L'AFRIQUE ECRITE AU FEMININ Notes de lecture |
Recensions proposées dans divers blogs, sur la toile et partout où la lecture est au rendez-vous de l'écriture du monde africain |
Ladivine Sylla habite en région parisienne, avec sa fille Malinka. Elle est femme de ménage chez des particuliers qui l'estiment plus que sa fille; celle-ci a honte de sa mère, de sa couleur de peau, de sa condition sociale : elle l'appelle, en secret, « la servante ».
Peu douée pour les études, Malinka abandonne le collège dès qu'elle en a l'occasion. Sa mère lui trouve une place dans une famille pour qui elle garde des enfants; pendant l'été, elle accompagne ses employeurs sur le bassin d'Arcachon. C'est ainsi que lui vient l'idée de rester en Gironde pour s'éloigner de sa mère. Elle commence une nouvelle vie, changeant même d'identité et se faisant désormais appeler Clarisse.
Incapable de vivre loin de sa fille, Ladivine la rejoint à Bordeaux; Malinka/Clarisse lui rend visite chaque premier mardi du mois, à la façon d'un rituel qu'elle s'impose.
Elle rencontre Richard Rivière, jeune concessionnaire de voitures à Langon, dans le restaurant où elle travaille. Ils se marient peu après. Elle ne dévoile rien de sa nouvelle vie à « la servante » qu'elle continue de voir mensuellement.
Clarisse donne naissance à une fille qu'elle nomme Ladivine, comme sa mère. Le couple achète une maison dans un lotissement, à Langon. Si elle aime passionnément sa famille, les relations entre eux trois sont ternes, complexes, comme déshumanisées.
Ladivine part à vingt ans en Allemagne, à Berlin; elle rencontre son mari Marko Berger avec qui elle a deux enfants. Elle devient professeure de français dans une académie privée.
Richard quitte Langon et Clarisse, pour s'installer à Annecy : il entame une nouvelle vie.
Une fois de plus Clarisse, bien qu'effondrée, ne manifeste rien, elle subit sa nouvelle situation. Pourtant, quelques temps après, elle refait sa vie avec Freddy Moliger, un homme cassé par la vie; elle le présente à sa mère Ladivine. Il poignarde sa compagne dans la maison de Langon où elle l'a accueilli.
Ladivine et Marko mènent une vie paisible à Berlin, jusqu'au jour où tout bascule. Peu après l'assassinat de Clarisse, la famille s'offre des vacances dans un pays tropical, sur les conseils de Richard Rivière, pour échapper au séjour contraint chez la belle-famille Berger. Marko provoque un incident qui change sa nature et Ladivine disparait, se transforme en chien...
Marie NDiaye auréolée par les prix Fémina en 2001 pour Rosie Carpe (son meilleur livre) et Goncourt pour Trois femmes puissantes en 2009 revient avec un roman énigmatique et envoutant, Ladivine, qui emprunte le nom de deux de ses personnages.
Le texte n'est pas d'un abord facile : ses longues phrases coupées, sculptées par une multitude de virgules, confèrent un rythme qui donne parfois le tournis, elles nous plongent dans un labyrinthe narratif pouvant dissuader plus d'un lecteur. C'est un roman qui se mérite, qu'il faut aller chercher; le talent de Marie NDiaye fait le reste.
Ladivine est un livre exigeant, un vrai projet littéraire qui emprunte des références à des univers variés les contes, les récits fantastiques, le roman noir, social, psychologique, etc. tout en gardant une forte identité et originalité. On plonge dans un univers où cohabitent l'ordinaire et l'extraordinaire, marque de fabrique de l'auteure. Marie NDiaye nous offre un récit captivant.
Le roman s'articule autour des trois personnages féminins : les deux Ladivine la grand-mère et la petite-fille et Malinka/Clarisse, le personnage central axe de symétrie temporel et narratif .
Ladivine Sylla est une femme travailleuse qui vit sa petite vie, sans rien demander à personne, en marge de la société, vouant à Malinka un amour immodéré, étouffant, qui finit gâter leur relation. Elle l'élève seule, faisant de son mieux, dans son deux-pièces de la banlieue parisienne, attendant ou faisant semblant d'attendre le père absent.
Malinka est un esprit simple. Né d'un père blanc qu'elle ne connait pas, elle a hérité de la blancheur de sa peau. Elle a honte de sa mère qui l'étouffe sous le poids de son amour. En réaction, elle ressent un mépris plein de culpabilité; pourtant elle l'aime avec passion. A force de mettre ses sentiments en sourdine sa petite tête n'arrange en rien son cas , elle devient associable malgré elle, avec ceux qui lui sont le plus chers : son mari, sa fille et sa mère. Pour tenter de s'émanciper, elle change de nom, devient Clarisse, inventant une nouvelle vie pour mieux effacer, en vain, l'ancienne. Il n'y a qu'avec son meurtrier, Freddy, qu'elle s'ouvrira, se trouvera en partie, maigre concession faite à son Moi originel.
Ladivine Berger, celle dont le prénom sonnait comme un acte de rémission, grandit couvée par l'immense amour de sa mère Clarisse qui ne lui donne aucun repère. Elle quitte la maison familiale de Langon pour s'installer en Allemagne, reproduisant malgré elle le cheminement de Malinka. La deuxième partie du roman lui est consacrée. Le modèle familial qu'elle construit semble trop parfait pour durer. Elle perd pied à son tour, loin de l'Europe, les nerfs à vif, éreintée par la folle chaleur d'un pays du Sud qui altère les comportements humains et la perception de la réalité, comme si le destin la poussait à la faute ou à perpétrer une malédiction frappant les femmes de sa famille.
Les personnages du roman s'embourbent dans leur vie, plutôt qu'ils n'avancent, trop marqués par le poids des origines, de leur identité, d'un sentiment de culpabilité pour s'en affranchir.
L'amour qui les lie entre eux tient de la malédiction; c'est aussi une émotion qui se vit, mais ne se dit pas, au risque de la mettre en péril : c'est le cas de Ladivine Sylla et Malinka, de Clarisse et Richard, de Ladivine Berger et Clarisse. On retrouve un effet de ricochet dans cette impossible sérénité; ces trois femmes impuissantes sont enfermées dans le cercle vicieux de leur destin.
Les personnages de Marie NDiaye vivent dans la société, ils travaillent, ils consomment, ils ont en apparence une vie et une réalité sociale tout à fait quelconque, mais les relations humaines qu'ils vivent/subissent au sein de leur famille, les fait dérailler, prendre des chemins intérieurs qui échappent à toute logique, à toute raison, les conduisant inévitablement vers le drame. Les liens du sang semblent maudits et c'est dans le sang rédempteur ? sacrificiel ? vengeur ? punitif ? que le roman esquisse un début de solution... ou dans la réincarnation canine...
Ladivine est aussi un texte sur l'exil intérieur et extérieur, une réflexion sur l'identité, sur la solitude, sur la complexité des sentiments et des rapports humains.
Un roman complexe, au phrasé sinueux, baroque, mais d'une grande richesse qui s'inscrit avec cohérence dans l'œuvre fascinante de Marie NDiaye. Une belle leçon de Littérature !
Frédéric Aranzueque-Arrieta 08 March 2013
https://faranzuequearrieta.free.fr
D'autres notes de lecture Lire les femmes et les littératures africaines [email protected] Novembre 2013 https://aflit.arts.uwa.edu.au/ndiaye_AranzuequeArrieta_13.html |
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