Un enfant
    Extrait d'une pièce en quatre actes de Marie-Charlotte MBARGA KOUMA
    écrite en 1969
    Prière de lire la
    notice sur la protection des droits d'auteur


    "Un enfant" traite de la question de la stérilité dans un couple en apparence sans histoire. Kameni a la cinquantaine. C'est un homme d'affaires renommé et influent qui vit dans l'opulence. Il pourrait s'estimer heureux mais ne l'est malheureusement pas. Et pour cause ? Il désire un héritier que son épouse a du mal à lui donner. Les médecins semblent formels sur l'impossibilité du couple à procréer. Et pourtant un jour, un miracle s'accomplit... Cette pièce écrite en 1969 a été mise en scène par l'auteure la même année, à l'occasion de la fête des mères, à l'Ambassade du Cameroun en Guinée Equatoriale.

    *
    ACTE 1 – Scène 2

    Kameni, Mapa
    C'est la nuit profonde. Mapa dort à poings fermés.

    Kameni : (frappant à la porte) Toc ! Toc ! Toc !
    (Autoritaire) Mapa ouvre-moi la porte. Est-ce que tu m'entends ?
    Toc ! Toc ! Toc !

    Mapa : (qui vient de se réveiller) Qui est-ce ?

    Kameni : Toc ! Toc ! Toc ! Mapa? Mapa?

    Mapa : (hésitante) Qui est là?

    Kameni : (s'emportant de plus belle) Comment qui est là ? C'est moi Kameni.

    Mapa : (rassurée) Ah, c'est toi Kameni ? Je ne savais pas que c'était toi. Excuse-moi (lui ouvre la porte)

    Kameni : (avec rage) Et qui d'autre voulais-tu que ce soit ? Tu attendais quelqu'un, c'est ça ?

    Mapa : Pas du tout. C'est tout simplement parce que je dormais profondément que j'ai eu du mal à reconnaître ta voix, Kameni.

    Kameni : (sur le même ton) Tu dormais, tu dormais, bien sûr...

    Mapa : Ne m'en tiens pas rigueur, Kameni.

    Kameni : Tu deviens de plus en plus stupide Mapa. (Il la toise) Qui donc t'a autorisé à fermer la porte de ma maison en mon absence ? Ne t'ai-je pas dit cent fois que tu dois laisser la porte ouverte tant que je suis à l'extérieur ?

    Mapa : J'avais peur Kameni, c'est la seule raison. J'avais peur de rester toute seule la porte ouverte. Il était un peu plus de minuit quand je me suis enfermée à double tours, pensant que tu ne reviendrais qu'au petit matin comme cela s'est produit tant de fois.

    Kameni : (avec suffisance) Parce que j'ai des comptes à te rendre !? Parce que madame veut savoir où je vais et ce que je fais !?

    Mapa : Non, ce n'est pas du tout ce que je voulais dire. C'est que depuis que Magne nous a quittés, j'ai très peur quand je suis seule. C'est pour cette raison que je ne laisse plus la porte ouverte comme auparavant.

    Kameni : Comment ? Que dis-tu là ?

    Mapa : Ne t'emporte pas pour rien Kameni. Je t'explique simplement que depuis que Magne nous a quittés, j'appréhende de rester la nuit les portes ouvertes, essaie de me comprendre.

    Kameni : (agressif) Tu n'as qu'à me faire un enfant et tu ne seras plus seule.

    Mapa : (se maîtrisant) Toujours la même chanson, je m'y attendais. Magne seule était convaincue que j'étais capable d'en faire parce que...

    Kameni : (l'interrompant) Arrête ! Ne parle plus jamais de ma mère. Elle est morte...Elle fut une épouse et une mère exemplaire. Elle a su donner le jour à quinze enfants, elle ! dont six jumeaux.

    Mapa : (tristement) Que son âme repose en paix ! (marque une pause)
    Tu ne peux pas savoir combien je souffre depuis sa disparition.

    Kameni : (avec rage) Je t'interdis de prononcer dorénavant son nom en ma présence. Tu n'es pas digne d'elle. Ma mère n'a pas vécu inutilement sur terre comme toi (il la dévisage) Elle a donné la vie un grand nombre de fois. Et toi, tu te contentes de ton allure de mannequin posant pour une revue de mode. Tu n'as donc pas à évoquer le saint nom de ma défunte mère. Dis-moi Mapa, penses-tu qu'un homme comme moi puisse se contenter indéfiniment de la beauté d'une femme, fût-elle extraordinairement belle ?

