Entretien avec Jeanne Ngo Maï
à propos de Poèmes sauvages et lamentations

réalisé par Cécile Dolisane
Yaoundé, le 11 février 2000


Cécile Dolisane - Jeanne Ngo Maï, vous êtes l'une des pionnières de la poésie féminine camerounaise; pourquoi cet amour de la poésie?

Jeanne Ngo Maï - C'est quelque chose qui émane de moi, du plus profond de mes tripes et qui est inexplicable, c'est de la poésie-idée, une phrase libertine, l'inspiration personnelle, on la sent.

C.D.- Vous êtes surtout connue en tant que femme de lettres alors que vous êtes une femme de sciences. Comment le poésie se réconcilie - t- elle avec la science et son côté formel ?

J.N.M. - Il n'y a pas besoin de concilier quoi que ce soit dans la mesure où la poésie est un état lié aux circonstances de la vie. On peut écrire de belles phrases qui saissent l'attention des gens ou des phrases moroses. La poésie ne s'apprend pas alors qu'on se met à l'école de la science, qu'on soit littéraire ou non.

C.D.- La poésie étant transcendance alors comment peut-on lui donner forme ?

J.N.M. - La poésie est faite de "poèmes sauvages", c'est -à -dire qu'ils jaillissent naturellement. Ce n'est pas une affaire d'école. La poésie dépasse le rationnel, elle est de l'ordre de l'indéfinissable. Elle va au de là de la matière, ce n'est pas quelque chose de palpable quoiqu'on retrouve la même inspiration chez les pleureuses et chez les griots.

C.D.- Pour en venirà votre recueil, nous constatons que vous l'avez édité en France sur Vélin sur fin. Avez vous rencontré des problèmes d'édition?

J.N.M. - Non il n'y a pas eu de problèmes d'édition. J'ai obtenu le 2ème prix de l'APEC, mais au Cameroun, la diffusion a été timide et réticente. Toutefois, le Cercle des Poètes a particulièrement apprécié: <<Mon coeur est un monument>>. Ca aurait pu avoir plus d'écho, les extraits ont été plusieurs fois lu au Centre Georges Pompidou.

C.D.- Derrière la phrase libertine dont vous parliez se cache la quête de la pureté originelle, non?

J.N.M. - Ce qui se cache derrière ma poésie, c'est l'Afrique! C'est le naturel et je suis constamment habitée par mon passé. Si l'on ne se souvient pas de son passé on est fini. On ne peut être que ce qu'on a vécu. On ne peut pas changer totalement sinon c'est mourir!

C.D.- Dans "lamentations", s'esquisse un certain pessimisme...

J.N.M. - Oui! je suis concernée par cet événement tragique qui est au centre du poème. Il s'agit d'un fait qui a concerné ma vie. J'évoque ici le destin (la spiritualité, la résurrection). Il s'agit de la disparition de Issah, le frère d'un ami.

C'est la petite histoire de ma vie. Cette mort exprime ma lutte contre un homme pour qui j'ai bâti toute ma vie, que j'avais aimé, donc à qui je faisais entièrement confiance. L'infidélité et la réaction d'une épouse abusée .

C.D.- Le premier poème s'intitule "mon père" suivi de "le village natal".

J.N.M. - Il reflète incontestablement la nostalgie du passé; le romantisme et le lyrisme du poète qui revient à la case départ, à la recherche de l'Absolu; mais ça souligne aussi la vanité et l'absurdité de la vie.

C.D.- Vous évoquez également des grandes figures historiques telles Ruben .

J.N.M. - En évoquant les grandes figures historiques, je parle justement du mythe. J'évoque par là les grands espoirs, la quête de la justice et de la liberté; le sens du partage et la tolérance. Dans "poèmes sauvages"... on est en quête de l'universalité, c'est en un mot, une poésie de l'humanisme.

C.D.- C'est également un lieu de paix et de méditation puisque vous intitulez un poème "tranquille".

J.N.M. - Effectivement ! malgré la turbulence de la vie, il faut cette paix. La poésie c'est le Monde!

C.D.- Depuis la sortie de ce recueil de poèmes vous n'avez plus rien publié, avez-vous laissé tomber la poésie?

J.N.M. - Non, je n'ai pas laissé tomber la poésie, c'est la vie qui m'a laissée tomber, avec une santé qui palpite, comme vous le voyez, j'avais l'impression que je ne n'en avais plus pour longtemps. Face à cette mort en attente, j'ai voulu laisser quelque chose qui dure, qui soit transhistorique et omnitemporel.

© Cécile Dolisane


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Editor ([email protected])
The University of Western Australia/French
Created: 18 December 2000
Last modified: 21 December 2000
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