Les aventures de Passa Extrait d'une pièce en trois actes de Marie-Charlotte MBARGA KOUMA écrite en 1977 |
Sur fond de mysticisme, de pratiques occultes et de croyances aux pouvoirs des esprits, cette pièce aborde à travers Passa, son personnage principal, la question de l'infidélité, de l'homosexualité et de la bisexualité dans une Afrique où les questions liées à la sexualité demeurent taboues. |
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ACTE DEUX
Scène 1
Passa, Mimi
Passa : (soupirant) Me voici cloué sur place depuis deux
semaines. Deux bonnes semaines. Deux longues semaines sans pouvoir toucher ma
fiancée. Qui l'aurait cru ? Et tout cela à cause de
Zénabou, cette obsédée sexuelle, comme l'a si bien
traitée son mari. Quelle injustice, mon Dieu ! (fait quelques pas et allume une cigarette). Nul doute que Mimi se pose depuis
quelques temps des tas de questions sur mon compte. A force de lui raconter des
bobards, je n'arrive plus à soutenir son regard. Je commence même
à avoir honte de lui parler (écrase sa cigarette). Je me
demande bien ce que je vais encore devoir inventer comme mensonge
quand elle viendra me voir (pause). Cette Zénabou qui m'a
embobiné, doit certainement être en ce moment dans les bras d'un
autre homme, pris au piège qu'elle lui aura tendu comme ce fut le cas
pour moi. Ah ! les femmes, qui aurait pu imaginer que je me retrouverai dans
cette situation un jour ? Quelle triste vie que la mienne !
Mimi : (manifestant sa présence) Passa ?
Passa : (sursaute) Mimi ? Depuis quand viens-tu chez moi comme une
voleuse ? Ne peux-tu pas t'annoncer ?
Mimi : (inquiète) Je viens d'arriver, Passa. Qu'as-tu ? Comme
j'aimerais te venir en aide, Passa !
Passa : Je n'ai rien, Mimi.
Mimi : Comment peux-tu dire que tu n'as rien alors que tu maigris de jour en
jour chéri. (le regarde fixement) Voici bientôt trois
semaines que tu es plus que soucieux. Il est bien vrai que ton
ex-employeur t'a licencié au moment où tu t'y attendais le moins.
Mais de là à te mettre dans cet état... A moins qu'il y ait
quelque chose de grave que tu me caches. Tu as perdu et ton sourire et ta bonne
humeur, Passa. Tout en toi a changé et j'aimerais que tu me dises ce qui
ne va pas.
Passa : (sur ses nerfs) Que veux-tu insinuer par là, Mimi ?
Mimi : Je n'insinue rien. Qu'aurais-tu fais si tu étais à ma
place et si j'avais une attitude similaire à celle que tu as depuis
quelque temps ? Tu as été licencié, c'est vrai, mais ce
n'est tout de même pas la fin du monde. Ce n'est pas une raison pour
être aussi soucieux et mélancolique. Il t'arrive des fois, de
parler seul. T'en rends-tu au moins compte ? Quand je viens te voir, j'ai
l'impression d'être une intruse. Tu me laisses repartir sans même
m'embrasser. Et avec tout cela, tu ne veux pas que je me plaigne. Ton
état m'inquiète Passa, comprends-moi. Je me demande seulement si
vraiment ...
Passa : (fermement) Ca suffit maintenant. En voilà des
façons. Est-ce là l'attitude d'une femme amoureuse ? Ecoute Mimi,
si tu as trouvé un joli cœur qui te fait tourner la tête et
que tu veux te débarrasser de moi parce que je t'encombre, rentre chez
toi. Je sais que les femmes préfèrent les hommes qui ont une
bonne situation et que tu n'en as que faire d'un chômeur de mon
espèce. D'ailleurs, tu ne m'as que trop supporté. Aie au moins le
courage de me dire la vérité.
