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Avant propos |
Beverley Ormerod et Jean-Marie Volet Romancières africaines d'expression française : le sud du Sahara Paris : l'Harmattan, 1994 |
Les débuts
L'activité littéraire féminine remonte grosso modo à l'époque des Indépendances. La Sénégalaise Annette M'Baye d'Erneville affirme par exemple que « dès les années soixante, on a vu des jeunes femmes africaines de l'Afrique de l'ouest commencer à écrire des poèmes, des contes pour les enfants, des nouvelles ». D'abord modestes dans leurs prérogatives, ces femmes de lettres de la première heure ont néanmoins ouvert la voie de l'écriture à la génération suivante. Certes, ces pionnières « n'osaient pas encore s'élancer [ ... ] dans le roman ou dans les écrits parce qu'elles se voyaient toujours par rapport à l'image que les écrivains hommes présentaient d'elles », poursuit Annette M'Baye d'Erneville mais un pas décisif avait été franchi, la littérature n'était plus l'apanage des seuls hommes. Les œuvres de ces femmes, souvent inédites, épuisées ou oubliées sont éparpillées aux quatre coins de l'Afrique subsaharienne et un recensement systématique reste à faire. Nous avons trouvé un seul texte dont la publication remonte aux années 1950, Ngonda, l'autobiographie d'une jeune Camerounaise écrite vers 1955 par Marie-Claire Matip. D'autres ouvrages ont certainement paru et il serait intéressant de savoir combien d'anciennes élèves de l'Ecole normale de Rufisque de la génération d'Annette M'Baye d'Erneville conservent encore dans leurs tiroirs des lettres, des poèmes, des contes ou des nouvelles écrits depuis les années 1940. Amina Sow Mbaye, qui appartient à la génération suivante, avoue par exemple qu'elle possède encore des recueils de poèmes et des nouvelles datant des années 1950 et son cas n'est probablement pas isolé.
En 1969, la Camerounaise Thérèse Kuoh Moukoury remanie une nouvelle écrite dans les années 1950 et elle la publie sous forme d'un petit roman fort intéressant intitulé Rencontres essentielles. Cette œuvre a malheureusement pris le chemin de l'oubli. Publiée par un éditeur inconnu, rapidement épuisée et à notre connaissance jamais rééditée elle est devenue quasiment introuvable de nos jours.
Le vrai départ
Jusqu'au milieu des années soixante-dix, la production littéraire féminine est intermittente. L'année 1975 consacrée année internationale de la femme par l'ONU est importante dans la mesure où elle marque le début d'une production régulière qui va augmenter au fil des ans. Trois ouvrages paraissent cette année-là: l'autobiographie de la Malienne Aoua Kéita intitulée La Vie d'Aoua Kéita racontée par elle-même, celle de la Sénégalaise Nafissatou Diallo qui a pour titre De Tilène au Plateau et Dernière genèse, une nouvelle de la Zaïroise Christine Kalondji. Les autobiographies de Nafissatou Diallo et d'Aoua Kéita connaissent le succès dès leur sortie de presse. Pour la première fois, deux Africaines franchissent résolument les barrières de l'anonymat avec leurs écrits et leurs livres sont abondamment commentés tant dans les milieux littéraires africains que français. En 1976, l'autobiographie d'Aoua Kéita obtient d'ailleurs le Grand Prix Littéraire de l'Afrique Noire. La voie du succès empruntée ultérieurement par d'autres bénéficiaires de prix littéraires est ouverte (de Mariama Bâ en 1980 à Tita Mandeleau en 1992).
La fin de la décennie coïncide avec la publication de nouveaux titres et voit l'émergence de nouveaux auteurs. Lydie Dooh-Bunya, Simone Kaya, Aminata Sow Fall et Mariama Bâ publient des ouvrages dont certains seront abondamment discutés par la critique universitaire au cours de la décade suivante, Mariama Bâ, demeurant sans doute la romancière africaine la plus populaire de cette génération, même si son ouvrage Une si longue lettre, traduit en plusieurs langues et plusieurs fois réédité, était épuisé à la fin de 1991!