    Mapa : Que t'ai-je fait Kameni pour que tu me traites de la sorte ?

    Kameni : Et toi, qu'attends-tu pour me faire un enfant ? Tu n'es qu'un parasite, laisse-moi te le dire puisque l'occasion m'est offerte ce soir.

    Mapa : Tu n'as que ce mot à la bouche : « fais-moi un enfant, fais-moi un enfant ». A ce que je sache, les enfants se font à deux. M'as-tu mise enceinte et j'ai refusé de porter ton enfant ou de le mettre au monde ?

    Kameni : (railleur) Toi enceinte ? Quelle plaisanterie. Tu divagues ma pauvre Mapa. Mais tu ne le seras jamais, voyons !

    Mapa : Et pour cause ? Comment pourrai-je l'être ? Je me donne à un seul homme et cet homme c'est toi.

    Kameni : Peux-tu répéter ce que tu viens de dire ?

    Mapa : C'est inutile Kameni, tu as bien compris. Le miracle s'est produit une seule fois qu'une femme soit tombée enceinte sans le concours de son époux. Je ne m'appelle pas Marie et je ne suis pas la mère de Jésus.

    Kameni : Et que veux-tu par là insinuer ?

    Mapa : (articulant) Je n'insinue rien. Je dis simplement que si nous n'avons pas d'enfant, c'est que tu es incapable de me rendre mère. Voilà !

    Kameni : (éclate de rire) Tu me fais rire Mapa! Alors à t'entendre, c'est moi qui aurais un problème ?

    Mapa : La vérité, nous la connaissons tous les deux.

    Kameni : (soupçonneux) Et de quelle vérité parles-tu ?

    Mapa : (calmement) Y'en a-t-il deux ? Je parle de cette vérité que tu caches à tout le monde. Cette vérité qui te fait peur et honte à la fois. Tu refuses de suivre le traitement qui t'a été prescrit prétextant que tu ne souffres de rien.

    Kameni : Que veux-tu dire Mapa, je te somme de t'expliquer.

    Mapa : Tu le sais tout autant que moi, mais tu feins de l'ignorer. De nous deux, celui qui a un problème, c'est toi et tu le sais, bien que tu t'obstines à me faire porter le chapeau. Je n'en peux plus, Kameni. Il faut que je te dise aujourd'hui en face tout ce que j'ai sur le cœur. Tu es...

    Kameni : (l'interrompant) Quoi ?

    Mapa : Il y a trois ans, le professeur Guérin, qui est du reste l'unique médecin que tu as accepté de consulter à Paris, t'avait dit que tu avais un problème.

    Kameni : Et comment le sais-tu ?

    Mapa : Tu oublies peut-être qu'il nous avait soumis tous les deux à une batterie de tests et d'examens. A la suite de quoi, il t'a prescrit un traitement que tu n'as jamais voulu suivre. Tu veux que je te rafraîchisse la mémoire ? J'ai consulté par la suite avec ton accord un autre spécialiste qui a confirmé les résultats du professeur Guérin.

    Kameni : (se tordant de rire) Alors là, c'est à mourir de rire. Ah, ah, ah...

    Mapa : Dis plutôt que c'est à mourir de honte !

    Kameni : Comment ?

    Mapa : Tu devrais crever de honte, Kameni. Vois-tu, de nous deux celui qui ne peut pas faire d'enfant, c'est toi.

    Kameni : (hors de lui, la gifle) Tais-toi, salope !

    Mapa : (avalant ses larmes) Ah, oui, la vérité blesse, n'est-ce pas ? A quoi cela te sert-il de jouer la comédie ? Tu ferais mieux de te faire soigner, au lieu de dire sans cesse à qui veut t'entendre que tu n'as rien à te reprocher.

    Kameni : (indigné) Me faire soigner, moi ? Mais tu es complètement folle !

    Mapa : (élevant la voix) Et toi, un malade qui s'ignore. Et tant que tu refuseras de te faire soigner, nous n'aurons jamais d'enfant. Cela nous a été démontré scientifiquement par deux spécialistes. Mais tu t'obstines à croire le contraire

    Kameni : Penses-tu que je crois à ces charlatans comme toi ? (Avec suffisance) Ecoute-moi bien, Mapa. Ouvre grandement tes oreilles. Pour ton information, sache que j'ai trois enfants.

    Mapa : (l'air dédaigneux) Chanson que tout cela.

