Le mariage de ma cousine Extrait d'une pièce en trois actes de Marie-Charlotte MBARGA KOUMA écrite en 1972 |
Une collégienne devient l'épouse d'un notable de 40 ans son aîné, sous les cris de joie et d'allégresse de sa famille [...] Cette pièce met en scène avec gravité et non sans sévérité à l'égard des mères complices et des pères tout-puissants, les tourments dune jeune fille prise au piège de la polygamie et de ce que l'on qualifierait à juste titre aujourd'hui, de mariage forcé. (Angèle Mbarga) |
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PREMIER ACTE
Scène 1
Pierre : J'ai une faim de loup, Françoise. N'y a-t-il rien à se mettre sous la dent ?
Françoise : (sans le regarder) : Rien !
Pierre : (incrédule) Comment cela ? Tu veux me faire croire que maman n'a rien laissé en partant au travail ?
Françoise : (sur le même ton) Rien !
Pierre : Et qu'attends-tu pour aller faire à manger ?
Françoise : (tout en continuant à repasser) Rien !
Pierre : (s'emportant) Tu veux que je crève de faim ? Que signifie tous ces rien, rien, rien, rien ?
Françoise : (sourire aux lèvres) Il signifie que tu n'auras rien à manger ici jusqu'au retour de notre chère mère ce soir !
Pierre : (se dirige vers la cuisine) Je ne te croirai qu'après avoir été moi-même faire un tour dans la cuisine !
Françoise : Très bonne idée, vas-y ! Tu sais quoi ? Je plains celle qui sera ton épouse !
Pierre : Et moi je plains celui qui te choisira pour épouse !
Françoise : (Pierre revient de la cuisine avec un avocat et un morceau de manioc) Ne peux-tu pas t'empêcher de manger à tout bout de champ ?
Pierre : Et pourquoi le ferai-je ? Et que dirai-je de toi qui passe tout ton temps à manger des caramels ?
Françoise : Tu as bien dit caramels !
Pierre : Et qui dit caramels, dit caries dentaires !
Françoise : (souriant) Ça me regarde !
Pierre : Eh bien continue avec tes caramels et nous verrons ce que tes dents deviendront (se dirige à nouveau vers la cuisine. Juste à ce moment quelqu'un frappe à la porte)
Françoise : Oui, entrez !
Monsieur Medjo : (fait son entrée dans une tenue vestimentaire et une démarche plus que correctes pour un sexagénaire) Bonjour Mademoiselle !
Françoise : Bonjour Monsieur.
Pierre : (serrant la main du visiteur) Si c'est mon père que vous voulez voir, il n'est pas là.
Monsieur Medjo : Vous a-t-il dit où il partait ?
Pierre : Il nous a dit qu'il se rendait en ville et qu'il ne manquerait pas de vous voir avant de rentrer à la maison.
Monsieur Medjo : Si jamais on ne se voyait pas, dites-lui que je suis passé le chercher. Françoise, je suppose que votre père vous a parlé de moi !
Françoise : (surprise) Mon père vous dites ?
Monsieur Medjo : Oui votre père (Pierre rit sous cape.)
Françoise : (perplexe) Excusez-moi monsieur, je ne vous suis pas.
Monsieur Medjo : (souriant) Eh bien mademoiselle Françoise, je n'insiste pas. Puisque vous semblez surprise nous en reparlerons une autre fois. Sur ce, je vous dis à très bientôt. Dites à votre père que je reviendrai le voir incessamment.
Pierre et Françoise : Au revoir monsieur (Monsieur Medjo prend congé et un silence glacial s'installe)
Françoise : Pourquoi riais-tu tout à l'heure ? J'ai un mauvais pressentiment Pierre.
Je ne me l'explique pas. Mais crois-moi, j'ai peur.
Pierre : Et pourquoi donc ? Cesse de te faire du mauvais sang voyons !
Françoise : Admettons que je me fais du mauvais sang pour rien. Je t'avoue que ce monsieur m'a sérieusement inquiétée tout à l'heure.
Pierre : Et que ferais-tu s'il te demandait de devenir sa onzième épouse ?
Hortense : Quelle idée !
Pierre : C'est pourtant une hypothèse qui n'est pas à exclure. Monsieur Medjo est une personnalité et comme toutes les personnalités, il aime les belles choses, les belles femmes et la belle vie. N'oublie pas qu'il est Chef de Canton Député Maire !
