Le charlatan Extrait d'une pièce en quatre actes de Marie-Charlotte MBARGA KOUMA écrite en 1966 |
"Le charlatan" est une satire sociale en quatre actes qui relate le quotidien burlesque d'un marchand d'illusions. (Angèle Mbarga) |
Nnom Modo, Amougui, Kéedi, Henriette, Martine
Amougui : (lisant un écriteau) Ici le domicile du professeur Khalil, diplômé de l'école internationale des sciences occultes de l'Inde...
Nnom Modo : Amougui, pourquoi traînes-tu le pas de la sorte ?
Amougui : (poursuivant sa lecture) Révélations sur le passé, le présent et l'avenir, retour d'affection...
Nnom Modo : Que t'arrive-t-il Amougui ? Pourquoi t'intéresses-tu tant à cet écriteau. Oublies-tu que nous sommes attendus par mon docteur ? Je n'aime pas cette manie que tu as de toujours en faire à ta tête, y compris quand je te parle. Ce sont là de bien mauvaises manières mon enfant.
Amougui : (sans quitter des yeux l'écriteau) Je suis à toi dans une minute, grand-père.
Nnom Modo : Vous êtes vraiment à plaindre vous, les petits garnements d'aujourd'hui. C'est à force de lire des choses de ce genre que vous vous abrutissez de jour en jour.
Amougui : Ne t'énerve pas grand-père. Je m'informais tout simplement sur ce voyant capable d'anéantir le pouvoir des démons les plus redoutables.
Nnom Modo : Arrête de plaisanter Amougui, ce n'est vraiment pas le moment.
Amougui : Il ne s'agit pas d'une plaisanterie grand-père, mais plutôt d'un guérisseur venu d'un pays où les habitants causent avec le Bon Dieu. N'est-ce pas stupéfiant cela ?
Nnom Modo : Trêve de plaisanterie Amougui, penses-tu qu'il existe sur cette terre de pêcheurs invétérés un pays où des personnes comme toi et moi causent avec Dieu ?
Amougui : Bien sûr grand-père, le Professeur Khalil en est la preuve vivante.
Nnom Modo : Même en supposant que ce professeur soit aussi compétent que tu le prétends, crois-tu qu'il puisse être en mesure de me débarrasser de cette vieille hernie que je traîne depuis plusieurs années ?
Amougui : Mais oui, grand-père !
Nnom Modo : Dans ce cas allons immédiatement le voir.
Kéedi : (parlant seul devant le domicile du charlatan) Il faut absolument que je voie ce professeur afin qu'il me dise ce que ma femme fait de tout l'argent que je lui donne. Le petit jeu d'Anastasia n'a que trop duré. Comment ose-t-elle prétendre que les 15 000 francs que je lui ai donnés il y a tout juste une semaine sont finis ? Me prend-t-elle pour un idiot ? Je suis tout sauf idiot et je compte bien le lui prouver.
Henriette : (lisant l'écriteau du professeur Khalil) C'est bien ici que Martine m'a demandé de l'attendre. J'espère qu'elle ne va pas tarder...
Oh Martine, te voilà enfin ! Je commençais déjà à m'inquiéter.
Martine : Il ne fallait pas ! Même mourante je serais venue à ce rendez-vous. Je ne t'aurais posé un lapin sous aucun prétexte. Je sais que ce rendez-vous revêt une importance capitale pour toi. Nous voici toutes les deux devant le domicile du professeur Khalil. Comme je te l'ai dit, c'est quelqu'un de très fort. Je dirais même le seul homme fort de ce pays. Je ne sais pas si tu réalises vraiment ce qui va t'arriver. Tu vas rencontrer le plus grand voyant de notre pays. J'exagère à peine. Au fait Henriette, y a-t-il un quelconque changement dans ton ménage depuis que Malam Youssef s'occupe de toi ? Faudrait surtout pas que ses incantations et celles du Professeur Khalil s'affrontent. Cela pourrait t'être fatal et ce serait le comble.
Henriette : Il n'y aura aucun affrontement possible rassure-toi. Depuis que Malam Youssef s'occupe de moi, les choses vont de mal en pis dans mon ménage. Mon mari est de plus en plus odieux avec les enfants et moi. C'est à peine s'il nous adresse la parole. Je suis au bord du précipice et je ne sais plus à quel saint me vouer.
Martine : Garde espoir Henriette, avec le concours du Professeur Khalil tout rentrera dans l'ordre. Sois en sûre, tu seras à nouveau heureuse.
Henriette : Je suis à bout de force et je n'ose pas y croire, tellement mon moral est bas !
Martine : Je sais ce que c'est, je suis passée par là. Courage!
Amougui : (sortant du domicile du charlatan) J'espère que tu as bien retenu tout ce que l'assistant du Professeur Khalil vient de nous dire grand-père !
Nnom Modo : Mais oui, Amougui . Pour qui me prends-tu ? Le Professeur Khalil étant absent, je propose que nous revenions le voir un autre jour.
(Au même moment, dans une pièce austère, le Professeur Khalil et Moustafa se livrent à un de leurs rituels favoris)
Professeur Khalil : Allah el kébir ! Allah el Kébir ! Couvre-moi de ta bénédiction divine. Que cette journée qui commence m'apporte succès, chance et bonheur ! Allah el Kébir, Allah el Kébir ! Que tous ceux qui viennent vers moi trouvent le réconfort et rentrent chez eux en paix. Ô Lucifer, toi qui fus le plus sage et le plus rusé des Anges, toi qui fus chassé du ciel à cause de ton intelligence, Ô Lucifer, Ô Lucifer viens à mon secours, viens à mon secours !
