L'AFRIQUE ECRITE AU FEMININ Notes de lecture |
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Lucie est un sorcière médiocre. Elle habite dans un pavillon de banlieue, elle y élève ses jumelles, Maud et Lise, pendant que Pierrot, son mari, travaille au Garden Club, où il passe la journée à tenter de convaincre des couples aisés et respectables d'acheter pour l'éternité une semaine de vacances annuelle en des lieux aussi variés qu'idylliques.
Elle initie à l'âge de douze ans ses filles aux pouvoirs mystérieux; elles se révèlent particulièrement douées, à l'instar de leur grand-mère.
Cette petite vie bourgeoise presque normale bascule aussitôt que Pierrot quitte sa famille pour en rejoindre une autre à Bourges.
La sorcière (1996) est le sixième roman de Marie NDiaye, depuis Prix Femina (Rosie Carpe) et Goncourt (Trois femmes puissantes) entre autres prestigieuses (et méritées !!!) récompenses.
On retrouve dans ce récit une atmosphère particulière que l'auteure parvient à créer de livre en livre avec bonheur et talent.
Il y a d'un côté la vie de famille classique d'un couple petit-bourgeois narré avec un réalisme méticuleux (le quotidien ressemble à un rituel) et de l'autre un récit fantastique qui raconte les prouesses magiques de la famille de Lucie dont les pouvoirs se transmettent de génération en génération, exclusivement à la gente féminine.
Ces deux univers que tout oppose en apparence s'imbriquent à merveille, grâce à une écriture fluide et envoutante qui met l'accent sur le désenchantement social, personnel, magique.
Lucie est à la dérive, elle évolue dans ces deux strates (la réelle et la fantastique) qu'elle ne parvient pas à contrôler : son mari la quitte; ses filles devenues de toutes jeunes femmes puissantes se transforment en corneilles et partent loin d'elle; sa mère transforme son ex-mari (devenu entre temps un escroc) en escargot; elle devient par l'intermédiaire d'Isabelle, son ancienne voisine, une professeure ratée à l'Université de la Santé Spirituelle; etc.
Il s'agit, malgré les nombreux éléments qui ont trait avec le genre fantastique ou le réalisme merveilleux, d'un récit très ancré dans la réalité de notre société, décrivant ses travers les plus déplorables.
Maud et Lise s'éduquent en regardant les séries télévisées américaines; en conséquence, elles portent un regard blasé sur la vie « réelle », comme si plus rien ne les étonnait : le « faux » les prépare à juger avec cynisme le « vrai ».
C'est avec ingéniosité que Marie NDiaye met l'accent sur le côté obscur d'un monde devenu fade, engoncé dans une fausse réalité (ou réalité fictive, de représentation), qui ne croit plus aux forces de l'esprit.
Le tour de force de l'auteure est de fondre l'imaginaire fantastique dans la transcription impeccable du réel : ça marche divinement bien !
La sorcière est aussi un roman qui s'interroge sur la fiction et sur la dérive d'une société sans croyances (fussent-elles magiques !), dans lequel le quotidien a détruit la fantaisie et le fantastique de la vie.
Une preuve de plus que Marie NDiaye est une auteure hors du commun ! Un roman lumineux, brillant !
Frédéric Aranzueque-Arrieta 03 septembre 2013
https://faranzuequearrieta.free.fr
D'autres notes de lecture Lire les femmes et les littératures africaines [email protected] 3 Novembre 2013 https://aflit.arts.uwa.edu.au/ndiaye_AranzuequeArrieta_2_13.html |
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