A (RE)LIRE "Boy Dakar", un roman de Laurence GAVRON Paris : Editions du Masque, 2008. 350p. Roman. ISBN 978-2-7024-3385-0.
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Ma mère aime les romans policiers. C'est, dit-elle, le meilleur moyen d'échapper à la réalité du monde. Il me serait difficile de la contredire, ayant moi aussi passé plus de temps que je ne saurais l'admettre en compagnie des virtuoses du genre. La lecture de Boy Dakar fait toutefois figure d'exception : Au moment de tourner la dernière page de ce roman bien ficelé de Laurence Gavron, force est de reconnaître que l'intrigue policière à laquelle nous convie l'auteure lui sert surtout à raconter de manière originale une ville et la manière de vivre de ses habitants.
Admettons d'emblée que le fait de consacrer une après-midi à lire les exploits du Brigadier Souleymane Faye de la PJ de Dakar ceci confortablement installé dans un jardin situé à des milliers de kilomètres du Sénégal, une boisson fraîche à portée de main n'est sans doute pas ce que l'on peut qualifier d'expérience en prise directe sur la dure réalité du monde. De même, la fin du roman qui nous décrit un univers où les héros se marient, les malandrins retrouvent le sens du devoir et la police adopte des comportements bon papa appartient plus à la fiction qu'à l'observation de terrain. Ceci dit, Boy Dakar reste un livre intéressant car en marge d'une intrigue un peu légère, on y trouve une galerie de portraits illustrant la société sénégalaise avec une délicatesse qui n'exclut pas l'esprit critique. Découvrir comment vivent les Dakarois a tout autant d'intérêt que d'apprendre qui est responsable de la série d'assassinats qui mettent la capitale sénégalaise à feu et à sang et coûtent la vie à Serigne Mustapha Koddu, un chef religieux très populaire.
Les quatre premières pages du roman suffisent à l'auteure pour sortir le brigadier Souleymane Faye de son lit où il passe d'agréables moments en compagnie de sa dernière conquête pour l'amener sur les lieux du crime et pour le mettre au travail. Mais à peine cette première étape franchie, le digne représentant de la PJ est abandonné à son sort car la narratrice brûle de nous parler de personnages dont l'histoire semble bien plus intéressante que les premiers tâtonnements d'une enquête policière. Dès lors, ce n'est que 130 pages plus loin qu'elle reprend contact avec le brigadier pour s'informer des progrès de son enquête.
Dans l'intervalle, les lecteurs et les lectrices sont invités à une balade dans les rues de Dakar afin de goûter à l'animation d'une métropole cosmopolite. On y découvre des individus qui « droitent » au lieu de tourner à droite et d'autres qui appellent leur grand-père « maam bòoy ». On entre dans des gargotes où l'on se désaltère en parlant de sa famille, de relations d'affaires, de son existence dans un faubourg éloigné, des amis que l'on a rencontrés ; en un mot, on découvre la vie de la cité au fil de chapitres toujours très brefs qui s'enchaînent, et on se laisse entraîner par un flot d'images et de sensations.
A la suite de Fatim, la propriétaire du Cybercafé Sandanga, nous entrons dans l'univers d'une jeune chèfe d'entreprise, dynamique et efficace, qui dirige une petite équipe de jeunes gens débrouillards, aptes à trouver une solution à tous les problèmes informatiques et capables de remettre en état n'importe quel ordinateur. Toutefois, ce ne sont pas des difficultés d'ordre professionnel mais des problèmes sentimentaux qui préoccupent Fatim quand nous entrons dans sa vie : son ami Modou l'a quittée et elle est prête à tout pour le récupérer, y compris demander l'aide de la sœur de Modou et celle du féticheur Pa'Djeli.
Modou, quant à lui, nous introduit dans le monde perturbé d'une jeunesse sans illusions qui a été récupérée par les promesses de chefs spirituels charismatiques mais sans scrupules.
Le musicien Libass Ndoye, au contraire, nous invite à partager sa vie d'homme bien dans sa peau et vivant de manière frugale malgré une réputation qui dépasse largement les frontières du Sénégal. Son attachement à son pays et son talent en ont fait un des musiciens les plus prisés des radios locales.
