Assemian 1997 |
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TAXI-BROUSSE
T axi-cahotant, tempêtant et ronchonnant
Taxi-Brousse sans fenêtre et sans fards,
Si le soleil tape fort, c'est sur mon
Quand le drap noir des ténèbres m'enveloppe,
Quand le poids de l'ombre est trop fort,
Ruisseau de l'âme meurtrie,
Quand le poids de l'ombre est trop fort,
Tu m'emmènes sur les bosses et dans les trous
De la piste folle.
Tu cliquettes, tu bourdonnes, tu ronchonnes
Jamais tu ne me laisses en paix et si la bosse du sol
Est trop forte, c'est ma tête que tu cabosses.
Tu dévales la pente et m'envoies la poussière.
Si la pluie sillonne ta route, c'est
Dans les mares que tu m'entraînes,
Toujours tu m'éclabousses
Toujours tu recommences.
Nez qu'il se repose.
Si la pluie tombe fort, c'est sur
tout mon corps qu'elle se dépose.
Si la pluie tombe fort, c'est toute
La route qui m'inonde.
Ce sont mes yeux qui n'y voient plus.
Quand la nuit tombe, c'est au hasard
Que mon pied se pose,
Mon pied s'égare, ma main se soulève
Et ça recommence.
La route est longue dans le noir
Le noir pesant, le noir enveloppant
Celui que l'on sonde et que rien ne
Traverse.
Une ombre passe, puis une autre.
Bonsoir absurde, puisque rien ne se voit.
Bonsoir tout de même, on te reconnaît :
Toi pas...
Il m'écrase la poitrine, il transperce
Mon regard fuyant droit devant moi
Et fait poindre au coin de l'oeil la larme fatidique
Salée et chaude qui va
Gonfler, gonfler et gonfler encore
Pour déborder enfin et
Crier sa haine chaude.
Rivière de solitude, larme,
Tu dévales silencieuse sur
Ma joue tendue,
Tu inondes ma bouche rebelle
Et envahis tout mon être.
Il soulève mon pas pour mieux le
Rabattre plus loin, violent et continuel.
LA VISITE DU VILLAGE
Dans mon avion, toi et moi, nous survolons la belle forêt-lune. Ici au pays des mille et mille lunes, la forêt est épaisse, les arbres sont des lunes et les herbes sont aussi des lunes. Là, c'est mon village-lune qui apparaît. Il est beau, tout petit, entouré de si vertes lunes. Les larges ailes de notre avion-lune se déploient largement, tout en rond autour du village. Tel un vautour, il tourne et tourne encore. Une, deux, trois maisons-lunes se distinguent nettement du groupe. De toutes petites qu'elles étaient tout à l'heure, nos maisonnettes sont grosses et se dressent bien droites maintenant. Leur forme de lune se voit mieux. Les fenêtres et les portes sont des lunes.
- Et les gens ? Me dis-tu.
- Ils sont lunes, bien sûr, regarde mieux !
On les voit s'activer tout en bas. Un par-ci, un par-là, ils vont à leurs occupations. Ici maman-lune, son petit au dos, pile le foutou. Là, un groupe de petites filles-lunes jouent à cuire du foutou. Là encore, un peu plus loin, c'est au contraire un groupe de turbulents petits garçons-lunes qui jouent au ballon. Il fait chaud, le soleil tape fort sur les têtes-lunes. A l'ombre du grand lunier, un papa-lune et un grand-papa-lune dorment paisiblement.
Les autres habitants semblent partis au champ. Le soir venu, ils reviendront les uns après les autres retrouver le gîte familial et déguster leur délicieux foutou. C'est là toute la vie de mon village.
La visite est terminée. Les ailes de mon avion dessinent une dernière fois un grand cercle tout autour des maisons-lunes. Mes amis-lunes se font de plus en plus petits et disparaissent. Les arbres-lunes de la forêt recouvrent maintenant tout le sol. Nous volons droit devant au-dessus du pays des mille et mille lunes.
Petit ami, le voyage est terminé. J'espère que mon village-lune t'a plu. Reviens me voir quand tu veux, je suis là.
Je t'attends et les lunes avec moi.
Ton ami
P.S. D'ailleurs moi aussi je suis lune
mais cela tu le savais !
© Annick Assemian, 1997.
Je m'appelle KOUSDIO
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