Monique Bessomo
Auteur de deux plaquettes de poésie
Un entretien réalisé par David Ndachi Tagne
  Yaoundé, août 1996  

Monique Bessomo, je vois que vous avez un nouveau poème à nous présenter pour commencer cet entretien ?

Oui ... je voudrais présenter le poème 'Osën', un nom Beti qui veut dire 'écureuil':
Ça commence comme ça:

Toi qui cries sur le safoutier
A la nature tu exprimes ta pensée
Sans te préoccuper de ton entourage
Qui avec toi est dans le feuillage.

Chez nous les hommes ce n'est pas pareil
Avant de sortir un son, nous épions environnantes oreilles
Pourtant nous tuons les abeilles
Et du cruel acte nous presentons merveille.

Jamais nos cœurs nous n'étalons
Par crainte de peur nous n'inspirons
Ou de tortueuses interprétations
Nos idées souffriront.

Monique Bessomo, qu'est-ce qui vous a inspiré ce poème? La nature? Est-ce que la nature vous inspire souvent ?

Tout m'inspire. Je dis bien : tout. Là, c'est l'écureuil que je regardais et que j'admirais; il criait, il criait, et je me disais que peut-être il disait des choses ... des choses qui devaient être intéressantes. Et comme moi aussi j'ai envie de crier, de crier pour dire à tout le monde ce que je pense, tout en sachant bien que ce que j'ai à dire peut blesser certaines personnes, j'ai continué ...

Si comme toi, crier je pouvais
Dans le vent et à haute voix
En exprimant mon abîme avec joie
A tous mes semblables je dirais :

Trop, trop, c'est trop, c'est trop !
Que de cruauté dans les cœurs des humains !
Que de pauvreté sur les bords des chemins !

Trop, trop, c'est trop, c'est trop !
Que de corps jaugeant les humains !
Que d'enfants pleurant sans parents ni consolants !

Trop, trop, c'est trop, c'est trop !
Que de femmes fuyant sans maris sans enfants !
Que de jeunes vaguant avec des cœurs meurtris !

– Là, il faut que je m'arrête pour expliquer...

... oui, qu'on trouve dans ces vers un élan qui était déjà là dans votre première plaquette de poèmes 'Holà! Enfants d'Afrique' ?

Oui, ça ressemble un peu au tam-tam. Parce que je suis Beti et dans notre tradition, on parle beaucoup sous forme ... je ne sais pas comment expliquer ça ... c'est une allure , une façon de parler, une manière de s'exprimer qui rappelle le tam-tam. Que mes poèmes se ressemblent, vous voyez, c'est normal; c'est ma façon de m'exprimer!

Mais il y a aussi ressemblance sur le plan de la thématique. Dans 'Holà! Enfants d'Afrique' vous étiez en train de condamner un certain nombre de comportements qui ont cours parmi les Africains d'aujourd'hui, les Camerounais en particulier. Ici également on retrouve cette critique sociale, cette révolte de la femme face à une société qui n'est pas toujours tendre vis-à-vis de l'humain, ou encore qui n'est pas toujours sensible face au malheur ?

Oui, comme je suis née à notre époque, je dois vivre avec ce qu'elle nous impose, mais je crois que personne ne peut rester indifférent à ce qui se passe; je crois qu'il faut dire quelque chose; non, on ne peut pas rester indifférent. Moi-même, j'ai eu un accident étant enfant, et je suis restée handicapée. Le chauffeur qui m'a écrasée a fui. Pourtant, je suis très reconnaissante de ce qui m'est arrivé; des gens m'ont ramassée, puis mes parents m'ont prise pour m'amener à l'hôpital, et toute la nature s'est occupée de moi; et ça, j'y suis sensible. Mais je crois qu'il y a beaucoup de choses qui font mal. Quand je parle des 'corps jaugeant" je pense à la télé, je vois tous ces corps, toutes ces guerres ! Et ça me rend ... enfin je crois qu'il ne faut pas rester indifférent. C'est pour ça que ce poème, il faut le lire en entier; j'aimerais vraiment que les gens puissent entendre comme moi ce que Osën criait:

Trop, trop, c'est trop, c'est trop !
Que de méchanceté dans ce monde évolué
Que de misère dans ce monde civilisé !

