L'AFRIQUE ECRITE AU FEMININ Notes de lecture |
Recensions proposées dans divers blogs, sur la toile et partout où la lecture est au rendez-vous de l'écriture du monde africain |
Ayané, étudiante en France, vient au chevet de sa mère mourante à Eku son village natal au Mboasu, pays imaginaire d'Afrique. Eduquée en marge du clan paternel par des parents aimants, amoureux et anticonformistes, fille de l'étrangère, fille d'Aama, Ayané revient sur cette terre qui est sienne mais dont elle ignore les codes. Un univers de vieillards, de femmes et d'enfants où le temps ne semble pas être une donnée variable. Le choc des civilisations est donc violent, alourdi par les ressentiments et non-dits des femmes du clan à l'endroit de la jeune fille.
Parallèlement à ce contexte explosif, Eku est assiégé par les miliciens d'une rébellion armée. Ces derniers investissent le village afin d'y trouver hommes, femmes, adolescents pour les besoins de leur cause militaire. Mais surtout, au travers d'une cérémonie macabre s'inspirant de la Cène chrétienne, ils ont le projet d'impliquer spirituellement les habitants d'Eku à leur quête de pouvoir et de réunification des clans par le sacrifice d'un enfant.
Léonora Miano aborde de nombreuses questions dans cet ouvrage dont la présentation dans les médias occidentaux a failli réduire le propos au seul acte de cannibalisme. En termes de clichés, quelle terreau! Mais est-ce le fond du propos de l'écrivaine camerounaise? Quoiqu'il en soit, elle aborde ces questions avec intelligence, un goût certain pour la provocation et surtout une maîtrise parfaite de la langue. Elle porte un regard sarcastique sur l'idéologie afrocentriste de certaines élites qu'elle illustre par le milicien Isilo. A tort? à raison? De ce point de vue, elle semble avoir une longueur d'avance sur le mouvement kémite en imaginant cette rébellion construite sur cette idéologie.
La nuit est obscure. En explorer l'intérieur relève de l'acharnement et de l'audace. Léonora Miano interroge par son héroïne universitaire une société vivant hors du temps et prête à toutes les compromissions possibles face aux kalachnikovs pour survivre, ne pas disparaître, exister. Par un concours de circonstance, Ayané n'assiste pas au sacrifice organisé par les miliciens.
L'ignorance n'est pas un gage d'innocence.
Pour obtenir la vérité, elle transgresse une nouvelle fois les règles, et l'omerta qui frappe la communauté.
Comment peut-on juger des choix d'une communauté quand on en comprend pas ou plus les codes ? Une fois confronté à l'immonde, la fuite est-elle la seule solution pour l'élite africaine?
...
L'intérieur de la nuit est avant tout un roman qui met en scène des femmes fortes ou résignées, en lutte contre un destin qui s'acharne contre elles, contre ou avec un système de valeurs ancestrales dont elles semblent être les otages, ou encore la violence des hommes incarnés par les miliciens. Elles pallient à la faiblesse, à la lâcheté, à l'absence, à la fuite des hommes du clan. Elles expriment leurs violences, leurs instincts de survie, leurs rivalités, leurs solidarités.
C'est un roman construit avec intelligence, écrit avec beaucoup de maîtrise et qui dérange par la pertinence de l'analyse et des questions d'Ayané. On pourrait toutefois être agacé par certaines généralisations sur une Afrique pourtant si plurielle dans ses us et ses coutumes.
Eké, l'homme d'Aama, contrevenait aux règles qui avaient toujours régi le clan. Il se rendait à la source à sa place, et elle avait en permanence une petite réserve d'eau. Lorsque ses frères lui conseillèrent de prendre une autre femme, d'abord parce que c'était mal d'avoir rejeté toutes celles du clan, ensuite parce que c'était mal de trop aimé une femme, il répondait qu'il ne voyait pas pourquoi il le ferait. (p.17)
Ayané, la bohémienne:
Personne n'avait pu vérifier cette rumeur selon laquelle Ayané avait quitté le pays pour une terre lointaine, mais on l'imaginait bien, franchissant les frontières d'un monde qu'aucune femme ne s'était jamais aventuré à explorer. On ne lui avait rien enseigné de valable, et elle ignorait qu'il n'appartenait pas aux femmes de courir les rotes. Leur rôle était de demeurer tels des piliers fixes sous le soleil. D'être des fondations et des repères. (p.24)
Pour en savoir plus sur cette auteure, son site internet.
Bonne lecture.
LaRéus Gangouéus vendredi 15 février 2008
https://gangoueus.blogspot.com
[Pour les commentaires, voir le blog]
D'autres notes de lecture Lire les femmes et les littératures africaines [email protected] Novembre 2011 https://aflit.arts.uwa.edu.au/miano_gangoueus_08.html |
Fermer cette fenêtre |