L'AFRIQUE ECRITE AU FEMININ Notes de lecture |
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Note de lecture d'Afrolitt publiée sur son blog "Mes afro lectures", 2010
La mémoire collective, un devoir qu'il faut porter en soi.
Fatou Diome a publié en 2003 son premier roman, Le ventre de l'Atlantique, aux éditions Anne Carrière. Dans ce roman autobiographique, Fatou Diome est en partie Salie, une jeune femme originaire de Niodor qui vit en France où elle poursuit ses études. Son frère Madické, lui, est resté sur leur île d'origine et ne rêve que de venir en Europe pour voir son idole Paolo Maldini (oui, le joueur de foot italien) et devenir joueur de football afin d'aider sa famille. On constate amèrement que le football se présente comme "l'issue de secours idéale pour les enfants du tiers monde. Mieux que le globe terrestre, le ballon rond permet d'arrêter un instant le regard fuyant de l'Occident, qui, d'ordinaire, préfère gloser sur les guerres, les famines et les ravages du sida en Afrique, contre lesquels il ne serait pas prêt à verser l'équivalent d'un budget de championnat." (p. 278, ch. 14).
Une phrase sert de fil conducteur à ce livre comme un leitmotiv: "Chaque miette de vie doit servir à conquérir la dignité". Ainsi à chaque enfant, il incombe le devoir d'assistance à sa famille, il faut donc réussir "afin d'assumer la fonction assignée à tout enfant de chez nous: servir de sécurité sociale aux siens" (p. 51, ch. 2). Cet objectif s'accomode mal de toute idée d'échec surtout pour celui qui est parti au pays des blancs (riches par définition). Salie, la narratrice de notre roman le dit très bien: "J'avais beau dire à Madické que, femme de ménage, ma subsistance dépendait du nombre de serpillières que j'usais, il s'obstinait à m'imaginer repue, prenant mes aises à la cour de Louis XIV. Habitué à gérer les carences dans son pays sous-développé, il n'allait quand même pas plaindre une sœur installée dans l'une des plus grandes puissances mondiales ! Sa berlue, il n'y pouvait rien. Le tiers-monde ne peut voir les plaies de l'Europe, les siennes l'aveuglent; il ne peut entendre son cri, le sien l'assourdit." (p. 50, ch. 2).
Cet idéal d'ailleurs, terre de tous les possibles, s'accomode mal de la réalité des immigrés en France qui se retrouvent pour certains sans-papiers, voire expulsés. Surtout que certains de ces forçats des temps modernes (à l'exemple de l'homme de Barbès) jouent les nababs-mythomanes dès qu'ils rentrent en vacances au village. Cela a pour conséquence immédiate de polluer encore plus la tête de leurs frangins de doux rêves, mais aussi ces mensonges leur permettent de ressentir durant cette paranthèse un sentiment de pouvoir proportionnel aux humiliations vécues de l'autre côté de l'Atlantique. Face à cet idéal relayé par force de cadeaux made in Tati, essayez donc vous, l'émigré de France ou d'ailleurs de venir parler de votre sentiment de mal-être, de solitude ou de la sensation de n'être nulle part à votre place. En France vous êtes l'étranger méprisé, de retour au pays natal vous devenez "celle/celui qui vient de France". L'esprit entre deux mondes, Salie en vient à dire: "La nostalgie est ma plaie ouverte et je ne peux m'empêcher d'y fourrer ma plume. L'absence me culpabilise, le blues me mine, la solitude lèche mes joues de sa longue langue glacée qui me fait don de ses mots." (p. 259, ch. 12).
Le ventre de l'Atlantique aborde aussi les conflits et incompréhensions inéluctables qui surgissent entre émigrés et restés au village, tout en effleurant certains problèmes de nos contrées natales. Chacun y sera sensible suivant sa propre expérience. Le thème de l'exil et de la perte de repères qu'elle engendre rappellent L'aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane.
L'avis de "J'aime la littérature Africaine"
Vous l'aurez compris, j'ai adoré ce livre qui raconte, sur une variété de tons allant de l'humour au sarcasme, la condition humaine d'ici et d'ailleurs. De ce point de vue, ce roman aborde aussi les problèmes inhérents à nos pays. Fatou Diomé a des paroles très dures pour tout ce qu'ont d'étouffant et d'inhumain certaines traditions de son pays d'origine, la polygamie, le poids des anciens, l'emprise intéressée et hypocrite des marabouts, la condition de la femme. "La communauté traditionnelle est sans doute rassurante mais elle vous happe et vous asphyxie. C'est un rouleau compresseur qui vous écrase pour mieux vous digérer." (p. 197, ch. 9). Reste qu'à la fin du roman, Madické renonce à partir chercher fortune en Europe, il reste à Niodor. Mais pour un Madické, combien de Moussa échouent sur les rivages de l'Atlantique dans leur quête de la "dignité" (sic) en Europe?
J. T. 8 Février 2010
https://jaime-la-litterature-africaine.over-blog.com/
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