– Là aussi, je voudrais donner une explication. Quand nous voyons ce qui s'est passé dans l'Antiquité, nous disons que c'était l'Antiquité et que les gens ont beaucoup évolué depuis. Mais en fait nous refaisons sans arrêt les mêmes choses ! Et parfois même, pire ! je ne sais pas, je n'ai pas vécu dans l'Antiquité; mais quand je vois tout ce qui se passe aujourd'hui, toutes ces guerres, tout, tout, je dis non. C'est horrible que ces choses-là puissent encore exister de nos jours. C'est pour cela que je parle de 'ce monde évolué', de ce monde dit 'moderne' en disant:

Je crierai encore plus fort
Utilisant même le cor
Disant :
C'est étonnant qu'en temps
Moderne
Où coulent
En flots les accords :
Accords de paix
Accords d'entente
Accords de ceci
Accords de cela
Qu'abondent tant
De désaccords !

Eclatements au Nord
Eclatements au Sud
Eclatements à Gauche
Eclatements à Droite !

Accusant timbale
Accusant tribale
Blessures religieuses
Blessures politiques

Dans ce tourbillon
Que dites-vous Unions ?
Et vous Unités ?
Etes-vous dépassées ?
Ou simplement fatiguées ?

Les entrailles explosant
Je demanderai directement :

Alors Nations Unies
Alors Unité Africaine
Etes-vous ébahies
Ou simplement surprises ?

Si tel est le cas
Changez le pas
Révisez vos façons
Revoyez vos patrons :

Non
Plus d'ourdis
Plus de comédies.

Au lieu de donner du pain
Eteignez l'étain !
Au lieu de couler du mercurochrome
Arrêtez le chrome !

Tout cela je ne le peux
Qu'à mon intérieur !
Pourtant je m'étouffe et je m'en veux
De ne pouvoir faire mieux.

Nous les hommes
Sommes tous hypocrites
Par la conformité même
De notre nature stricte
C'est pour cela
Que nous vous mangeons
Tes semblables et toi.

Si le chasseur avec son arme arrivait
Sais-tu dans quelle rive tu te retrouverais ?
Certain que ce soir tu serais
Dans un plat, et bien rôti
C'est regrettable, mais c'est ainsi
Cher Osën, mon ami !

Ah cher Osën qui a failli être rôti ! Vous abordez là une thématique originale ?

Disons que, à dire vrai, je regrette que l'écureuil finisse comme ça...

Mais il y a un ordre naturel. Que dites-vous de cet ordre naturel qui prescrit quand même que l'homme doit exploiter la nature pour son confort et sa survie ?

Ecoutez ça m'arrive, quand je mange, de me dire : 'oh mon dieu, s'il vivait encore ...'. Mais comme je dois manger ... voyez-vous, je suis pour et en même temps je suis contre ... et je dis qu'on pourrait quand même trouver des solutions. L'homme cherche, il invente, il peut aussi trouver d'autres solutions pour protéger les beautés de la nature ! Il fabrique déjà des atomes pour tuer, il devrait aussi fabriquer des choses pour manger et laisser ce qui est naturel, n'est-ce pas. Parce que si on détruit tout, vraiment je ne vois pas ce qui va se passer... Sans Osën, pas d'inspiration ! Voilà.

On pourrait parler d'une autre source d'inspiration qui semble être au centre de votre deuxième plaquette de poèmes, la démocratie; parlez-nous de ce deuxième volume que vous venez de publier.

Cette deuxième plaquette est née de l'actualité, parce que je suis beaucoup l'actualité. Je la suis à la radio ou dans la rue; ou même ici au village. Le premier poème, le tout premier poème de ce tam-tam de la démocratie, s'appelle 'L'Interpellation'; pourquoi 'L'Interpellation' ? Je pense que l'Afrique n'a pas que la misère; c'est vrai qu'on connaît la misère, mais on n'a pas que la misère. On peut dire des choses que les gens doivent écouter ! Pendant mes études, j'étais dans un foyer, dans une cité universitaire, et ça m'avait frappé de voir que généralement, quand on parlait de l'Afrique, les gens étaient contents d'entendre parler de sa misère; et quand on voulait parler d'autre chose, tout le monde partait. Moi je dis que l'Afrique interpelle. Elle n'interpelle pas pour sa faim, pas pour sa misère, l'Afrique interpelle pour qu'on l'écoute, qu'on l'écoute sincèrement. Et ça, au nom de la démocratie.

