A (RE)LIRE "Réparons la terre", un essai de Wangari MAATHAI Traduit de l'anglais par Pascale Haas. Titre original: "Replenishing the Earth" [2010]. Paris: Héloïse d'Ormesson, 2012. (192p.). ISBN: 978-2-35087-199-8.
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Réparons la terre est un vibrant plaidoyer en faveur de la biodiversité adressé au monde par la Kenyane Wangari Muta Maathai, militante écologiste et Prix Nobel de la Paix 2004. Les quatre principes directeurs qui ont guidé sa vie sont exposés dans cet ouvrage. Ils sont les prémisses d'une nouvelle approche de l'altérité qui transcende les dogmes, les religions et les cultures tout en respectant l'environnement. Ces principes s'appuient sur des valeurs universelles telles que la justice, l'équité, la responsabilité et le partage, des vertus qui permettent de vivre en bonne intelligence avec le monde qui nous entoure. « Je suis persuadée, dit-elle, que posséder ces valeurs nous rend meilleur, que l'humanité se porte mieux avec que sans » (p.10).
Le Green Belt Movement de Wangari Maathai vit le jour à la fin des années 1970, à une époque où il fallait « trouver des solutions concrètes [... pour] aider les populations rurales, en particulier les femmes, à pourvoir aux besoins élémentaires dont elles étaient privées [...]: l'eau potable, une alimentation correcte [...], un revenu, du combustible pour cuisiner et se chauffer » (p.7). Ce mouvement populaire prit rapidement de l'ampleur et permit de jeter les bases d'un développement basé sur la durabilité plutôt que sur le profit à court terme, le respect de la vie plutôt que sa mise en péril, la défense de l'environnement plutôt que sa destruction, le partage plutôt que l'individualisme, la diversité plutôt que le massacre de milliers d'espèces nécessaires à notre survie.
Les préoccupations d'ordre pratique et spirituel qui se retrouvent au cœur de la vision du monde proposée par l'auteure font qu'une importance égale est accordée au respect du « complexe réseau d'écosystèmes, de schémas climatiques, de courants océaniques [...] de biomes composés de micro-organismes, de bactéries, d'insectes, de plante et d'autres formes de vie [...] dont dépendent les oiseaux [...] ou des espèces [...] telles que la nôtre » (p.62), et aux devoirs que les humains ont vis-à-vis de la planète, à commencer par le respect de la vie sous toutes ses formes, le discernement, le libre-arbitre, la responsabilité individuelle et le partage. Il est impossible, dit Wangari Maathai, de réparer la terre sans « réparer les blessures infligées aux communautés que l'on avait dépouillées de leur confiance en elles et de leur savoir » (p.8). La survie mentale et matérielle de l'humain est indissociable de la relation symbiotique de la Terre et des êtres qui l'habitent.
L'activité humaine exigeant dans son principe de s'intégrer à un environnement dont nul n'est en mesure de s'affranchir, il convient d'adopter un style de vie qui témoigne de manière tangible qu'on est attentif à l'univers qui nous entoure (p.9). Cela signifie admettre qu'on appartient au monde sans en être le ressort principal et donner une valeur non monétaire aux êtres et aux choses. Le sapelli plusieurs fois centenaire que Wangari Maathai voit tomber sous ses yeux au cœur de la forêt tropicale congolaise, par exemple, ne peut être considéré comme un simple volume de bois dont la fonction première est d'enrichir une compagnie forestière. Non, sa vraie valeur est inséparable des multiples bienfaits que cet arbre rend aux autres espèces, du CO2 qu'il absorbe, de l'oxygène qu'il nous procure, du rôle qu'il joue dans la régulation du climat, etc. Son sacrifice permet de comprendre que la société fait fausse route lorsqu'elle accorde davantage de valeur aux choses que l'on tue qu'à celles à qui l'on permet de vivre. Perdu dans l'océan de verdure qui forme « le deuxième poumon du monde » (p.31) (c'est-à-dire les deux millions de km2 de forêt tropicale du bassin du Congo) l'importance écologique du sapelli a été oubliée. De manière perverse, l'économie moderne nous a entraînés sur des chemins de traverses dangereux et mal balisés. Et pour sortir de là, on a moins besoin d'un GPS que de bon sens.
Il faut ouvrir les yeux, regarder le monde différemment, et aussi accorder sa juste valeur à ce que la terre nous offre c'est là le second principe énoncé par Wangari Maathai. Il convient d'user des bienfaits qui nous sont offerts, avec sagesse et parcimonie, comme nos aïeuls qui savaient que les arbres et toute la vie qui fourmille autour de ces derniers, satisferaient tous leurs besoins, génération après génération, pour peu qu'ils se souviennent que les arbres sont plus utiles vivants que morts. Ce respect de la terre nourricière se retrouve sous tous les cieux, à toutes les époques et dans tous les lieux comme en témoigne la rencontre de l'auteure avec un journaliste japonais qui lui apprit que le Japon avait lui aussi un concept qui ressemblait à celui qu'elle était en train de lui décrire: « le mottainai [...] qui recouvre la gratitude que nous devrions témoigner à ce que nous donne la terre [...] l'attitude de respect, voire de révérence, par rapport à ce qu'on a eu la chance de recevoir, et la nécessité d'en user avec soin, sans le gaspiller » (p.100).
