L'AFRIQUE ECRITE AU FEMININ Notes de lecture |
Recensions proposées dans divers blogs, sur la toile et partout où la lecture est au rendez-vous de l'écriture du monde africain |
A 2500 mètres d'altitude, se dresse le lycée Notre-Dame du Nil, un grand bâtiment de quatre étages, plus haut que les ministères de la capitale, dirigé par la Révérende Mère Supérieure avec l'aide du père Herménégilde, l'aumônier voyeur et lubrique.
Les pensionnaires sont des filles de ministres, de militaires haut gradés, d'hommes d'affaires, de riches commerçants qui songent à un mariage fructueux pour leur clan.
Le lycée forme l'élite féminine de la nation rwandaise. La grande majorité des élèves sont des hutus, issues de la vraie race rwandaise; un quota ethnique limite la scolarisation des tutsis à 10% des effectifs.
On suit le parcours de plusieurs jeunes filles, toutes élèves en dernière année.
Le roman de Scholastique Mukasonga couronné par le Prix Renaudot 2012 s'inscrit dans l'élaboration d'une œuvre littéraire qu'elle construit depuis la publication de Inyenzi ou les cafards en 2006 qui trouve ses racines dans les cicatrices que lui a laissé son pays natal, le Rwanda sa démarche rappelle à plusieurs égards celle de la congolaise Léonora Miano, Contours du jour qui vient ou Les aubes écarlates .
Elle revient aux origines du mal.
Notre-Dame du Nil retrace la vie ordinaire d'un groupe de lycéennes dans un établissement imaginaire, perdu dans les nuages. C'est un microcosme qui dépeint le Rwanda des années 70, celui qu'a subi Scholastique Mukasonga.
L'auteure prend le contrepied des récits mythiques; ce lieu haut perché, si près du ciel, n'a rien de sacré, au contraire, il est un gouffre qui mène droit en enfer.
Dans ce huis-clos oppressant, se joue le destin de Gloriosa, Modesta, Immaculée, Virginia et Veronica. Leur quotidien est fait de défiances, de rivalités, de haines, de mensonges. La tension va crescendo tout au long du roman, jusqu'à ce que survienne l'irréparable.
On retrouve une part d'autobiographie dans cette sombre histoire; le personnage de Virginia rappelle les infortunes de l'auteure; en effet, Scholastique Mukasonga fut chassée de son lycée au début des années 70, elle dut s'exiler au Burundi. Elle est une survivante de ces luttes entre hutus et tutsis. En 1994 une grande partie de sa famille fut exterminée pendant le génocide.
Notre-Dame du Nil montre une Afrique empêtrée dans ses contradictions, victime de ses complexes et assujettie à cette violence chronique de laquelle elle ne parvient pas à se détacher.
Ses aspirations sociales, économiques et politiques sont sans cesse freinées par l'ignorance et la bêtise de la classe dirigeante; les intérêts des clans rendent toute évolution utopique, ils sclérosent le pays.
Les récits ou les visions des sorciers, auxquels rendent visite certaines élèves, donnent au roman une dimension poétique réussie qui renoue avec l'Afrique originelle; ils sont une sorte d'échappatoire à la fois stylistique et humaine.
Malgré leur formation occidentale bien que très édulcorée , les jeunes filles du lycée ne sont qu'une marchandise échangeable, monnayable permettant de faire fructifier les intérêts d'un clan ou d'une famille. Beaucoup sont fières d'être un rouage essentiel de ce système.
C'est ce Rwanda violent et haineux dont les anciens colons ont en grande partie la responsabilité que ravive avec justesse la plume de Scholastique Mukasonga.
L'auteure dénonce aussi l'attitude des blancs face aux autochtones, aussi bien les anciens colons que l'église qui tente d'étendre son emprise sur la population ignorante rappelons le rôle plus que confus du Vatican et de Jean-Paul II quelques années plus tard, pendant le génocide .
Il s'agit d'une écriture de la mémoire ou plutôt des origines qui annoncent la sordide épuration raciale de 1994.
A travers ses écrits, l'auteure veut rétablir sa vérité en rendant hommage aux victimes dont elle fait partie de ces haines ethniques.
Le personnage de Gloriosa, une hutu fanatisée, incarne parfaitement l'obsession raciale qui a contaminé le Rwanda. Fille de ministre, elle parvient à prendre le contrôle du lycée en manipulant ses camarades et la direction. Elle va même jusqu'à profaner la statue de la Vierge du Nil dont le nez rappelle davantage celui des tutsis, un petit nez tout droit, plutôt que celui des hutus la patronne du lycée; elle attribue la responsabilité du sacrilège aux tutsis, déclenchant une chasse à l'homme, l'épuration ethnique qu'elle attendait depuis le début de l'année.
Le récit prend la forme d'une sombre tragédie, une métaphore juste et poignante du conflit qui meurtrira le Rwanda vingt ans plus tard.
Notre-Dame du Nil est un livre troublant, un exercice littéraire maîtrisé contre l'oubli, mais aussi une mise en garde contre ces violences irrationnelles qui hantent le continent africain, mais que l'on retrouve malheureusement dans les quatre coins du monde.
Une découverte à ne pas rater.
Frédéric Aranzueque-Arrieta 12 December 2012
https://faranzuequearrieta.free.fr
D'autres notes de lecture Lire les femmes et les littératures africaines [email protected] Novembre 2013 https://aflit.arts.uwa.edu.au/mukasonga_AranzuequeArrieta_13.html |
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