Quel est le regard que vous portez sur les mutations démocratiques, aujourd'hui en cours en Afrique ?

Les mutations démocratiques ne sont pas faciles. Ce n'est pas facile parce que nous confondons beaucoup de choses. En tout premier, il faut une démocratie 'démocratique', une démocratie vraiment réelle. Je ne sais pas comment vous la traduire, mais dans la deuxième partie du tam-tam de la démocratie, j'essaie d'expliquer ce que je vois, ce que j'entends par la 'démocratie' telle qu'elle doit être présentée. On brûle les choses par-ci, on brûle par-là, on détruit ceci, on détruit cela, et je dis : non, ce n'est pas cela. Si on regarde, la démocratie, c'est d'abord l'être humain, parce que l'être humain dans sa conception, dans sa constitution, c'est quelque chose de démocratique ! Je prends l'exemple de la main que je vous tends pour vous saluer; là; vous voyez comment je vous salue ?(à ce moment, Madame Bessomo serre la main de son interlocuteur) Il y a quatre doigts qui vont d'un côté, c'est l'opposition; et il y a le pouce ! on ne peut pas faire mieux. Voyez-vous, c'est une conception démocratique naturelle, mais que nous ne voyons pas ! Et si nous fléchissons un doigt, ça ne va pas marcher; ou bien ça va marcher, mais après beaucoup d'entraînement. En Afrique, il faut donc qu'on comprenne mieux le sens du mot 'démocratie'. L'Europe aussi, et toutes les autres puissances qui imposent la démocratie en Afrique doivent comprendre que "Ventre affamé n'a point d'oreilles". A cet effet, ils doivent mettre en place des mesures d'accompagnement de la démocratie, c'est-à-dire aider les populations d'Afrique à vivre cette démocratie en créant des emplois, en soutenant les organisations ou les associations dans les villages, en les aidant à produire et surtout en leur permettant d'écouler leurs produits en leur donnant des prix valables dans les marchés mondiaux. Si cela se fait, alors les populations d'Afrique vivront vraiment la démocratie. Sinon, cela restera toujours un mot de chantage entre les puissances non africaines et les dirigeants africains.

Si on dit de vous que vous êtes la poétesse de la politique, qu'est-ce que vous répondez ?

Hum, je ne sais pas si on peut parler de poétesse de la politique. Les gens peuvent penser ce qu'ils veulent, mais moi, je pense que je trouve l'inspiration dans ce que j'ai à dire. Comme mon père me le répétait : 'il ne faut pas cacher ce que tu penses !' Mon père disait aussi que la parole, c'est comme l'eau : on la verse, mais on ne la ramasse pas. Si j'ai à dire non, je dis : non; si j'ai à dire oui, je dis : oui. La politique, je ne sais pas si c'est ça, mais moi je pense tout simplement que je suis engagée à dire ce que je pense, comme je le vois et comme je le vis.

Et comment vos lecteurs ont-ils reçu ce que vous écrivez ?

Oh les réactions ont été très encourageantes. Déjà lors de la sortie de ma première œuvre, il y a eu des réactions qui m'ont touchée. Il y a un Vieux du village d'Obala – je dis simplement un Vieux parce qu'il ne m'a même pas laissé son nom – qui est parti à ma recherche; il est arrivé jusqu'ici, au village, pour me dire merci. Il avait lu cet ouvrage, et il se retrouvait dans beaucoup de choses. Et il disait qu' enfin, il y avait des gens ayant quelque chose à dire. Ça m'a beaucoup encouragée. J'ai continué aussi à recevoir de la correspondance, des gens qui me félicitaient et qui m'encourageaient. Il y a même un missionnaire qui est devenu membre de notre Association après avoir lu les poèmes 'Holà! Enfants d'Afrique'. Lorsqu'il avait lu ça, il me connaissait pour le travail que je faisais ici au niveau social mais il ne savait pas que j'écrivais.

Et votre dernier recueil 'Tam Tam de la Démocratie' ?

