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Cette photographie d'Osvaldo Pieroni est fascinante. Depuis que j'ai posé mon regard sur ce baobab géant, je me livre à différentes interprétations de la scène. En particulier, ce fond crépusculaire qui fait également penser à la teinture rougeâtre de l'horizon du fait d'un feu de brousse. Et ce baobab... Il est intéressant de remarquer que cet arbre a une place très particulière au Sénégal dont il est � avec le lion - un des symboles nationaux. Il y a toute sorte de croyances et idées rattachées à cet arbre. Il est entre autres l'arbre à palabres, icône de cette oralité africaine. D'ailleurs, A. Mabanckou en proposant le " dialogue " de son porc-épic avec un baobab, fait-il référence à cette tradition orale où lance-t-il un clin d'œil à Saint-Exupéry et son Petit Prince ? Si on dépasse le cas du baobab, l'arbre représente tout simplement des hommes ou des femmes dans certaines contrées rurales africaines. " Ou est ton arbre ! " est-il reproché à Ayané par l'ancienne du village (L'intérieur de la nuit, Léonora Miano) pour signifier le fait que la jeune fille est étrangère à la communauté. Il serait intéressant de retracer le traitement de la symbolique des arbres dans le roman d'Afrique noire. Il y a sûrement des choses passionnantes à extraire.
C'est l'une des clefs de ce premier roman de Ken Bugul à savoir, le rapport que possède son personnage avec un baobab de son village.
Elle promenait son bébé à califourchon sur son dos, sous le baobab qui de plus en plus couvrait la concession familiale. Pour indiquer la demeure, il fallait indiquer le baobab ? Souffrait-elle ? Le baobab aussi, on se demandait à quoi il pensait. Car, parfois, il se mettait à rire, parfois à pleurer et cela arrivait aussi, il s'endormait pour rêver. (p. 36)
Ken Bugul raconte dans un premier temps l'histoire de cet arbre, comment il a vu le jour dans cette terre éloignée du Ndoucoumane au Sénégal, le village qui s'est reconstitué progressivement après une première destruction. Un village refondé par le père de Ken. Elle conte sa naissance, elle, issue de la deuxième épouse de son père.
Ce prélude que Ken Bugul désigne comme étant sa pré-histoire est relativement important pour la compréhension de ce roman. Le Baobab fou est un texte autobiographique retraçant le parcours chaotique d'une étudiante sénégalaise, d'une jeune femme africaine en Belgique. Une rupture incomprise, inexpliquée dans son enfance va conduire cette jeune femme à se construire en marge tant de sa famille que dans le cadre de sa scolarité. L'Occident semble être, pour cette africaine, la seule planche de salut pour se reconstruire. Aussi, quand elle obtient sa bourse d'études, tous les espoirs sont permis.
Avec une force et le poids de l'expérience vécue, Ken Bugul met sur papier ce choc des cultures, ce désarroi de cette femme noire issue de l'Afrique post coloniale, et la descente lente mais sûre vers les enfers chauds et arides (euh, non froids et secs), conséquence d'une rencontre avec un nouveau monde qui ne pouvait se faire sereinement. Ken pleure, Ken se cherche, Ken s'enfonce. Car Ken, contrairement à ses compatriotes va s'immerger dans la société belge, se mettre en ménage avec un peintre blanc, fréquenté les milieux bourgeois et intellectuels où elle est présentée comme un trophée, elle, la seule noire du milieu, être confrontée aux préjugés raciaux, à des sollicitations délicates... Mais son regard et ses interprétations sont biaisés par son propre mal être personnel lié à une brisure de l'enfance. Ken Bugul reste donc celle dont on ne veut pas, dans sa famille comme en Europe.
Je suis assez admiratif de ce type d'auteur qui offre une réflexion profonde sur leur propre condition sans pour autant faire preuve d'un nombrilisme excessif. Le texte oscille entre l'Europe et l'Afrique pour certains flash-back qui permettent, au fil des pages, de comprendre ou d'essayer de comprendre les réactions du personnage. De plus, ce texte m'offre une meilleure lecture de Riwan ou le chemin de sable, autre roman ô combien étonnant de Ken Bugul. L'auteur offre dans la conclusion de son histoire, la fin de ce baobab devenu fou. Symbole d'une nouvelle génération africaine qui n'a plus de repères? Je continue de réfléchir sur la métaphore de l'auteur sur ce point. Un très beau roman sur le choc des cultures et ce qui le motive.
Bonne lecture.
LaRéus Gangouéus samedi 27 septembre 2008
https://gangoueus.blogspot.com
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D'autres notes de lecture Lire les femmes et les littératures africaines [email protected] Novembre 2011 https://aflit.arts.uwa.edu.au/kenbugul_gangoueus_08.html |
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