Sautant allègrement d'un milieu à un autre, nous faisons également connaissance avec la pègre où se meuvent le petit gangster Gaetano Oliveira et le puissant Baba Mekong qui s'occupe des basses besognes du gouvernement.
Flâner dans les rues de Dakar offre aussi l'occasion de rencontrer quelques mendiantes et de faire plus ample connaissance avec l'une d'elles, Ken Bugul, une belle jeune femme muette dont le pagne est utilisé par Pa'Djeli pour désensorceler Modou et le ramener vers Fatim.
Et dans un pays où les extrêmes se côtoient, on aperçoit aussi quelques brasseurs d'affaires accompagnés de politiciens affichant leur importance par leur habillement : habits griffés ou grands boubous de basin riche magnifiquement brodés. Cependant, qu'il s'agisse du Ministre Cheik Tidiane ou du milliardaire Karim Nasrallah qui vient d'ouvrir « Wonder World », le premier parc d'attractions pour enfants de la région, largement inspiré du modèle américain, on comprend vite que l'habit ne faisant pas le moine, les activités de ces individus n'ont pas pour but de permettre au citoyen moyen de joindre les deux bouts et d'assurer la « DQ » (dépense quotidienne) comme s'y applique Goorgoorlu, le héros d'une bande dessinée sénégalaise célèbre.
La vie est dure et chacun doit s'accommoder au mieux des désagréments engendrés par la pauvreté, la corruption et les conditions difficiles qui prévalent dans les mégapoles africaines. Cependant, un des intérêts de l'ouvrage, c'est d'abandonner à d'autres l'exploration des multiples facettes de la fuite des cerveaux provoquée par des conditions économiques difficiles, et de mettre l'accent sur ceux et celles qui (re)viennent s'installer au pays après une plus ou moins longue absence. Des gens comme Libass Ndoye qui est rentré au Sénégal après un long séjour à l'étranger et qui nage dans le bonheur après avoir retrouvé une ambiance et une chaleur humaine dont il ne saurait plus se passer. Libass loue une maison modeste à Ouakam et partage son temps entre la musique, ses amis et sa famille. Fatim, elle aussi, est rentrée au Sénégal après ses études en France ; et quand bien même son séjour à l'étranger l'incite à s'interroger sur le monde qui l'entoure et à en relever certains aspects pesants, elle pense aussi que la convivialité, la sympathie des gens et le fait de parler à tout le monde dans la rue, dans les boutiques et au marché sont des atouts irremplaçables aux yeux de ceux qui ont séjourné dans la froide Europe.
L'attrait de ce livre écrit par une « étrangère... pas si étrangère que ça » Laurence Gavron a récemment obtenu la nationalité sénégalaise est joliment souligné par Modou Mamoune Faye dans un compte rendu de Boy Dakar publié dans le quotidien sénégalais Le Soleil (https://www.lesoleil.sn/imprimertout.php3?id_rubrique=946 [consulté le 24 octobre 2008]) : « Tout compte fait, le roman de Laurence Gavron procure à son lecteur, un immense plaisir. Bien écrit, avec des mots simples où l'humour côtoie le corrosif, « Boy Dakar » est un condensé de portraits de « petites gens » que l'on rencontre chaque jour dans les avenues, rues et ruelles de la capitale sénégalaise. »
La manière subtile utilisée par l'auteure pour ramener les fans de romans policiers à la réalité est certainement un des aspects les plus intéressants du roman. Reste qu'il serait injuste de réduire Boy Dakar à une simple étude sociologique. Il s'agit bel et bien d'un roman policier et les lectrices avides d'échapper au monde qui les entoure pourront dévorer cet ouvrage sans vergogne ni arrière pensées si tel est leur bon plaisir.
Jean-Marie Volet
Editor ([email protected])
The University of Western Australia/School of Humanities
Created: 06-Nov-2008.
https://aflit.arts.uwa.edu.au/reviewfr_gavron08.html