J'ai été amenée à le sortir un peu malgré moi. J'avais encore le manuscrit et quelqu'un qui avait lu une feuille, comme ça, en manuscrit, m'a dit : 'mais qui a écrit ça ?'. Comme je lui répondais que c'était moi, elle m'a dit : 'mais c'est pas vrai ! Est-ce que tu as le courage de le sortir !' Vous voyez, il y a des gens qui sont sensibles, qui sont sincères et ne font pas de comédie ... Je sais aussi qu'il y a d'autres personnes qui m'ont dit : 'vous faites de la politique, vous écrivez de la politique: ça, ça va vous coûter cher !' Je leur réponds : ' ça, c'est les affaires qu'on racontait auparavant.' De toute façon j'écris ce que je vois et ce que je dis, si je suis d'accord, je dis que je suis d'accord; et si je ne suis pas d'accord le dis aussi. Je ne suis pas d'accord avec les corps que nous voyons traîner dans les rues et je ne vois pas pourquoi je ne pourrais pas crier ! Voilà.

Pour terminer cette tranche de l'entretien qui est consacrée à votre œuvre littéraire, quelles ont été les plus grandes difficultés que vous ayez rencontrées ?

Premièrement de grandes difficultés au niveau de l'édition, l'édition coûte très cher ! Et on ne trouve pas beaucoup de maisons d'édition; ce qui fait que pour sortir quelque chose, ce n'est pas facile. Ça, c'est vraiment le plus grand problème, et ensuite c'est celui de l'écoulement. Il y a quelques personnes qui lisent, mais beaucoup ne lisent pas. Et puis, je n'écris pas de gros livres, parce que pour moi, mes écrits sont des messages, et un message ne doit pas être trop long, sinon il n'est plus compris. Alors, les gens préfèrent parfois copier le texte plutôt que de l'acheter.

Voilà. Parlons maintenant de votre œuvre sociale; vous avez monté avec un certain nombre de vos amies une Association des Femmes Handicapées. Comment est-ce que l'idée est née et comment cette association a-t-elle évolué jusque-là ?

Le succès de l'Association est due au travail de beaucoup de personnes. Si j'ai joué un rôle, disons important, c'est parce que j'ai une formation de rééducatrice, cette formation m'a amenée à être en contact avec beaucoup de personnes handicapées, à comprendre leurs problèmes et les amener à dire que non, il ne faut pas se décourager; on ne peut pas toujours rejeter le sort. Il faut assumer. A partir de là, j'ai commencé d'abord à militer dans les mouvements que d'autres avaient créés. Mais ça s'est révélé difficile de s'intégrer. Quand vous avez à dire quelque chose, on ne vous écoute pas beaucoup. Alors, comme il faut prêcher par l'exemple et montrer comment les choses peuvent marcher plutôt que de dire aux autres qu'on n'est pas d'accord avec leur façon de faire, nous avons dit, avec un groupe de femmes, que nous allions créer nous-mêmes une association. Nous avons décidé que ça allait être une Association des Femmes, mais que la porte serait ouverte non seulement aux femmes, mais aux hommes aussi, handicapés ou valides; donc ouverte à toutes les personnes qui viendraient. Les hommes handicapés par exemple, ou les hommes d'une façon générale, ont la parole quand ils ont quelque chose de valable à dire, comme tout le monde, mais ce n'est pas pour dire de manière négative que ce sont 'des idées de femmes'. Le mot 'femmes' handicapées choque parfois les gens, mais ici nous ne sommes pas repliées sur nous-mêmes; nous sommes ouvertes sur le monde.

Quand votre association a-t-elle été créée ?

On existe depuis 1991 et jusqu'à présent nous avons réalisé pas mal de choses; on a commencé par réaliser des plantations, après on a décidé de canaliser notre énergie dans la création d'un centre où nous avons plusieurs activités: la rééducation des personnes handicapées, la formation des enfants nés de parents handicapés, la formation des enfants handicapés, et aussi la formation des enfants valides, nés de parents valides, pour favoriser l'intégration.

Et comment a été accueillie votre initiative jusqu'ici ?

Très très bien accueillie, très bien ! Nous avons reçu le maire de l'arrondissement et d'autres gens des environs qui ont pu voir comment les gens se débrouillent, oubliant vraiment leur handicap. On a été très bien accueilli dans la région.

Monique Bessomo, je vous remercie.


[Retour à la page de Monique Bessomo] | [Autres interviews] | [Retour à la page d'accueil]

Editor ([email protected])
The University of Western Australia/French
Last updated: Monday, 23-Sep-1996.
https://www.arts.uwa.edu.au/AFLIT/intDNTbessomo.html