Mimi : (blessée) C'est plutôt toi qui ne veux plus de moi.
Tout dans ton comportement laisse penser que tu ne veux plus me sentir. Il est
donc inutile de jouer la comédie. Merci, j'ai compris (se dirige au
dehors).
Passa : (soulagé) Ouf ! J'avoue que notre échange a
été plus dur que les fois précédentes. Heureusement
que j'ai tout de même réussi à la faire partir. Pourvu
qu'elle ne revienne pas de si tôt, la pauvre ! Je risquerais de lui dire
la vérité ou de piquer une crise cardiaque.
Mimi : (inquiète) Pourquoi es-tu dans cet état, Passa ? Y
a-t-il autre chose qui t'est arrivé en plus de ce que je sais ?
Passa : (tristement, tout en rangeant rapidement ses affaires dans un grand
sac) Oui Mimi, un malheur. Cela fait-il longtemps que tu es revenue ?
Mimi : Non, je viens d'arriver. Quel malheur t'est-il arrivé ?
Passa : (tristement, tout en continuant à ranger ses
affaires) On vient de m'annoncer le décès de mon père
et il faut que je parte tout de suite.
Mimi : Qui est venu te faire part de cette nouvelle ?
Passa : Mon oncle que tu connais très bien. Il est tout de suite
après parti au village.
Mimi : Et comment a-t-il pu te laisser seul après t'avoir annoncé
cette nouvelle ?
Passa : Il n'avait pas trop le choix parce que c'est lui qui doit organiser les
obsèques de mon père, vois-tu ?
Mimi : (prise de compassion) Je me vois dans ce cas bien obligée
de t'accompagner au village.
Passa : (fermement) Surtout pas Mimi. Il est interdit dans ma famille
que l'on s'affiche avec quelqu'un avant de l'avoir officiellement
présenté aux parents. Ne t'en fais surtout pas, je
t'écrirai régulièrement pour te donner de mes nouvelles
(la prend dans ses bras). Je suis désolé pour notre
dispute de tout à l'heure. Cela arrive à tous les amoureux de
s'emporter de la sorte, tu sais !? (lui donne les clés de son
logement) Fais part de la triste nouvelle au propriétaire de
mon studio et remets-lui ces clés (la serre dans ses
bras). Au revoir Mimi.
Mimi : Tu permets que je t'accompagne à la gare ?
Passa : Ce n'est pas la peine, Mimi. Tu risquerais de te mettre à
pleurer devant tout le monde et cela me ferait encore plus de peine (la
serre à nouveau dans ses bras). Au revoir, Mimi. Sois Sage ! (il
s'en va sans se retourner)
Mimi : (tristement) Pauvre Passa ! Il va de malheur en malheur. Il y a
un mois qu'il a perdu son emploi et aujourd'hui, c'est son père. Comme
j'aurais aimé être auprès de lui pendant qu'il traverse ces
épreuves difficiles !
C'est la nuit, une lanterne éclaire une petite pièce dont le
mobilier se limite à deux chaises et un tabouret.
Lorsque les rideaux
s'ouvrent, Passa est en pleine méditation. Il se lève, fait
quelques pas et regagne sa chaise.
Je n'en peux plus. Cette situation commence à me déranger
sérieusement. Cela fait exactement un mois que je me suis fait licencier
bêtement. Je ne mange pas bien, je ne dors pas bien et je fonds jour
après jour comme neige au soleil (tâte ses parties
génitales). Mon compagnon de tous les jours est mort (se touche
à nouveau les parties génitales). Oui, il est vraiment
mort. Mon fidèle ami, mon frère, ma raison de vivre m'a
quitté. Quel triste sort que le mien, Seigneur ! (s'affale sur
une chaise et craque). Mon patron m'avait dit qu'il fallait
désormais que je me considère comme un mort vivant. Autant mourir
une bonne fois pour toute que d'endurer un tel châtiment
(médite longuement et quitte tout à coup sa chaise,
l'air décidé). Il faut que je plie bagages et que je
parte d'ici au plus vite (ne s'aperçoit pas de la présence de
Mimi qui a suivi une partie de son monologue).