    Kameni : Tu mets mes déclarations en doute ? Eh bien lorsque tu verras mes enfants tu crèveras de honte et de jalousie. Crois-moi.

    Mapa : (ne désarmant pas) Comment quelqu'un d'aussi important que toi, peut-il accepter que ses enfants vivent loin de lui ?

    Kameni : Ils ne sont pas loin de moi, puisque nous vivons dans la même ville.

    Mapa : Ne penses-tu pas qu'un illustre personnage comme toi devrait lui-même élever ses enfants afin de leur donner la meilleure éducation qui soit ? Riche que tu es, tu préfères donc vivre seul, dans cette immense maison qui ressemble à un tombeau ? Une maison où l'on n'entend jamais des rires ou des pleurs d'enfants ?

    Kameni : J'estime, enfin j'estimais qu'ils vivaient mieux auprès de leurs mères. Car tu n'aurais été qu'une marâtre pour eux et rien de plus.

    Mapa : (d'un ton moqueur) Eh oui ! Moi leur marâtre et toi leur tuteur. Je dis bien leur tuteur et non leur papa, m'entends-tu ?

    Kameni : (forçant le rire) Je n'appartiens pas à cette catégorie d'hommes qui croient sans preuve (légère pause). Je ne dis que ce que je crois. Concernant ma paternité, si j'avance des faits, c'est que j'ai vérifié leur véracité. Sache donc que je suis bel et bien le père de ces trois enfants. Ce qui m'emmène naturellement à conclure que de nous deux, la stérile, c'est toi.

    Mapa : (d'un rire moqueur) Moi la stérile, toi leur père ! Et pourquoi ne prends donc tu pas en charge leur éducation?

    Kameni : Jacasse, raille, ironise, petite garce ! Ecoute bien ce que je vais te dire à présent (marque un temps d'arrêt). Dès demain matin, j'irai chercher l'aîné de mes enfants et sa mère. J'épouserai cette dernière et l'installerai dans cette maison avec notre fils. C'est par respect pour ma feu mère que je ne l'ai pas fait plus tôt. Ton attitude me pousse aujourd'hui à réagir différemment. J'avais promis à ma feu mère que je prendrai toujours soin de toi. Il est malheureusement des sermons, même sacrés, qui sont bien difficiles à mettre en application. Puisque tu m'as poussé à agir, j'agirai, au risque de faire voler en éclats la promesse faite à ma mère. Le temps perdu ne se rattrape pas. A bon entendeur, salut (se dirige vers la porte de sortie).

    *
    Scène 3

    Mapa seule

    Mapa : (répétant à haute voix les derniers mots prononcés par son époux) Le temps perdu ne se rattrape pas...le temps perdu ne se rattrape pas (pause) Pauvre Kameni, penses-tu rattraper le temps perdu de cette façon ? Qu'ai-je fait pour mériter tant de méchanceté de la part de mon époux ? Quelle injustice !
    Il est bien loin le temps de nos fiançailles (pause). Lorsque Kameni et moi nous sommes mariés, tous nos proches trouvaient que nous formions un beau couple. Mais aujourd'hui je me rends bien compte que ce n'est plus le cas. Notre amour est mort. Et pourtant j'ai tout fait. Tout essayé pour lui donner un héritier. J'ai consulté plusieurs spécialistes. Je suis allée voir des devins aux quatre coins du pays. De chacun, j'attendais un miracle. Je me suis prêtée à toutes leurs exigences : aller puiser de l'eau seule en brousse à plus de cinq kilomètres du village dans un fleuve où pullulaient les crocodiles. C'était à ce prix-là, m'assurait-on, que je deviendrai maman (marque une pause).
    A une autre époque, toujours à la demande d'un guérisseur, j'ai dû me rendre au beau milieu de la nuit dans un cimetière, je me suis mise entièrement nue sur une tombe et me suis lavée. Et ce, malgré le silence angoissant de la nuit. Je tremblais de peur. Mais l'espoir était en moi. Oui, celui de devenir un jour maman (pause). Je dois avouer aujourd'hui que cet espoir m'a quittée. Il ne me reste plus qu'à plier bagages à présent et à céder ma place à une autre. Oui, il faut que je m'en aille d'ici (musique).

    © Angèle MBARGA, 2008


    [Retour à la page de Charlotte Mbarga Kouma] | [Page d'accueil du site "Lire les femmes"]

    Editor ([email protected])
    The University of Western Australia/French
    Created: 7 April 2008
    https://aflit.arts.uwa.edu.au/IneditMbargaKouma2.html