Invitée: Bilguissa Diallo
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Occupation: Auteure
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Aujourd'hui Guinéenews reçoit une jeune auteur en la personne de Bilguissa Diallo qui vient de faire paraître son premier roman "Diasporama" [Paris : Editions Anibwe, 2005. (320p.). ISBN 2-916121-00-5]. L'histoire, construite dans un style simple et concis, mais avec un brin d'humour et des d'intrigues savamment entretenues pour tenir le lecteur en haleine, tourne autour de cinq jeunes cousines. Mariama, Binta, Khadi, Marly et Djeyna sont des filles des frères qui ont quitté la Guinée pour s'installer en France dans les années 1970. Ces filles, qui n'en sont pas moins imprégnées des valeurs traditionnelles que leur ont inculquées leurs parents, sont également bien intégrées dans la société française, société dans laquelle elles vivent depuis leur naissance ou très tendre enfance. Tout se passe le mieux du monde jusqu'au jour où ces jeunes femmes qui ont toujours évolué dans une société multiculturelle, tombent amoureuses, les unes avec des Guinéens, les autres avec des non Guinéens, ce qui commence à créer des frictions familiales. Les parents craignant que des unions avec des étrangers n'éloignent définitivement leurs filles de leur culture d'origine, sauront-ils accepter les amours de leurs filles ou bien les filles chercheront-elles à atténuer l'amertume des parents? Et comment?
Les lecteurs de cette belle histoire en sauront d'avantage à la lecture de Diasporama dont l'auteur, Bilguissa Diallo, a accepté de répondre à quelques questions de Guinéenews.
Bilguissa Diallo est journaliste et éditrice. Elle a notamment travaillé au journal "La Tribune". Elle exerce actuellement à la maison d'Edition Anibwé qui a édité son ouvrage. Elle est également très active au sein de la communauté guinéenne en France. Elle est parmi les fondateurs en 1997 de l'Association des Jeunes Guinéens de France.
Guinéenews: Qu'est-ce qui vous a amené à écrire et pourquoi ce titre "Diasporama"?
Bilguissa Diallo: "Diasporama" est une jeu de mot entre "Diaspora" et "Diaporama". J'envisage ce roman comme un album familial animé, une chronique imagée, un diaporama d'une diaspora. Le texte est structuré en courts chapitres successifs qui plongent le lecteur à chaque fois dans une facette différente de cette diaspora, guinéenne en l'occurrence. L'envie d'écrire m'a prise il y a 7 ans.
La première idée de ce roman a germé l'année de mes 23 ans. J'avais envie de parler des jeunes femmes qui me ressemblent, celles qui sont nées entre deux cultures. J'avais remarqué que la littérature africaine francophone foisonne d'histoires se déroulant en Afrique (logiquement), d'histoires concernant des africains au moment même de leur rencontre avec la culture occidentale (comme dans l'Enfant Noir ou l'aventure ambiguë, le docker noir etc), il y a aussi les histoires dramatiques de jeunes femmes qui souffrent des traditions africaines, donc une Afrique dépeinte dans des termes assez dégradants, pathétiques ! Moi j'avais envie de parler de ces jeunes Africaines qui vivent hors du continent, qui sont au carrefour de deux cultures parce qu'elles sont nées hors de leur terre d'origine et qu'elles ont intégré une mentalité différente de celle de leurs parents, ce qui occasionne donc parfois des frictions familiales, des incompréhensions d'une génération à l'autre.
Je voulais décrire leur vie dans des termes justes, donner une vue interne de cette catégorie de femme en décrivant leur problématique de façon non caricaturale, plus authentique. J'avais également envie de sortir des clichés de l'émigré éboueur, femme de ménage ou racaille de banlieue, non pas parce que ces cas n'existent pas mais plutôt parce qu'ils ne forment pas à mon sens la totalité, ni la majorité de la population émigrée de France. Il y a tous ceux qu'on ne remarque pas parce qu'ils vivent une réalité française normale, ce sont les cadres africains, la classe moyenne qu'on assimile parfois à des Antillais, dont on pense qu'ils ne sont pas attachés à leur culture d'origine, qu'ils n'ont pour seul but que de devenir des Français noirs et non pas des gens qui se sentent africains et français.