*
Scène 2
Passa seul
Passa : (après une gorgée d'eau plate) Les choses
reviennent tout doucement dans l'ordre. Le moral, l'appétit et tout le
reste. J'ai retrouvé le sommeil, alors que cela faisait plusieurs
semaines que je dormais mal. Je me demande ce que je serais devenu si je n'avais
pas pris la décision de déménager et de changer
radicalement de vie. Cela m'était insupportable de me savoir plus du
tout viril. Et pourtant, sans aucun traitement miracle, j'ai trouvé la
solution qu'il me fallait (il se lève, fait quelques pas). Finis
les pleurs, finies les nuits blanches et les crises de nerfs. Je vais accepter
avec le sourire mon nouveau mode de vie, mes nouveaux choix sexuels, en un mot,
l'être que je suis aujourd'hui. Je mettrai désormais tout en
œuvre pour séduire les hommes (esquisse quelques pas en se
déhanchant). Il me suffira de tout faire comme une femme et le tour
sera joué. A partir d'aujourd'hui, tournons donc la page de ma vie de
garçon et considérons-la comme faisant désormais partie du
passé et parlons d'affaires sérieuses (fait mine de
réfléchir). Pour être femme, il faut avoir une voix de
femme, des manières de femmes, et bien entendu un prénom de femme
(sourit). Pour y parvenir aisément, je vais commencer par
maquiller ma voix et petit à petit, cela deviendra presque naturel avec
le temps. (Ouvre son portefeuille, sort sa carte
d'identité et la parcourt) Le seul nom qui figure dans ma
carte d'identité est Passa. Dans mon acte de naissance aussi
(sourit). Je me suis toujours demandé si mon père avait
oublié ou refusé de me donner un prénom. Mon cher papa
avait-il deviné que j'aurais des problèmes de cette nature. En
tout cas, en me privant de prénom il m'a rendu sans le savoir un
très grand service. Comme je lui suis reconnaissant aujourd'hui (se
reprend). Reconnaissante, s'il vous plaît, j'oubliais que je suis
désormais une autre personne. Une demoiselle sans prénom. Le
choix d'un prénom est aussi délicat que la venue au monde d'un
enfant. Car les parents ignorent généralement tout de l'enfant
qu'ils s'apprêtent à mettre au monde. Il en est de même des
prénoms, il y en a qui portent bonheur et d'autres malheur (marque
une pause et réfléchit). Comme prénoms, j'ai toujours
aimé Marie-Louise, Catherine, Sylvie. Marie-Louise a pour diminutif,
Marilou, Catherine, Cathy, et Sylvie (réfléchit)... Aucun
diminutif trouvé pour Sylvie. Eh ! bien, je choisis pour prénom
Marie-Louise (parcourt à nouveau sa carte d'identité). Il
me suffira de prendre un stylo feutre ou une belle plume d'oie et ajouter de ma
main, mon prénom.
Cette scène a lieu au nouveau domicile de Passa. Il mange tout
en lisant un journal spécialisé.
Passa est mort, vive Mademoiselle Marie-Louise. Le
jeune homme que j'étais, n'est plus. Il a donné naissance
à Mademoiselle Marie-Louise qui s'apprête à affronter le
monde. Il faut à présent que j'aille en ville m'acheter quelques
robes et chaussures. S'il faut que je vole pour me procurer le minimum vital qu'il
faut à une femme, je le ferai (se dirige au dehors en se
déhanchant).
© Angèle MBARGA, 2008
Editor ([email protected])
The University of Western Australia/French
Created: 7 April 2008
Modified: 21 September 2008
https://aflit.arts.uwa.edu.au/IneditMbargaKouma3.html