Le dernier espoir Une nouvelle de Véronique Tadjo 1997 |
Il faut laisser parler ceux qui vivent au jour le jour, ceux qui sont au coeur du pays et qui sculptent les contours de notre devenir. Ecoutez cette femme qui dit ses paroles-désespoir. Elle avait pourtant un petit bout d'existence qui aurait pu continuer sans histoire :
« A cause d'une grave douleur à l'abdomen et des maux de tête très forts, j'ai passé trois semaines à l'hôpital de Dabou. Ils m'ont fait des radios, ils ont pris mon sang et ils m'ont donné des comprimés. Après comme ça allait mieux, ils m'ont dit d'aller à la maison que je n'avais rien. Ils m'ont donné des vitamines et ils m'ont conseillé de choisir de la bonne nourriture. Mais quand je suis arrivée à la maison et que mon mari a vu sur mon bulletin que j'avais le Sida, il a versé une bassine d'eau chaude sur mon corps (elle montre les cicatrices qu'elle a sur le cou et dans le dos). Et puis, il m'a chassée de la maison, moi et mon enfant. Je ne savais pas où aller. Il y avait même pas quelqu'un pour nous aider, sauf la fille teint noir qui est ma camarade et qui habite à côté du marché. C'est elle qui m'a donné l'argent du transport pour retourner au village. C'est comme ça que je suis arrivée dans la case de mes parents. Ils n'ont rien dit et ils ont tout fait pour moi et mon enfant. Mais comme ils n'ont pas l'argent, c'est les herbes traditionnelles qu'ils prennent pour me soigner. Aujourd'hui, ça va un peu, mais des fois, je peux même pas me lever. Les vieux m'ont envoyée chez plusieurs guérisseurs qui m'ont soignée à l'indigénat sans que ma maladie finisse. Mais on ne peut pas dire ce que Dieu a décidé pour une personne. Je peux guérir. Je peux mourir.
On m'envoie ici, on m'envoie là-bas alors que je suis très fatiguée. Mes parents n'ont pas d'argent alors que tout le monde veut de l'argent. Si c'est pas un pagne, c'est un mouton ou bien un boeuf et pourtant rien ne marche. Mais un cousin nous a apporté un journal de la semaine dernière dans lequel on dit qu'il y a un homme qui a fait beaucoup de guérisons. On dit qu'il peut très bien enlever le Sida de ton corps et que beaucoup de gens vont le trouver dans son campement. Il y a même des Blancs qui sont venus de pays étrangers pour analyser ses produits. Si on peut compléter l'argent que les villageois ont donné, on va tout faire pour y aller parce que moi, je suis trop fatiguée et si Dieu veut que je meure, je vais mourir. Mais ce type là, on dit qu'il est le plus fort de tous. Plus fort que les Blancs, plus fort que tous les autres guérisseurs. Il fait la rivalité directe avec l'hôpital où les gens vont là-bas seulement pour mourir parce que les docteurs ne peuvent rien. Ils disent que c'est pas avant dix ans au moins qu'on va trouver un médicament pour soigner cette maladie là. Dix ans, vous vous rendez compte ? Où est-ce que je serai moi ? Le journal dit qu'une femme est allée voir le guérisseur alors qu'elle allait mourir et maintenant elle mange bien et elle dort bien. Elle a avalé beaucoup de pillules et on lui a fait au moins cent piqûres pendant deux mois. Maintenant, elle est guérie. Elle a bien grossi. Il faut que ma mère m'accompagne chez le guérisseur qui va me faire renaître. C'est mon dernier espoir.
Vous les bien portants, ne priez pas pour moi, n'ayez pas pitié de moi, mais implorez la pitié des dieux pour vous-mêmes. »
© Véronique Tadjo, 1997.
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