Depuis 1980, le rythme des publications s'accélère et le nombre des auteurs augmentent. La parution d'excellents livres jalonnent les années quatre-vingts, à commencer par Elonga de Ntyugwetondo Rawiri, sorti de presse en 1980 et par l'émouvante autobiographie de Ken Bugul publiée deux ans plus tard. Ce dernier livre traduit de manière poignante les obsessions de l'auteur et sa certitude d'être rejetée de tous d'où le choix de son pseudonyme. En 1984, Catherine N'Diaye fait l'apologie d'un renouvellement esthétique du genre romanesque dans Gens de sable, un ouvrage qui donne une vision très personnelle du Sénégal, le pays d'origine de l'auteur. Valérie Tadjo, quant à elle, publie en 1986 un petit roman original et fort bien écrit qui s'intitule A vol d'oiseau. C'est le Soleil qui m'a brûlée (publié en 1987) de Calixthe Beyala est également un roman plein d'intérêt: sous le regard critique de son âme, une jeune fille « se brûle à tous les soleils, à tous les feux du désir, de la coutume, de traditions sclérosées dans leurs aspects les plus oppressifs » et elle essaie de « retrouver la femme et anéantir le chaos ». Le recueil de nouvelles d'Assamala Amoi publié en 1988 se lit d'un trait; le chant-roman de Werewere Liking intitulé L'Amour-cent-vies paraît la même année. Cet ouvrage intègre de manière éblouissante les figures mythiques d'une Afrique légendaire et victorieuse à un présent obscurci par la corruption, la trahison et l'absolutisme.
En ce qui concerne les années quatre-vingt dix, elles ont pris leur envol d'une manière prometteuse avec la publication d'un ouvrage de Tanella Boni intitulé Une vie de crabe, un livre aux qualités humaines et littéraires exceptionnelles. De fait, ce sont des dizaines de titres et d'auteurs qu'il faudrait encore mentionner car, on s'en rendra compte en parcourant les pages qui suivent, la contribution des Africaines dans le domaine du roman a pris une ampleur considérable au cours de ces dernières années. Le nombre impressionnant de textes et d'auteurs que nous avons « découverts » au cours de notre projet a dépassé toutes nos prévisions et chaque semaine apporte de nouveaux noms et de nouveaux titres. Par exemple, à l'heure où nous écrivons ces lignes, les trois premiers volumes de « Plaisir d'Afrique », une nouvelle collection des éditions Africa spécialisée dans le roman d'amour à bon marché, viennent de sortir de presse; de plus, L'Harmattan nous rend attentifs à la publication, en 1993 dans sa collection 'Encres Noires', de Le Jeu de la mer, un roman de la Sénégalaise Khady Sylla en photo sur la couverture de notre ouvrage.
L'origine de cet ouvrage
Dans le cadre de son programme de licence, le Département de français de l'Université de Western Australia offre depuis plusieurs années un cours consacré aux littératures africaines. Pendant plusieurs années seuls des auteurs masculins ont figuré au programme. L'arrivée des romancières africaines des Sénégalaises surtout sur la scène littéraire rendait nécessaire une révision des auteurs étudiés. La décision d'introduire quelques romans écrits par des femmes s'est heurtée cependant à de nombreuses difficultés d'ordre pratique: livres inaccessibles, coûteux, épuisés, non répertoriés.... Les femmes d'Afrique qui avaient été maintenues à l'écart du monde littéraire à l'époque coloniale pour des raisons socio-culturelles semblaient vouées à subir le même sort une seconde fois pour des raisons socio-économiques ou d'intendance.
Une subvention octroyée par l'Université de Western Australia en 1991 a permis de travailler à l'élaboration d'une bibliographie des romancières africaines. Cette dernière, établie avec l'aide de plusieurs maisons d'éditions africaines et européennes, regroupe actuellement quelques 70 noms d'auteurs (que l'on retrouvera à la page 159 de cet ouvrage) et plus d'une centaine de romans, nouvelles, récits, contes et autobiographies (que l'on retrouvera des pages 19 à 157). A l'exception des publications récentes, la traque de tous ces ouvrages s'est avérée fort ardue. Quand ils n'étaient pas épuisés, ils semblaient tout simplement avoir disparu de la surface de la terre. La dépense d'énergie déployée pour obtenir certains livres (et dans certains cas pour ne jamais les recevoir), les mois d'attente, les nombreux rappels, les lettres perdues... nous ont convaincu que les problèmes de distribution favorisaient le rejet vers la périphérie de la littérature romanesque des Africaines: si un professeur n'a accès à un texte donné qu'au terme de démarches longues et fastidieuses, si ses élèves ne peuvent pas acheter un exemplaire des romans mentionnés ou analysés en cours et s'ils doivent se battre pour consulter le seul exemplaire disponible à la bibliothèque, il est compréhensible que les voix féminines aient peine à se faire entendre.