Guinéenews: Vous décrivez la vie de plusieurs cousines, sorties de l'adolescence, qui font leur entrée dans le monde adulte et qui découvrent leurs premiers émois amoureux et font aussi des projets professionnels, en même temps que certaines d'entre elles commencent à exercer une activité salariale. Ces faits sont-ils des bribes autobiographiques ou est-ce de la simple fiction?
B.D: Ces faits ne sont pas à proprement parler autobiographiques car ils ne me sont pas forcément arrivés tels que je les décris, mais ces anecdotes fictionnelles ont été nourries de mon expérience quotidienne, de celles de mes amies proches.
Guinéenews: Les relations amoureuses des personnages de votre roman vont provoquer des incompréhensions entre les jeunes filles et leurs parents, allant parfois jusqu'à la rupture. Quelle est votre appréciation devant de tels drames familiaux? Une telle situation est-elle courante ou marginale, aussi bien ici en France qu'en Guinée où vous vous rendez régulièrement?
BD: Cette situation est à mon sens bien plus courante au sein des familles qui ont fait le chemin de l'exil, quelles qu'elles soient d'ailleurs (africaines, italiennes, arabes etc). Les Guinéens, qui ont au sein de chaque famille un membre qui a fondé une famille à l'étranger, sont bien placés pour savoir que ceux qui partent de chez eux gardent une nostalgie de leur terre, de leur culture et se battent quotidiennement pour recréer chez eux un petit coin de leur pays, un havre de paix. Les communautés se reforment à l'étranger et rapidement, l'ancienne génération (qui vit parfois en totale immersion dans la diaspora de son pays et ne fréquente les autochtones du pays d'accueil qu'au travail) oublie que leurs enfants ont vécu une réalité différente de la leur, qu'ils ont fréquenté dès le plus jeune âge des jeunes occidentaux et des jeunes d'autres communautés émigrées, qu'ils ne se sentent pas foncièrement différent d'eux, même si la société d'accueil ne les accepte pas facilement (mais c'est un autre problème). Ainsi il est mathématiquement difficile pour un jeune né hors de son pays d'origine d'épouser un jeune de la même origine que lui, parce qu'il va fréquenter plus de gens d'autres cultures que de la sienne, simple question de probabilité.
Les familles n'en parlent pas trop parce qu'on ne lave pas son linge sale en public, cependant à mon sens, en France en tout cas, ça arrive très régulièrement. Je connais énormément de jeunes femmes d'origine guinéenne/africaine nées ou grandies en France, et la question finit toujours par se poser à un moment ou à un autre. Alors certaines choisissent de se cacher de leurs parents, d'autres les affrontent et ils se voient contraints de tolérer la situation si ils ne sont pas prêts à perdre leurs filles.
Pour ce qui est de la Guinée, je me prononcerais moins parce que même si je m'y rends régulièrement, je connais moins la situation qu'en France. Et il me semble plus simple pour une Guinéenne d'épouser un Guinéen en Guinée qu'à Paris, il y en a plus d'une part, donc le problème se pose moins et lorsqu'il se pose, les parents sont moins confrontés à la question culturelle, ils ont moins peur de perdre leur fille, car une femme qui a grandi en Guinée/Afrique, n'a pas besoin de lutter pour garder son caractère africain, les codes de sa culture, etc, pour celles issue de la diaspora, c'est une démarche, presque un acte politique!
Guinéenews: Votre roman aborde, entre autres la question du mariage, notamment du mariage mixte qui sera une des causes des problèmes de communication entre "Binta" qui jusqu'à sa rencontre amoureuse, était perçue comme la "fille modèle", et ses parents qui auront du mal à "encaisser le coup".
BD: Les parents ont à mon sens une pression énorme. Ils sont ceux qui ont quitté le pays, sans bien sûr couper les liens. Donc c'est vers eux que se tourneront les premières critiques culturelles. A la moindre faute, hésitation, attitude jugée occidentale (une cravate gardée trop longtemps, des lunettes de soleil portées lors d'un voyage de retour en Afrique, un repas pris dans un assiette au lieu du bol commun), on les taxe d'avoir oublié leur pays, d'être devenus toubab. C'est pareil pour leurs enfants, particulièrement leurs filles. Si ces enfants ont le malheur de ne pas savoir parler leur langue d'origine et de se marier en dehors de leur groupe ethnique, on taxe les parents de laxistes, on dit qu'ils n'ont pas fait leur travail. Ainsi ces parents, pour qui l'opinion de la famille compte plus que tout, sont très exigeants envers leurs enfants. La pression se reporte donc vers ces jeunes, mais tous ne sont pas prêts au sacrifice, à laisser les rênes de leur vie leur échapper.
