A (RE)LIRE "La tentation d'Adam", un roman d'Andagui BONGO AYOUMA Libreville: Editions AMAYA, 2008. (192p.). ISBN 978-2-9530562-0-4.
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Tout comme son ancêtre des Saintes Ecritures, Adam est né dans un petit coin de paradis. Et comme son aïeul, il a tôt fait de découvrir les tourments de la tentation. Contre l'avis de son père, il décide d'abandonner son Eden africain pour partir à la découverte du vaste monde. Cela l'entraîne dans de nombreux pays proches et lointains. La Nasdaquie d'abord, puis Marasme, War Game, Sodome la Belle et enfin New Babylone. Alors qu'il découvre un univers dominé par la violence, l'argent, le sexe et un conformisme tyrannique, la finalité des activités terriennes lui semble de plus en plus absurde et incompréhensible. La fausse naïveté du héros de ce conte philosophique est divertissante mais elle interpelle aussi le lecteur, l'obligeant à réfléchir au mérite de ses propres aspirations dans un monde qui se laisse facilement séduire par les faux prophètes.
Après avoir quitté la bienheureuse harmonie de son Eden natal, Adam fait d'abord escale en Nasdaquie, un pays à la pointe du progrès qui a pour devise « In Nasdaq we trust » (p.56). Après un bref tête-à-tête avec quelques agents de sécurité qui se font vite menaçants, il comprend qu'il a avantage à ne pas trop s'attarder et il poursuit sa route en direction de Nasdaqville, « ville grise, froide, d'acier et de béton ». Ici, point de verdure mais une forêt d'édifices tentaculaires envahissant le ciel. « Des hommes fourmillent de toute part, constate-t-il, ... ils grouillent par milliers, arborant ostensiblement leurs codes-barres d'identité... Affairés, ils ne cessent de jeter de fréquents coups d'œil à leurs bracelets électroniques. Micro-ordinateurs, récepteurs-émetteurs dits "nasdaphones" qui les relient en permanence aux services de renseignements du Praesidium, mais peuvent leur fournir instantanément toute information utile. » (pp.52-53). Pour le lecteur dont tous les déplacements peuvent être traqués par l'intermédiaire de son téléphone cellulaire, dont le passeport livre tous les secrets de son identité et dont les emails sont systématiquement surveillés par Big-Brother, ces Nasdaquiens esclaves de l'électronique semblent être de proches cousins, pour ne pas dire des frères jumeaux à qui on essaie de faire oublier que bracelets et colliers se paient du prix de la liberté comme le montrait déjà une fable célèbre de Jean de la Fontaine [1].
Tout ce que la technologie nasdaquienne pouvait avoir de positif a été dénaturé par une « savante ignorance » (p.67). L'intérêt économique prime sur la vie humaine (p.67), ce qui entraîne une diminution des libertés individuelles et l'abandon des droits humains les plus élémentaires. Ces terriens insolites, conclut Adam, ont perdu leur essence divine et ils sont en passe de devenir des androïdes qui ont pour seul but d'accumuler « les dollars, la puissance et la gloire » (p.55) en éliminant sans sourciller tout ce qui ralentit leur course vers le néant. Adam n'a guère l'intention de prolonger inutilement son séjour dans ce « pays impitoyable pétri de cruauté » (p.71) et, comme le loup de la fable, il prend ses jambes à son cou, la police nasdaquienne à ses trousses.
C'est donc hors d'haleine qu'il arrive à Acropolis, la capitale fleurie de Sodome la Belle. Hélas, il n'a pas le temps de reprendre son souffle que déjà il découvre que le pays qu'il vient d'atteindre est dominé par un régime totalitaire tout aussi déplaisant que celui qu'il vient de quitter. Obsédé par une vaine recherche de la Beauté et du plaisir absolu, les habitants de Sodome ont bâti un empire à la gloire du paraître et de la promiscuité. La chirurgie esthétique, les artifices de tous genres et le mythe d'une jeunesse éternelle gouvernent une société où dominent la fornication, le viagra, les plantes artificielles, les décors factices et un goût immodéré pour une alimentation expérimentale riche en aliments génétiquement modifiés. De plus, une interprétation absurde de l'harmonie a mis à l'honneur un eugénisme inique qu'Adam découvre avec effroi lorsqu'il demande : « N'y a-t-il donc pas de laids, malades, handicapés ou vieillards ? ». Une Vénus peroxydée, siliconée, botoxée et sûre de son charme aseptisé (p.95) lui répond avec un regard plein de commisération : « Nous haïssons la laideur ; tout autant que la maladie, les malformations, la sénilité ou l'obésité... Tous ces maux sont strictement interdits par la loi et sévèrement punis, comme il se doit... Ces pouilleux sont impitoyablement éliminés par nos vigiles, nos gardiens de la beauté » (p.85).
