L'AFRIQUE ECRITE AU FEMININ Notes de lecture |
Recensions proposées dans divers blogs, sur la toile et partout où la lecture est au rendez-vous de l'écriture du monde africain |
Nadia et Ange sont un couple d'instituteurs. Ils vivent leur métier comme un véritable sacerdoce. Ils habitent à Bordeaux, un appartement cossu, rue Esprit des Lois, dans lequel ils se délectent, avec une certaine autosatisfaction, de leur mode de vie d'intellectuels. Cependant, depuis peu, pèsent sur eux un regard et un jugement étranges. Ils ont perdu leur respectabilité.
Ange, cloué au lit, souffre d'un mal qui le ronge, une étrange blessure purulente et fétide qui ne cesse de suinter, tandis que Nadia assiste, impuissante, à la métamorphose de son corps qui devient de plus en plus charnu.
Ils semblent frappés par une malédiction; leur entourage (aussi bien les personnes que la ville) les traite comme des pestiférés. Ils doivent même quitter l'école dans laquelle ils enseignent.
Leur voisin, l'illustre Noget, qu'ils ont toujours méprisé, s'impose chez eux et prend la situation en main, en s'occupant d'Ange et en gavant le couple de mets délicieux et gras.
Au bord de l'abîme, Nadia décide de partir chez son fils, quelque part dans le sud-est, sur une île. Ressurgit alors, dans un long travail de mémoire, le passé refoulé de Nadia : son enfance honteuse aux Aubiers (citée de la banlieue bordelaise); ses parents qu'elle méprise, tant elle a honte de leur situation sociale et qu'elle ne revoit plus depuis 35 ans; son premier mari, un électricien pas assez « comme il faut »; son ancienne amie de jeunesse, Corinna Daoui, une prostituée, grâce à qui elle a bénéficié de quelques cadeaux qu'elle ne pouvait se permettre; son fils médecin, Ralph, et son premier amour l'inspecteur Lanton qu'elle préférait de loin à sa progéniture.
A San Augusto, chez Ralph, elle découvre la nouvelle vie de celui-ci. Il est sous l'emprise de Wilma, sa nouvelle compagne, une femme férocement carnivore qui pratique la chasse avec ferveur. Cette dernière, gynécologue, détecte dans le corps de Nadia un mal qu'elle qualifie de diabolique.
Nadia s'étonne de ne pas voir Yasmine, sa belle-fille, ni sa petite-fille Souhar, dont elle méprise tant le prénom, et qu'elle ne connaît pas.
Tandis qu'elle accompagne Ralph, sur ordre de Wilma, pendant ses visites médicales, elle tombe par hasard dans une ruelle où habitent désormais ses parents, que son fils a fait venir sur l'île. Souhar vit avec eux pour échapper aux griffes de l'inquiétante Wilma.
Nadia réapprend à vivre et à se retrouver auprès des siens, loin des convenances sociales.
Difficile de ne pas être admiratif du travail de Marie NDiaye.
Mon cœur à l'étroit est le roman qu'elle publia juste avant Trois femmes puissantes, Prix Goncourt 2009.
Le livre est largement influencé par une esthétique expressionniste. Nadia, la narratrice, nous livre avec subjectivité sa perception de la réalité, la déformant à souhait.
L'écriture de Marie NDiaye est simplement éblouissante. Elle nous plonge dans un monde où règnent l'étrange et le mystère, une sorte de conte, ajoutant parfois quelques touches de fantastique (version Maupassant) avec grâce.
On a l'impression en lisant ce livre que l'on marche sur des œufs et l'on ne sait jamais où nous mène l'histoire, créant avec ingéniosité un suspense.
L'aspect noir, parfois étouffant, parvient à créer un malaise et une tension qui perdurent jusqu'à la fin.
L'atmosphère de la ville de Bordeaux (personnage incontournable) nous donne le tournis, avec ses rues changeantes, que ne reconnait plus Nadia, recouvertes de brouillard. Ce phénomène frappe aussi la narratrice qui nous confie une vision de son passé plus que brumeuse.
Au fur et à mesure des rencontres et des confrontations, la lumière se fait et l'on s'éloigne de la réalité subjective de Nadia. Alors qu'elle nous apparaît comme un être parfois vil et perfide, on entrevoit une possible rédemption dès qu'elle quitte Bordeaux.
Le personnage de Noget est particulièrement réussi; c'est lui qui nous permet de comprendre toute l'ampleur irrationnelle dans laquelle on évolue. Il en est de même pour l'inquiétante Wilma qui nous rappelle les sorcières des contes d'enfants, avec sa maison perdue dans la montagne, son jardin recouvert d'os d'animaux, et l'emprise et la peur qu'elle provoque chez Ralph.
Marie NDiaye utilise des codes narratifs (le fantastique, l'expressionnisme, le symbolisme, le conte...) et des symboles (le brouillard, l'île, la blessure, la maison dans les bois...) sans jamais les adopter complètement; cela donne à son œuvre une richesse esthétique et stylistique très originale et d'une grande exigence littéraire.
La lecture de Mon cœur à l'étroit est jouissive. Au fur et à mesure que l'on parcourt les quelques 300 pages de ce roman si riche, on prend conscience que l'on est face à une œuvre d'exception !
Un livre qui restera. Un chef-d'œuvre !
Frédéric Aranzueque-Arrieta 01 Juillet 2010
https://faranzuequearrieta.free.fr
D'autres notes de lecture Lire les femmes et les littératures africaines [email protected] Novembre 2013 https://aflit.arts.uwa.edu.au/ndiaye_AranzuequeArrieta_13.html |
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