L'époque où l'on avait horreur du gaspillage est d'ailleurs encore proche de celle de l'homo œconomicus, où que l'on se trouve dans le monde. Et le mantra « Réduire, réutiliser, recycler » (p.99) sur lequel s'appuient les mouvements écologiques d'aujourd'hui n'a rien de révolutionnaire. Il exprime simplement une sagesse millénaire qu'il convient de remettre à l'honneur en Afrique comme au Japon et dans le reste du monde. Les vingt-quatre milliards de baguettes en bois à usage unique jetées chaque année au Japon (p.101), les millions de barils de pétrole utilisés pour fabriquer des tonnes de sacs plastic dans les pays qui n'ont pas interdit leur distribution dans les grandes surfaces tout comme les montagnes de déchets qui ensevelissent la planète ne peuvent diminuer que si chacun prend ses responsabilités et applique « la règle des trois R ».
Responsabiliser les individus et leur permettre d'améliorer leurs conditions de vie en créant des conditions favorisant l'autosuffisance (p.9) informent le troisième principe proposé par Wangari Maathai. Il ne sert à rien d'attendre que quelqu'un vous prenne en charge, affirme l'auteure; il faut prendre en main sa destinée. Cette approche pleine de bon sens va cependant à l'encontre des nombreuses traditions religieuses qui situent le paradis dans l'au-delà et affirment que Dieu accueillera dans son Royaume tous ceux qui lèvent les yeux vers le ciel et supportent avec stoïcisme l'enfer que leur propose la vie ici bas. Dans ce domaine aussi, la mort a une valeur supérieure à celle de la vie. Dès lors, « pourquoi planter un arbre, protéger la forêt ou réduire son empreinte écologique si, comme le suggère la chanson de Jim Reeve, This world is not my home, un endroit meilleur rempli de trésors nous attend ? Si l'oikia en grec ancien "maison", dont est dérivé le préfixe éco n'est plus l'endroit auquel on se sent appartenir ? » (pp.116-117).
Plutôt que d'assister au vilipendage de notre monde et à l'exaltation de la vie éternelle, dit l'auteure, « il serait revigorant et responsabilisant, d'entrer dans une église, une mosquée ou tout autre lieu de culte, et d'y entendre parler de ceux qui ont su transformer les conditions dans lesquelles ils travaillent et veiller à ce que les ressources naturelles soient utilisées de manière responsable et équitable » (p.137). Mais les Eglises, « accablées par l'héritage historique qui a fait d'elles des remparts contre le changement » (p.138), ont trop souvent comme les pouvoirs politiques avec qui elles ont souvent travaillé main dans la main contribué à un asservissement spirituel, moral et financier rédhibitoire. Toutefois, ajoute l'auteure, ce que l'Institution n'a pas su offrir, certains responsables religieux les « leaders-serviteurs » que l'on peut trouver à tous les échelons de la hiérarchie (p.145) ont eu le courage de le proposer à leurs ouailles: une image de la vie et de la mort qui invite les fidèles à respecter le monde qui les entoure, son énergie vitale et sa merveilleuse complexité (p.146). Il ne s'agit plus d'opposer le ciel et la terre mais de renouer avec une sagesse ancestrale exprimée de mille manières depuis le fond des âges; de reconstruire un monde où l'on ne brûle ni les hérétiques, ni les sorcières, ni le figuier sacré qui dérangeait un pasteur de l'Eglise des assemblées de Dieu (p.90), ni les forêts sacrées de Girima (p.89) incendiées par le Britanniques en 1914, ni le sapelli abattu sous les yeux de l'auteure au cœur du Congo, et réduit en partie en cendre sur place, crachant en abondance des gaz à effet de serre en lieu et place de l'oxygène qu'il nous offrait de son vivant.
« Devant les restes de ce qui avait été un arbre plein de vie, la fumée mêlée à la lueur rouge des braises [...] m'est apparue comme une définition plus que parfaite de l'enfer, affirme l'auteure, et pas uniquement parce que la fumée, la suie et les flammes sont des symboles que lui a associés la tradition chrétienne. C'était l'enfer à cause de la destruction de l'environnement [...]. L'enfer à cause de la déshumanisation des populations qui cherchent des richesses au milieu de la boue, des maladies, au fond des puits et des mines ou des rivières contaminées au mercure. L'enfer parce que brûler du bois pour obtenir du charbon est un moyen de se procurer de l'énergie qui ne fait qu'aggraver les risques de dégradation lorsque le bois devient plus rare, le climat plus sec, la désertification plus intense, et que l'atmosphère et les sources polluées ou taries finissent par disparaître » (p.36).
