L'AFRIQUE ECRITE AU FEMININ Notes de lecture |
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Note de lecture d'Emmanuelle Caminade. L'or des livres, 2008
Le dernier roman de Fatou Diome file une métaphore maritime pour mener une réflexion parallèle sur la vie et l'écriture, mais l'auteure n'est-elle pas fille d'une île ouverte sur l'Atlantique ? Et de nous embarquer sur l'océan... Comment vivre, murmure le coquillage porté à notre oreille : Rester au port ou se laisser dériver, accepter le tangage et ramer à contre-courant vers des horizons sans cesse repoussés ? Betty, la narratrice, cherche anxieusement la réponse dans le mystère des personnages qui l'entourent. Mais, pour y accéder, elle devra passer par trois étapes de l'écriture. Le livre de Fatou Diome est, n'en doutons pas, un roman initiatique.
L'histoire commence à terre (sans doute au cours d'une longue escale après la traversée ), quand la coque retournée de sa barque « tutoie les astres » et emprisonne Betty de son « couvercle ». Bien arrimée dans sa « tanière » obscure, cette dernière observe ses voisins dont les silhouettes se découpent sur les fenêtres éclairées de l'immeuble d'en face. Devenir « loupe », « zoomer » sur la vie des autres... « Rendue fébrile par l'attente de détails qui ne viennent pas », l'héroïne décide alors de « se muer en brodeuse. » L'infini du ciel ne peut-il s'imaginer d'une étroite lucarne ? Et l'immensité de l'océan d'un simple verre d'eau ? Elle file « le coton brut » pour « tisser de quoi habiller les vies » qu'elle subodore et, « à défaut de tout comprendre d'elle-même », « la vie des autres » lui sert « de puzzle géant qu'elle complète de jour en jour. »
Betty voudrait « éviter les temps morts ». C'est sans compter avec Félicité, la doyenne, morte-vivante figée sur son passé qui l'entraînera à sa suite dans le « mouroir » où ses neveux l'ont enfermée. Au fil des visites, la jeune solitaire et la vieille esseulée, aux chemins opposés, vont « se bâtir des souvenirs communs » et nouer une amitié « à l'intersection de leurs vies ». Les quelques vieux de la maison de retraite, épargnés par l'Alzheimer, évoquent leurs souvenirs marqués par la guerre : la « vérité historique » retrouve « sa chair ». Bientôt, écouter ne suffit plus à Betty : munie de son calepin, elle s'emploie à « écrire les drames, fixer les peurs, les chagrins, les révoltes et les colères sur des mots pylônes », à « retracer des pistes » « avant que le temps ne les emporte avec les feuilles mortes ». Et les émotions d'autrui « prélèvent leur tribut » : elle « saigne à sa façon des plaies de la guerre », mais elle peut « boire à la source de cette parole », « comme une outre de lait au milieu du désert. » Mais par un jour ensoleillé, Félicité s'éclipse, laissant Betty désemparée sur le quai, avec pour adieu un seul message : « Il faut vivre! » Dès lors, dans sa chambre noire, Betty développera ses propres cauchemars. Remettant son bateau à l'endroit elle osera « affronter toutes les tempêtes (...) avec l'horizon en ligne de mire. » Car vivre, c'est tracer hardiment son sillage en plongeant dans les creux et surfant sur les lames, « c'est vaciller en permanence, entre le vide et le plein, le fuyant et le saisissable, le doute et l'espoir ». Pour se délivrer de « cette liane folle » qui envahit son esprit, pour « contenir ce qui vacille en elle », elle « plonge dans l'encre de sa plume ». « Rivée à son bureau, son cœur rythme les marées de ses émotions. » Tanguant « du présent au passé », passant « d'une rive à l'autre, livrée à la brise comme à la houle », elle écrit, sachant qu'on ne peut « dessiner les pleins qu'en tenant compte des vides ».
L'écriture, comme la vie, trouve en soi sa propre justification. Une fois lâché sur l'océan, il faut vivre, il faut écrire, pour ne pas se laisser engloutir. Et la langue de Fatou Diome se fait musique océane : elle est bercement d'un clapotis mélancolique ou roulis de houle qui malmène le cœur, elle est fracas exubérant des vagues qui se brisent en éclaboussant du sel de leurs embruns ou écume poétique miroitant à la surface de l'eau, toujours ponctuée du refrain lancinant du ressac. « Ouïr le vacarme du vivant en soi » : Fatou Diome accueille cette mélodie « comme on accueille un hôte invisible ». Egrénant ses mots sur les cordes d'une kora, elle chante une musique « qui soulage le cœur » des humains, en portant « jusqu'aux oreilles des dieux » les peines de ces pauvres mortels aux désirs inassouvis.
Emmanuelle Caminade octobre 2008
https://l-or-des-livres-blog-de-critique-litteraire.over-blog.com/
D'autres notes de lecture Lire les femmes et les littératures africaines [email protected] Janvier 2012 https://aflit.arts.uwa.edu.au/diome_caminade_08.html |
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