L'AFRIQUE ECRITE AU FEMININ Notes de lecture |
Recensions proposées dans divers blogs, sur la toile et partout où la lecture est au rendez-vous de l'écriture du monde africain |
Note de lecture de Koffi Anyinefa proposée dans "Le Togo Littéraire: comptes-rendus", 2011
Négresse est un texte écrit à deux mains. C'est ce qu'annonce la première de couverture et le texte lui-même qui réserve à chacune de ces mains une typographie différente. La portion du texte qui revient à Biramah, à la différence de celle de Blandinières, est présentée en italiques sous la forme d'un journal intime. Il s'agit, à vrai dire, de deux textes sur un même sujet, à savoir la négresse du titre. Le journal intime de Biramah est repris par Blandinières qui le brode, l'étoffe et lui donne une plus grande densité temporelle, bref lui donne le caractère d'un roman.
Ainsi donc, le texte de Biramah se limite au vécu quotidien (présenté chronologiquement du 18 mars 2000 au 12 février 2001) partagé entre son travail rébarbatif à l'Assédic et sa vie dans un appartement parisien qu'elle occupe avec deux stars du rap français, Djo et Spike. Celui de Blandinière déborde ce quotidien, fait état du passé de Biramah: ses enfance et adolescence passée en France dans une famille d'immigrés togolais, ses séjours au Togo natal et au Gabon, son abandon du foyer parental, bref tout ce qui a précédé son aménagement avec Djo et Spike.
Le sujet dominant de ce texte est sans doute celui de la maltraitance, sur fond de crise socio-politique au Togo et de problèmes liés à l'immigration en France. Après la violence physique et verbale infligée par ses parents, Touna tombe sous le joug de Djo et Spike qui, auréolés de leur réputation de stars font d'elle leur bonne à tout faire, leur souffre-douleur, en échange du toit sur la tête qu'ils lui offrent. C'est Djo, lui-même noir et abonné aux maîtresses blanches, qui est le plus abusif et qui lui lance souvent l'insulte de 'négresse'. Négrophobie ? Ironie du sort, elle aime Spike dont elle est la maîtresse. La protagoniste parvient finalement à s'affranchir en trouvant un travail de journaliste. La petite communauté éclate lorsque Djo loue un nouvel appartement et Spike immigre aux Etats-Unis. Touna lui rend visite à New York et en revient plus que jamais décidée à refaire sa vie. Elles est renvoyée de l'ancien appartement. Son journal cesse. Elle le reprend cinq ans plus tard, le 4 juillet 2006, pour y faire cette entrée servant d'épilogue au texte: « A un moment j'ai arrêté d'écrire mon journal de bord. Peut-être arrivée au bout de ce que j'avais à dire, au bout d'un couteau. Au bout de rien en fait. Parce que je ne disais rien dans le cahier. J'étais bloquée par la censure des autres, pire par la mienne. Etouffée sur moi, sans interstice pour respirer. Je le reprends aujourd'hui. Je sais mieux parler maintenant. J'arrive, avec peine encore, à lâcher ce qui me tord les viscères. J'ai progressé, je crois, depuis le moment où j'ai refermé le cahier. Je suis moins grossière par exemple. Bon, je fais toujours un petit peu peur aux gens dans la rue, mais c'est parce que j'ai des dreads. A moi, en tout cas, je fais moins peur. » (183)
Ce texte est dur, non seulement dans les mauvais traitements que subit Touna, mais aussi dans la langue qui les décrit. L'usage abondant de l'argot et du verlan, la verdeur des mots et le phrasé nerveux (surtout chez Blandinières) évoquent avec beaucoup de justesse le monde délétère dans lequel évolue la protagoniste: abus physique et verbal, délinquance juvénile, drogue, alcoolisme, promiscuité sexuelle, chômage, dépressions. Le texte de Biramah/Blandinières trouve thématiquement écho dans d'autres textes déjà présentés sur ce site: Icône urbaine de Lauren Ekué, pour la description du milieu des stars blacks de France, et surtout Une Esclave moderne d'Henriette Akofa ainsi que La Fille errante d'Amaka Brocke, pour l'esclavage domestique. Dans ce contexte, on devrait être sensible non seulement au titre du texte, mais aussi à sa photo de couverture représentant le dos nu d'une Noire tatoué d'une certaine image iconique de la femme africaine (avec son pilon et son enfant sur le dos). De toute évidence, la photo représente Biramah elle-même. Ce tatouage étant décrit dans le texte (86-87), il va sans dire que Touna est Biramah.
Koffi Anyinefa juin 2011
https://togolitteraire.haverford.edu/
D'autres notes de lecture Lire les femmes et les littératures africaines [email protected] Novembre 2011 https://aflit.arts.uwa.edu.au/biramah_anyinefa_11.html |
Fermer cette fenêtre |