Françoise : Et alors ?
Pierre : Il a les poches bourrées de billets de banques !
Françoise : Je n'en ai pas besoin. N'as-tu rien d'autre à me dire ?
Pierre : Eh bien puisque mademoiselle s'énerve, je m'éclipse. Mais avant de m'en aller, je voudrais que tu ailles te coucher et qu'à mon retour tu sois plus gaie et plus détendue. Une heure de somme te ferait du bien et dissiperait toutes tes idées noires. D'accord ?
Françoise : D'accord !
Pierre : A bientôt soeurette !
Françoise : A bientôt grand-frère.
(pensive) Ce vieux bonnet aurait-il demandé ma main à mon père comme vient de l'insinuer mon cher frère ? Et si c'était le cas ? Avec un père comme le nôtre, on ne sait jamais...
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Scène 2
Mathias : J'ai quelque chose de très important à te dire, Tamara.
Tamara : Je débarrasse la table et je suis à toi dans un instant.
Mathias : Assois-toi et écoute-moi. Ce que j'ai à te dire est d'une importance capitale. Je voudrai te parler du mariage de Françoise.
Tamara : De quel mariage parles-tu ?
Mathias : Du mariage de Françoise et Medjo. Il est grand temps que je te l'apprenne. Ils doivent se marier la semaine prochaine.
Tamara : De quel Medjo s'agit-il ?
Mathias : De celui que tu connais, voyons !
Tamara : Quoi ? Non, cela ne peut être vrai, Mathias !
Mathias : (calmement) C'est pourtant le cas, ma chère femme ! J'ai décidé de marier notre fille bien aimée à Medjo, notre Chef de Canton Député Maire. Qu'il y a-t-il de mal à cela ?
Tamara : (indignée) Marier notre fille à ce vieux monsieur ? Françoise n'est qu'au collège et nous devons la laisser tranquille pour le moment. As-tu perdu la tête ? Peux-tu me dire depuis quand les as-tu fiancés ?
Mathias : Depuis l'année dernière. Depuis les grandes vacances dernières pour être plus précis. Ne penses-tu pas qu'il était temps que nous nous penchions sur son avenir ?
Tamara : Serais-tu par hasard entrain de me faire une mauvaise blague ?
Mathias : Je n'ai jamais été aussi sérieux ma chère femme ! Pourquoi te ferai-je une blague d'aussi mauvais goût ?
Tamara : Puis-je savoir dans quelles conditions tu les as fiancés ?
Mathias : A huis clos !
Tamara : De manière unilatérale, tu veux dire ! As-tu perdu la tête, Mathias ?
Mathias : Pas du tout! La preuve est que j'ai encore tous mes membres. Si j'avais perdu la tête, je ne serais pas là devant toi, te parlant du mariage de notre fille.
Tamara : Je suis sûre que tu as perdu la raison en prenant cette décision. C'est totalement insensé de ta part de marier Françoise à ce vieux monsieur qui est du reste marié à dix autres femmes ! Je ne consentirai pas à laisser notre fille devenir sa onzième épouse. Ce serait pure folie de ma part !
Mathias : Ma chère femme, il est bien trop tard à présent ! Medjo m'a versé en guise de dot l'année dernière, la rondelette somme de cent cinquante mille francs et la semaine prochaine, il offrira tout un boeuf à la famille toute entière pour parachever sa demande en mariage.
Tamara : Puis-je savoir ce que tu as fait de son argent.
Mathias : Que t'importe ce que j'ai fait de cet argent ? Depuis quand les femmes se mêlent-elles des questions de dot ? Hein ?
Tamara : Françoise n'est-elle pas notre fille à nous deux ? Ne suis-je pas sa mère ? N'ai-je pas le droit d'être informée des engagements que tu prends pour notre enfant ? Ne penses-tu pas que c'est une erreur monumentale de marier notre fille à ce polygame âgé de plus de 60 ans ? Si tu ne me dis pas ce que tu as fais de cet argent, je m'en vais.
Mathias : Fais comme tu voudras. En attendant, je t'interdis de parler de Medjo sur ce ton. C'est un haut personnage que tout le monde craint et respecte. Tu devrais te réjouir de l'avoir pour futur gendre. Crois-tu qu'il est possible à n'importe qui d'avoir pour futur gendre une personnalité cette envergure ?
