L'AFRIQUE ECRITE AU FEMININ Notes de lecture |
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Quelque part en Afrique subsaharienne, vit le peuple Mulongo. Un événement tragique vient bouleverser la vie paisible et pacifique de ce clan : douze hommes ont disparu à la suite d'un incendie survenu pendant la nuit.
La communauté est en état de choc. Que s'est-il réellement passé ?
Léonora Miano se penche dans son nouveau roman sur l'histoire de la traite négrière.
L'originalité de son propos vient du point de vue qu'elle adopte. On ne sait rien ou presque de la perception qu'ont les africains (les peuples victimes), du commerce négrier. Peu d'études s'en soucient d'ailleurs. Quelle meilleure occasion pour une romancière que de s'engouffrer dans la brèche de cet oubli (volontaire ?) de l'Histoire.
La saison de l'ombre vient combler un vide aussi bien dans le domaine historique que dans celui de la fiction dont l'argument est souvent abordé à partir du même point de vue, celui du commerce et de la traversée de l'Atlantique, c'est-à-dire en délocalisant le berceau du mal.
Léonora Miano met en écriture la vie de ces communautés victimes (le clan Mulongo) ou complices malgré elles (le peuple Bwele, le peuple Isedu) de la traite des noirs. Il n'y a aucun manichéisme; ici, il s'agit de relater le plus honnêtement possible cet épisode douloureux. Reconstruire un passé perdu.
C'est là que son travail de romancière prend tout son sens. L'auteure réinvente une cosmogonie possible de ces peuples de l'Afrique subsaharienne, cultures dont la mémoire se transmettait par l'oralité et par la voix des femmes essentiellement.
Il y a dans le roman une double fictionnalité : l'invention d'une communauté avec ses traditions, ses lois, ses cultes, ses rites, son fonctionnement, son artisanat, sa hiérarchie, son vocabulaire, ainsi que son insertion fictive (donc ici symbolique, représentative) dans l'Histoire vraie.
Léonora Miano part d'un fait historique, d'une réalité commune (géographique, culturelle et historique) pour créer un imaginaire (réaliste) commun, à travers une fiction, de façon à combler ces territoires inconnus de l'Histoire.
Le roman permet de recomposer et de sauver un passé oublié. C'est un formidable travail de mémoire (symbolique) que l'auteure accomplit, servi par une écriture puissante, authentique, honnête qui se nourrit des traditions ancestrales qu'elle récupère, à travers un syncrétisme culturel basé sur la vie de ces peuples de l'Afrique subsaharienne.
On suit dans le roman le parcours initiatique (le destin) de quelques personnages du peuple Mulongo, femmes et hommes responsables du clan, soucieux d'agir dans l'intérêt de la communauté, quitte à se sacrifier.
La saison de l'ombre donne enfin la voix à une Afrique bâillonnée, à ces multitudes de peuples qui, dans l'ignorance générale, ont disparu sans laisser de traces, ont été écrasés par le rouage implacable de la traite négrière. C'est tout un pan de l'humanité (et de l'inhumanité !) que l'on a négligé.
C'est un roman captivant, parfaitement construit, dont la force de l'écriture s'inspire de la tradition orale des peuples africains.
Lénora Miano ne tombe pas dans le piège du roman historique; elle invente, avec la minutie d'une ethnologue acharnée, une histoire possible (une mémoire) de ces peuples.
Un livre nécessaire et courageux.
Frédéric Aranzueque-Arrieta 23 September 2013
https://faranzuequearrieta.free.fr
D'autres notes de lecture Lire les femmes et les littératures africaines [email protected] Novembre 2013 https://aflit.arts.uwa.edu.au/miano_AranzuequeArrieta_13.html |
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