Moustafa : Aies pitié de nous les humains et viens vite à notre secours !
Professeur Khalil : Ô Lucifer, couvre ton humble serviteur de ta bénédiction sublime. Qu'il en soit ainsi !
Devant le domicile du Charlatan.
*
Scène 2
Professeur Khalil : (rompant le silence) On a frappé ? Va vite ouvrir Moustafa et laisse-moi seul avec ce client.
Moustafa : Entendu, maître !
Professeur Khalil : (au nouveau venu) Bonjour mon cher ami, comment allez-vous ?
Olinga : Très bien professeur, je vous remercie. Les bons comptes font les bons amis, n'est-ce pas ? Comme convenu je vous apporte votre dû.
Professeur Khalil : Merci. Vous êtes un bien brave homme (échange de bons procédés entre les deux hommes). J'ai apprêté cette mallette pour vous. Ne l'ouvrez surtout pas avant six jours. Je dis bien six jours. Gardez-la dans un endroit où personne d'autre que vous ne pourra ni la voir, ni la toucher. Si vous suivez à la lettre toutes mes recommandations, vous aurez l'agréable surprise de trouver à l'intérieur de cette mallette la rondelette somme de 20 millions de francs. Je vous dis à très bientôt et que les esprits de nos ancêtres veillent sur vous.
Olinga : Mille mercis professeur. Je tâcherai de suivre à la lettre vos recommandations, vous pouvez en être sûr. A très bientôt, vénérable professeur.
Professeur Khalil : A bientôt mon cher ami. (se retient quelques instants avant de pouffer de rire) Cette journée s'annonce bien. Me voici en possession de cinq millions de francs ! C'est à peine croyable ! Je l'ai bien eu celui-là ! Sadéya ? Fatma ? Venez vite mes chères femmes. Venez partager ma joie.
Sadéya : Qu'y a- t-il mon cher mari ?
Professeur Khalil : Les nouvelles sont bonnes. Je viens de gagner cinq millions de francs.
Fatma : Et comment les as-tu gagnés, Khalil ? Aurais-tu par hasard joué à la loterie nationale ?
Professeur Khalil : Pas du tout ma chère Fatma. Ai-je la tête de quelqu'un qui croit aux jeux du hasard ? J'ai plus d'une corde à mon arc, moi ! Pour tout vous dire, j'ai gagné cet argent en faisant croire à un haut fonctionnaire que je pouvais lui fabriquer les vingt millions de francs manquant dans sa caisse. Ce procédé est bien plus sûr que la loterie nationale, vous ne pensez pas ?
Fatma : Ton récit me laisse sans voix Khalil !
Professeur Khalil : Il n'y a que vous mes femmes qui continuez à me sous-estimer. Je fais pourtant partie des charlatans les plus respectés de la place. Avec mes innombrables pouvoirs hypnotiques, je tiens prisonniers tous mes clients, qui du reste me vénèrent comme un dieu. Pour eux, je suis l'incarnation vivante de nos divinités ancestrales.
Sadéya : Puis-je savoir qui est le malheureux fonctionnaire que tu viens de rouler ainsi dans la farine ?
Professeur Khalil : Il s'agit d'un percepteur ayant quelques problèmes avec sa comptabilité. Je ne vous en dirais pas plus... Figurez-vous que ce haut fonctionnaire est venu me voir afin que je l'aide à combler le trou qu'il avait allègrement creusé dans la caisse de l'état. En ma qualité de grand professeur en sciences occultes, je lui ai remis une mallette remplie de papiers minutieusement découpés en lui faisant croire qu'au bout de quelques jours il trouverait à l'intérieur de la dite mallette l'équivalent de ce qu'il avait subtilisé dans les caisses dont il avait la charge.
Sadéya : Et si ce monsieur découvrait la supercherie ? Je t'en prie Khalil, arrête de te faire passer pour ce que tu n'es pas et trouve-toi un travail plus honnête.
Professeur Khalil : Tu n'as aucune leçon à me donner Sadéya. Je gagne ma vie comme je l'entends. Si cela ne te plaît pas, tu peux toujours prendre la porte. Depuis quand les femmes se mêlent-elles des affaires de leur mari ? Et où as-tu appris à me parler sur ce ton ? Ne t'avise plus jamais à recommencer. Est-ce clair ?
Sadéya : C'est entendu, je ne me mêlerai plus jamais de tes affaires. Tu peux en être sûr Khalil (elle sort en claquant la porte).
Professeur Khalil : Quelle femme ingrate ! C'est pourtant grâce à ce travail que j'arrive à vous nourrir et à vous offrir tout ce dont vous avez besoin !
Fatma : Je t'ai toujours dit que Sadéya n'est pas une femme pour toi. Si tu ne t'en débarrasses pas au plus vite, elle finira par te créer de sérieux ennuis.
Professeur Khalil : Je commence à te croire ma bonne Fatma. Il va falloir que je prenne mes dispositions avant qu'il ne soit trop tard.
Fatma : Cela fait une éternité que tu le dis.
Professeur Khalil : Cette fois-ci, c'est décidé. Sadéya va partir, j'irai moi-même la raccompagner chez ses parents. Trop c'est trop !
© Angèle MBARGA
Editor ([email protected])
The University of Western Australia/French
Created: 6 July 2008
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