Tamara : Vas au diable Mathias ! Malgré ses titres ronflants, Françoise n'épousera pas Medjo. Débrouille-toi pour lui rendre ses cent cinquante mille francs. Ma fille n'épousera pas ce vieux monsieur, m'entends-tu ? (n'en pouvant plus, Mathias la bouscule brutalement. Alertés par leurs éclats de voix, Pierre et Françoise accourent)
Pierre : Qu'il y a-t-il, Papa ?
Françoise : Pourquoi Maman pleure-t-elle ?
Mathias : (le regard fuyant) Tout simplement parce que tu dois te marier la semaine prochaine. (Pierre éclate d'un rire forcé)
Françoise : Qu'est ce que tu dis Papa ? Avec qui vais-je me marier et depuis quand m'as-tu fiancée ?
Mathias : Je t'ai fiancée l'année dernière à un illustre personnage de la ville. Je suis ton père et suis de ce fait bien placé pour décider de ce qui est bon pour ton avenir, mon enfant.
Françoise : (éclatant en sanglots) Pourquoi as-tu décidé de me marier sans me consulter, Papa ?
Pierre : Jusque là tu n'es pas clair, Papa. Peut-on savoir à qui tu as décidé de la marier ?
Mathias : J'ai décidé de la marier à Medjo, notre Chef de Canton Député Maire !
Pierre : Quoi ?
Françoise : (sanglotant de plus belle) Mais que t'arrive-t-il, Papa ? Pourquoi m'obligerais-tu à interrompre mes études. Il y a deux ans de cela, tu disais pourtant que tu voulais que je devienne une secrétaire de direction hors pair.
Mathias : Boucle-la Françoise ! Je suis le chef de cette famille et n'ai par conséquent pas à vous consulter sur mes moindres faits et gestes. M'entends-tu ? Si c'est ta mère qui t'apprend à me parler de la sorte, sachez que je ne saurais le tolérer chez moi. Medjo t'a dotée depuis un an. Que tu le veuilles ou non, tu te marieras à lui la semaine prochaine et quitteras par conséquent ton collège.
Françoise : Papa, je ne saurais consentir à devenir l'épouse d'un homme ayant l'âge de mon grand-père. Je ne me marierai donc pas la semaine prochaine avec ce vieux monsieur.
Mathias : Tu seras son épouse et tu quitteras ce collège qui t'apprend à me désobéir. Ce collège où vous apprenez tant de mauvaises choses. Je comprends à présent pourquoi nos parents n'envoyaient pas leurs filles à l'école.
Pierre : Papa ne peux-tu pas laisser Françoise finir ses études avant de lui parler de mariage ?
Mathias : Ta gueule ! Je ne me laisserai pas faire cette fois-ci, tu m'entends ? Et si on parlait de toi qui es supposé prendre ma relève un jour. As-tu seulement la moindre idée de tout ce que j'ai dépensé pour toi depuis que tu vas au lycée ? Une immense fortune ! Et que m'as-tu rapporté en compensation ? Rien du tout. Pas même un dix sur vingt de moyenne. Et tu oses me demander de laisser ta soeur finir ses études ? Il n'en sera point question. J'ai décidé et vous devez vous exécuter.
Françoise : (continuant à sangloter) Que Dieu me pardonne si je maudis le jour où il décida que tu sois mon père et que je sois ta fille. Maudit soit le jour où je suis née. Je me donnerai la mort plutôt que d'épouser ce vieillard. Il a dix épouses, n'en est-il pas satisfait ? Qu'il soit Chef de Canton Député Maire ou Chef d'Etat, je m'en moque éperdument. Je poursuivrai mes études et si tu essaies de m'en empêcher, je me suiciderai.
Mathias : Nous verrons qui de nous deux aura raison. Je vais chercher ton futur mari et te laisse le temps de réfléchir. Quant à toi mon pauvre fainéant de fils, attends ma mort en paix. Mais pour le moment, laisse-moi m'occuper de mes affaires. (s'en va sous le regard estomaqué de ses enfants)
Françoise : Est-il possible qu'il soit mon père ? O Seigneur, aies pitié de moi et viens à mon secours.
Pierre : Le jour où cela me prendra, je m'en irai d'ici sans laisser d'adresse. Ce serait peut-être mieux ainsi.
© Angèle MBARGA, 2008