Alors qu'il s'éloigne de Sodome la Belle en abandonnant sans regret les habitants du lieu à leurs activités de « pseudo-esthètes lubriques » (p.98), Adam n'a qu'une envie : retourner chez lui ; mais son odyssée sur terre est loin d'être arrivée à son terme. Les murs à moitié détruits de Guérilla City se profilent à l'horizon. Comme il se rapproche, le jeune homme ne tarde pas à se rendre compte que la ville a été désertée par la population et qu'elle n'est plus qu'un amas de ruines encore fumantes. Une soudaine explosion suivie de tirs d'artillerie interrompt sa réflexion et le pousse à trouver au plus tôt un endroit où s'abriter. Le passage à proximité d'un groupe d'enfants soldats lui permet de se rapprocher des combattants et de leur poser quelques questions. Ils ont à peine huit ou dix ans et manient déjà avec dextérité un matériel ultra moderne tout droit sorti des usines de Nasdaquie. Entre deux salves, Terminator accepte de répondre à ses questions mais sans vraiment lui permette de comprendre les raisons du conflit : « C'est la guerre, pardi ! » affirme le tueur en herbe, « on est au War Game et ici, on se bat depuis la nuit des temps ... on fait partie de l'armée des guerriers de Dieu ... et on se bat de père en fils et de mère en fille depuis toujours pour libérer notre ville des impies » (pp.102-103). Sur quoi, tout le monde se remet « à flinguer tous azimuts ». Lorsqu'Adam demande s'il y a un endroit tranquille dans les environs, tout le monde éclate de rire avant de s'éloigner. A peine Adam a-t-il quitté les guerriers de Dieu qu'il se retrouve cerné par l'armée adverse, accusé d'espionnage et à deux doigts d'être exécuté par Gladiator, un redoutable colosse surnommé « l'Egorgeur ». Après avoir sauvé sa peau en expliquant qu'il n'est qu'un touriste égaré, il essaie à nouveau de comprendre pourquoi les hommes qui l'entourent se battent avec tant de férocité. Mais les réponses de Gladiator ne lui en apprennent pas plus sur les raisons du conflit que les explications du jeune Terminator. « Nous nous battons pour notre Dieu contre les mécréants, lui affirme le géant en ajustant fièrement son képi. Il est de notre devoir de massacrer tous ces païens. » (p.106). War Game, de toute évidence, est une nation ravagée par une guerre interminable dont personne ne sait au juste quand elle a commencé ni quand elle va se terminer, ce qui met le pays à genoux, décime les populations civiles et enrichit les marchands d'armes et les mercenaires de Nasdaquie qui vendent leurs services et leur matériel, sans états d'âme, à tous les belligérants présents sur le champ de bataille.
Abasourdi, Adam a hâte de fuir la violence entretenue par des années de guerres et associée aux concepts absurdes de « guerre chirurgicale », de « guerre préventive » et de « dégât collatéral » (p.117). C'est donc avec un soupir de soulagement qu'il arrive dans une région d'une rare beauté, un endroit qui lui rappelle immédiatement son Eden natal. Mais ses illusions sont de courte durée et le tableau affligeant qui s'offre à ses yeux lorsqu'il atteint la capitale de Marasmia lui propose à nouveau le spectacle d'une humanité accablée de misère et de souffrance. Une population famélique maudit le ciel et la terre en attendant une mort salvatrice, et la déchéance physique et morale des habitants en font la proie facile des charlatans et des fricoteurs étrangers. Ces derniers prétendent non sans dérision « To Restore Hope » (p.126) et exploitent les ressources du pays de manière éhontée sous couvert de « coopération ». Le pays, dominé par le prosélytisme, est devenu le siège de pillages innombrables. Des « Caravanes de la Rédemption » délivrent la Bonne Nouvelle aux populations affamées à coups de crédits alimentaires et promettent la vie éternelle à ceux qui acceptent de suivre les leaders de sectes nombreuses et variées. Intrigué, Adam accepte l'invitation d'un jeune prédicateur et le suit en New Babylone.
Malheureusement, le maître spirituel qui l'accueille dans l'enceinte de son immense propriété est loin d'être un ascète bienveillant à l'écoute de ses adeptes. Une fois le lourd portail de la congrégation refermé derrière Adam, ce dernier se retrouve prisonnier d'un bande de tortionnaires vénaux et débauchés à qui il a toutes les peines du monde à fausser compagnie. Ebranlé par son périlleux périple, Adam décide alors qu'il en a assez vu et il ne peut plus contenir son impatience de se retrouver enfin chez lui. Hélas, quand il y arrive enfin, l'endroit n'a plus rien du paradis qu'il avait quitté. Il n'est plus que désolation, un amas de débris de toutes sortes, un lieu somme toute très semblable aux contrées que le jeune homme vient de parcourir et où l'on a cessé de voir en l'homme l'image de Dieu (p.230). Tout retour à la case départ est impossible et, pour Adam et sa bien aimée Eve, il est temps d'accepter leur condition et d'œuvrer au mieux de leurs possibilités à la reconquête du paradis perdu.
Les contes philosophiques ont souvent pour but d'arracher l'humanité à sa crédulité et de relativiser la sagesse humaine. La tentation d'Adam ne fait pas exception à la règle et, plutôt que de proposer aux lecteurs des réponses toutes faites aux problèmes qui rongent le monde, ce livre les invite à partager le regard faussement ingénu du narrateur et à en tirer les conclusions qui s'imposent. Dans une interview, Andagui Bongo Ayouma affirmait récemment qu'elle avait écrit La tentation d'Adam « pour faire réfléchir et susciter la remise en question [des idées reçues] » [2]. Il ne fait aucun doute que l'auteur a atteint son but et que son ouvrage tout à la fois amusant et très sérieux vaut vraiment la peine d'être lu.
Jean-Marie Volet
Notes
1. ... Le collier dont je suis attaché / de ce que vous voyez est peut-être la cause. /
- Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas / où vous voulez ? Pas toujours, mais qu'importe ? /
- Il importe si bien, que de tous vos repas / je ne veux en aucune sorte / et ne voudrais pas même à ce prix un trésor. /
Cela dit, maître Loup s'enfuit, et court encor.
(Jean de la Fontaine. « Le loup et le chien »).
2. Pierre Eric Mbog Batassi. "Andagui Bongo Ayouma : « 'La tentation d'Adam' ou la quête spirituelle » Afric.com. 27 juin 2008. https://www.afrik.com/article14634.html. [Consulté le 24 septembre 2009]
Editor ([email protected])
The University of Western Australia/School of Humanities
Created: 16-October-2009.
https://aflit.arts.uwa.edu.au/reviewfr_bongo09.html