Guinéenews: un autre thème que j'ai tiré de votre roman, c'est la grossesse "accidentelle" ou non désirée, la réaction du père (de l'enfant) face à une telle situation. Dans votre roman, un des personnages refuse d'assumer son rôle, plaçant ainsi la jeune fille dans une situation de grand désarroi. Comment analysez-vous le phénomène des filles-mères, en France et en Guinée?
BD: C'est un phénomène qui a toujours existé. Les conséquences en France sont moins dramatiques aujourd'hui qu'avant, parce qu'il y a des structures d'accueil, des aides financières. C'est un phénomène qui n'a pas l'ampleur qu'on lui connaît en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis, mais il existe néanmoins et lorsque les familles n'épaulent pas et quand le père fuit (ce qui est assez courant), les femmes se retrouvent face à elles-mêmes.
En Guinée, cela doit avoir des conséquences autrement plus dramatiques dans le sens où la tradition ne le permet pas et la force du qu'en dira-t-on est redoutable. Ainsi l'image de la femme concernée est ternie et cela peut lui valoir de ne pas trouver de mari rapidement (ce qui peut signifier un sorte de mort sociale pour une femme qui n'a pas étudié et n'a pas de moyen de subsister seule). En France, la femme pourra se relever plus facilement de ses difficultés.
Guinéenews: Votre roman c'est aussi des jeunes hommes et femmes très confiants, très déterminés, qui prennent leur vie professionnelle en main et surtout qui ne semblent pas avoir des frontières entre l'Europe, l'Afrique et l'Amérique. Votre commentaire!
BD: En ce qui me concerne, je trouve que la communauté guinéenne n'a jamais considéré les frontières comme un frein à son ambition. De par leur histoire, les Guinéens ont été amenés à migrer partout en Afrique et dans le monde, et c'est une mentalité qui perdure au sein de la diaspora, mêmes chez ceux qui ne connaissent que peu leur pays d'origine. Les parents ont réussi à transmettre cette mentalité à leurs enfants (entre autres). Ainsi, de nombreux jeunes Guinéens de nationalité française n'ont pas d'obstacle majeur pour voyager, ils en profitent donc et élargissent leurs horizons. Ils sont pleins de ressources malgré les obstacles de l'intégration à la française et ils vont chercher le bonheur là où ils pensent qu'il se trouve, selon les projets personnels.
Guinéenews: Votre mot de la fin ...
BD: La vision que je donne de cette diaspora ne surprendra pas les Guinéens qui connaissent ces problèmes, mais plutôt ceux qui pensent que les "émigrés" de tous pays sont condamnés à être des êtres qui n'ont pas la maîtrise de leur vie, qui sont à plaindre, qui sont complexés et rejettent leur culture. Je parle de gens qui chérissent la culture du pays d'origine et qui se sont bien adaptés à celle du pays d'accueil. Seulement ce chevauchement culturel, plus ou moins bien digéré selon les gens, occasionne des conflits familiaux, des choix personnels. C'est toute la problématique de la double culture, des racines et du cheminement personnel.
J'espère en tout cas que le roman éclairera les Guinéens sur les conflits des familles de la diaspora, qu'il contribuera à ouvrir des canaux de communication au sein des familles, entre les générations. Si cela peut contribuer à ce que les gens communiquent et se comprennent mieux, le but sera atteint. En tout cas, c'est avant tout mon regard sur cette réalité, je l'ai voulu objectif, ensuite les lecteurs le confirmeront ou me contrediront.
Merci Bilguissa. Le succès et d'autres romans, c'est tout le mal que je te souhaite! A ta santé! Et aux années AJGF
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Propos recueillis par Hassatou Baldé depuis Paris pour Guinéenews.
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Editor ([email protected]) The University of Western Australia/French
Created: 11 Aug 2005
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