Afin de mieux connaître les auteurs « découverts » et pour mieux situer leurs œuvres dans le cadre des littératures africaines, une enquête systématique auprès des auteurs recensées en 1990 a été entreprise en 1991. A l'exception d'une dizaine de personnes dont ni la maison d'édition ni nous-mêmes n'avons pu retrouver la trace, toutes les personnes concernées ont reçu une lettre expliquant notre démarche et un questionnaire. On se fera une idée des questions posées en consultant la colonne imprimée en italique dans les pages qui suivent. D'une manière générale, les renseignements sollicités touchaient à l'identité de la femme écrivain, ses origines, son enfance, les écoles qu'elle avait fréquentées, ses activités professionnelles, sa famille, ses loisirs, l'origine de son intérêt pour la littérature et sa carrière d'écrivain.
La célérité avec laquelle la majorité (près de cinquante) des auteurs contactées nous ont répondus et l'arrivée d'un courrier régulier en provenance d'Afrique, mais aussi de France, d'Allemagne, des Etats-Unis où certaines avaient émigré, etc... a donné à l'entreprise une dimension universelle et humaine passionnante. Le rat de bibliothèque se muait en rat des champs pour humer l'air provenant de lointains horizons, quand bien même, dans cet univers tout rose des premiers enchantements, se dessinaient déjà toute une série de problèmes à résoudre, à commencer par les nouvelles limites qu'il allait falloir donner aux termes de « romancières » et d'« africaines ».
Les difficultés
Avouons tout de suite qu'après avoir tourné en rond longuement, nous avons abandonné la partie et décidé de laisser à chacun le soin de définir ces termes comme il lui plaira. Notre point de départ et l'accent que nous avons mis sur la prose nous a conduit à concentrer notre attention sur des auteurs ayant écrit des nouvelles, des autobiographies, des récits ou des romans. Mais cette division en genres, nécessaire à circonscrire notre entreprise dans des limites nous permettant de la conduire à son terme, ne convient qu'en partie à un classement des textes et des auteurs. Alors que certains ouvrages entre facilement dans le cadre d'une classification littéraire traditionnelle, il existe de très nombreux cas limites parfois de très beaux textes qui se plient mal à ces exigences. Et puis, plus important encore, nous avons aussi découvert dans les réponses qui nous parvenaient que la plupart des « romancières » avaient souvent écrit de la poésie, parfois du théâtre. A l'occasion, elles sont critiques littéraires ou auteurs d'ouvrages non romanesques. Les pages qui suivent ne peuvent être considérées que comme le survol exploratoire d'un vaste champ littéraire encore largement inexploré.
Un tour d'horizon systématique des poètes reste à faire. Certains noms mentionnés plus loin y figureraient aussi, mais d'autres femmes s'étant entièrement consacrées à la poésie, et que nous avons omises, y occuperaient les places d'honneur: Kiné Kirama Fall dont le recueil de poèmes Chants de la rivière fraîche a paru en 1976; Ndèye Coumba Mbengue Diakhaté, auteur du recueil Filles du Soleil; Cécile-Ivelyse Diamoneka, auteur d'une autre collection de poèmes intitulés Voix des cascades; d'autres noms moins connus figureraient également aux côtés de ces poétesses: Sandra Pierrette Kanzé, Josette Lima, Amelia Néné, Céline Bikoumou, Ghislaine Henry, Marie Claire Dati, Bernadette Dao et bien d'autres que nous n'avons pas eu l'honneur de lire.
