L'AFRIQUE ECRITE AU FEMININ Notes de lecture |
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Note de lecture de Liss Kihindou proposée sur son blog "Valets des livres", 2014
Après avoir publié Percées et Chimères en 2011, aux éditions Jets d'encre, et participé à un ouvrage collectif, Les Lyres de l'Ogooué, en 2012, chez le même éditeur, Charline Effah revient dans l'actualité littéraire avec le roman N'être qui vient tout juste de paraître aux éditions La Cheminante. Le format du livre peut surprendre, pour ne pas dire décontenancer, mais qui a dit que le format d'un livre en déterminait la valeur? N'être est un petit roman, sans doute, mais un petit roman qui prend son envol parmi les grands, comme le vol de cygnes évoqué dans le prélude.
Ce roman est d'abord l'histoire d'une naissance. Naître. Envers et contre tout. Naître. Exister. N'être que ce à quoi chacun aspire : aimer et être aimé. Compter dans la vie de quelqu'un, mais ne pas être dépendant. Lucinda, la narratrice, a érigé des barrières derrières lesquelles elle se croyait à l'abri : « la vie, la mienne, je la voyais en dehors de toute sujétion financière ou affective », « la seule chose qui me fasse peur, c'est de ne plus m'obéir, de laisser le monde me modeler », déclare-t-elle, respectivement pages 37 et 53. Une femme libre, indépendante, que les convenances surtout ne pouvaient pas enfermer dans un simulacre de vie à deux. Elle ne cédera jamais à l'homme qui, fou d'amour pour elle, Elvis, soupire à ses pieds; mais elle laissera Amos entrer dans sa vie, dans son lit selon son bon vouloir, Amos qui pourtant, malgré les nombreux reproches qu'il peut faire à sa femme Samia, ne rompra jamais les liens qui la lient à elle.
Dans ce roman, on retrouve le scénario bien connu de celui ou celle qui ne soupire qu'après un cœur inaccessible, amour non partagé qui fait saigner les cœurs et provoque des drames dont Racine nous donnait déjà un brillant exemple dans sa tragédie Andromaque : Oreste se meurt d'amour pour Hermione, qui elle n'a d'yeux que pour Pyrrhus, qui lui-même ne rêve que de vaincre la résistance de la veuve d'Hector, Andromaque, qui a juré de rester fidèle à son défunt époux... La mère de Lucinda, Medza, a tout sacrifié pour son premier amour : elle a renoncé à ses études, a trouvé tout de suite un gagne-pain pour financer ses études à lui et lui permettre de devenir quelqu'un. Cependant, lorsque celui-ci, désigné par « le Père », réalise enfin ses rêves professionnels, il s'arroge tous les droits, les droits de celui qui, du haut de la tour où il s'est hissé, crache sur celle restée en bas, entièrement dépendante de lui et de son affection.
« Hier, toi dans les yeux du Père qui n'avait d'yeux que pour d'autres, moi dans tes yeux qui n'avaient d'yeux que pour le Père. Entre-temps, il y a eu Amos. Moi aussi, j'ai aimé dans le désamour et l'attente et j'ai, aujourd'hui, compris l'origine de ces cicatrices, transparentes et salées, qui sillonnaient chacune de tes joues certains matins » (N'être, page 94).
C'est de cette dépendance que Lucinda a voulu s'affranchir. Elle croyait avoir la main dans la relation qu'elle entretenait avec Amos mais se rendra vite compte qu'il n'en est rien, qu'elle reproduit au contraire le scénario vécu par sa mère, même si c'est dans des circonstances différentes. « En amour, chacun à un moment reçoit des coups » (p. 118). Mais les coups reçus de celui que l'on aime, si on peut s'en accommoder, si on peut y survivre, comment survivre à ce que l'on croit être le déni ou le reniement de la mère? Si l'on peur revendiquer une certaine liberté vis-à-vis des convenances, peut-on être libre de son passé, surtout lorsque celui-ci a le poids écrasant du non-dit?
Après avoir quitté Nlam, sa terre natale africaine, pour Pantin, banlieue parisienne, Lucinda finira par y retourner pour trouver les réponses aux questions qui la poursuivent et dénouer le mystère de sa naissance. Et c'est là que, contre toute attente, la naissance a lieu. Naître, enfin, dans la bouche de la mère qui ôte finalement le bâillon qu'elle a gardé pendant toute sa vie de femme. Et pourtant elle ne dit pas tout, elle ne dit pas l'amour mais, heureusement, le hasard, la chance et le destin se chargeront de le faire à sa place. Naître enfin, dans l'affection de la mère. Exister. N'être. Un roman à la deuxième personne, la fille interpellant la mère. Le dialogue se matérialise à la fin. Les chaînes se dénouent ou s'imbriquent davantage les unes dans les autres, c'est selon.
N'être, un roman parsemé d'aphorismes, écrit dans un style qui le propulse parmi les textes d'élection.
Liss Kihindou Octobre 2014
https://valetsdeslivres.canalblog.com/
D'autres notes de lecture Lire les femmes et les littératures africaines [email protected] Février 2015 https://aflit.arts.uwa.edu.au/effah_kihindou_14.html |
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