Il en va de même des femmes de théâtre dont la production remonte elle aussi aux années 1960 comme le montre La famille africaine une pièce de Marie-Charlotte Mbarga Kouma, écrite il y a vingt ans et publiée récemment sous le titre Les Insatiables à Yaoundé aux Editions Sopecam. Les quelques noms cités plus loin (ceux de Werewere Liking ou de Rabiatou Njoya par exemple), ne font qu'effleurer un domaine bouillonnant d'activité qui mériterait lui aussi de faire l'objet d'un recensement exhaustif.
Et l'élan des Africaines vers le monde des lettres ne s'arrête pas aux frontières de la littérature comme en témoignent les ouvrages des historiennes Henriette Diabaté et Adam Konaré Bâ (Mme), les études sociologiques de Paulette Songué et d'Awa Thiam, ou encore la bande dessinée Yao crack en maths de la mathématicienne Joséphine Guidy Wandja... On pourra constater qu'un grand nombre des auteurs interviewées ont fréquenté l'université. Alors qu'à l'époque coloniale bien peu de filles fréquentaient l'école au delà du certificat d'étude primaire, la situation s'est complètement modifiée. Jusqu'aux années soixante, le brevet d'institutrice était considéré comme « un Grand Diplôme » pour les jeunes filles mais de nos jours, on retrouve des femmes à presque tous les niveaux de l'enseignement, non seulement comme élèves mais également et de plus en plus souvent à titre de maîtres de conférence ou de professeurs. Il n'est donc pas étonnant que la contribution des femmes africaines dans le domaine de l'écriture soit en constante augmentation et touche toutes les disciplines.
Cette diversité du bagage éducatif des femmes de l'Afrique d'aujourd'hui est importante car elle explique, en partie du moins, les différences de style, de forme ou la sophistication des textes proposés aux lecteurs. Une agrégée de philosophie, une femme titulaire d'un doctorat d'état ne va probablement pas s'exprimer de la même manière qu'une femme n'ayant fréquenté l'école que quelques années; une jeune étudiante n'abordera certainement pas la page blanche de la même manière qu'une institutrice à la retraite. Paradoxalement, ce ne sont pas toujours les livres écrits avec le plus de métier qui nous ont le plus frappés. Un certain nombre de facteurs paratextuels ont parfois conditionné notre lecture et nous ont conduit à parer le texte d'une aura qu'un examen purement littéraire ne saurait percevoir. L'autobiographie de Marie-Claire Matip, par exemple, est surtout intéressante si l'on sait qu'il s'agit là d'un des tous premiers livres écrit et publié par une adolescente africaine et que l'on tient compte des données socio-historiques qui entourent son écriture. Nous ne prétendons pas que tous les textes que nous avons lus se valent ni que la valeur de chacun est question de réception. Il y a des textes éblouissants et d'autres qui n'ont guère d'originalité. Cependant, il nous a été impossible de trouver les critères adéquats qui auraient permis de déterminer avec certitude la valeur littéraire des textes auxquels nous avions affaire. Plutôt que de nous fixer une grille de lecture qui nous aurait conduit à exclure arbitrairement certains textes, nous avons préféré mentionner tous ceux que nous avons lus et nous abstenir, autant que possible, de tout jugement péremptoire.
Dans le même ordre d'idées, nous nous en remettons au jugement de chacun en ce qui concerne notre dérision d'inclure des femmes écrivains qui ne cadrent que partiellement avec une définition stéréotypée du terme « africaine ». Que fallait-il faire des auteurs d'origine africaine nées hors d'Afrique ou résidant ailleurs; de celles dont un des parents n'est pas d'origine africaine; de celles ayant épousé un « Africain » et vivant (ou non) en Afrique... Plutôt que de décider arbitrairement qui est ou qui n'est pas africain, nous avons préféré fournir à chacune la possibilité d'exprimer sa relation avec l'Afrique grâce aux renseignements biographiques mentionnés.
Les pages qui suivent n'auraient pas été possibles sans la participation des femmes écrivains que nous mentionnons. Que toutes celles qui ont pris le temps de répondre à nos questions trouvent ici l'expression de notre gratitude.
Août 1992
Publié dans: Beverley Ormerod et Jean-Marie Volet. Romancières africaines d'expression française : le sud du Sahara. Paris: l'Harmattan, 1994.