Même si ce qu'un individu est en mesure d'accomplir semble insignifiant à l'échelle du monde, il appartient à chacun de prendre ses responsabilités et de s'engager pour réparer la terre, dit l'auteure. Eviter d'ajouter une paire de baguettes ou un sac plastic à la montagne de détritus qui asphyxie le monde peut sembler dérisoire, tout comme partir en campagne pour sauver une baleine, épargner un sapelli ou vivre pendant deux ans au sommet d'un vénérable séquoia condamné à l'abattage (p.93); mais les petits ruisseaux donnent naissance aux grandes rivières et, comme le dit une maxime attribuée au maître taoïste chinois Lao-Tseu: « Un voyage de mille lieues commence toujours par un premier pas » (p.174).
Il appartient à chacun d'entre nous de faire ce premier pas, dit Wangari Maathai, mais une fois le voyage entrepris, il n'est jamais solitaire car les voyageurs sont nombreux et l'entraide permet à chacun d'arriver à bon port. Le quatrième principe sur lequel s'appuie l'action militante de l'auteure a donc trait à l'esprit de service qui doit guider les individus; elle souligne l'importance du « don de soi » (p.9) qui permet à chacun « d'accomplir sa part dans l'intérêt du bien commun » (p.9), c'est-à-dire notre avenir et celui des non-humains avec lesquels nous partageons notre vie et notre planète (p.10).
L'association de Wangari Maathai connut ses premiers succès au Kenya mais fidèle à ses principes, l'auteure montre que la survie de l'environnement relève non seulement d'une action de proximité mais aussi d'une approche globale qui va au-delà des intérêts grégaires, des prérogatives nationales et des dogmatismes religieux. La nécessité de réparer la terre ne connaît pas les frontières et le moyen d'avancer dans la bonne direction se nourrit d'exemples venus des quatre coins du monde: le Green Belt Movement, bien sûr, et sa contribution au développement durable qui valut à Wangari Maathai le Prix Nobel de la Paix; mais aussi le mouvement Chipko qui protèga les régions rurales de l'Himalaya indien au début des années 1970 (p.90); l'organisation Navdanya qui se bat pour sauver la biodiversité et les réserves de semences des paysans (p.91); la jeune femme qui se percha au sommet d'un vieux sequoïa pour lui sauver la vie; et plus modestement mais avec une égale importance la consommatrice qui remplace une ampoule à incandescence par une ampoule LED et le client qui évite d'utiliser les sacs plastic mis à disposition de la clientèle dans les grands magasins.
D'innombrables individus, affiliés ou non à un mouvement écologique, se battent pour la survie de la terre et, dit Wangari Maathai, il appartient à chacun de nous de trouver le meilleur moyen d'agir: « Nous vivons tous dans des environnements différents qui présentent des défis et des opportunités spécifiques à même de déboucher sur un changement significatif, dit-elle. Nos origines culturelles et religieuses diffèrent, tout comme les valeurs auxquelles nous tenons. Mon but n'est pas de vous dicter comment réagir aux circonstances qui sont les vôtres, mais de vous inciter à prendre appui sur les principes et la culture propres à vos traditions afin de changer les choses et réparer les blessures de la terre » (p.178). Au Kenya, par exemple, où « comme la plupart des dimanches, les bancs de l'église affichent complets » (p.123), il était important de souligner auprès des fidèles que le Green Belt Movement n'était pas en désaccord avec les Saintes Ecritures; que le devoir du chrétien est de respecter l'œuvre du Créateur. Cela explique les innombrables références à la Bible que l'on trouve tout au long de l'ouvrage. Mais l'auteure souligne aussi que le christianisme n'est qu'une religion parmi d'autres et cet essai fourmille d'exemples ayant trait à d'autres croyances religieuses. Toutefois, si l'auteure évoque la diversité des types de relation de l'homme à Dieu, elle constate aussi que de nombreuses religions semblent avoir oublié le sens du message qui leur avait été transmis au départ. La Parole dont elles s'inspirent a souvent « été dévoyée, ou transformée afin de convenir aux coutumes de ses adeptes » (p.12). Il convient donc de remettre l'ouvrage sur le métier et d'« aborder les textes sacrés d'un point de vue critique et exégétique de manière à déterminer les ressources qu'ils renferment et à promouvoir une vision plus juste et plus écologique » (p.162). La chose est non seulement souhaitable mais possible car, dit-l'auteure: « de nombreux membres de communautés religieuses sont des écologistes » (p.161).
Bien que la nécessité urgente de réparer la Terre se heurte aux manipulations et aux intérêts particuliers des uns et des autres, de plus en plus de monde se sent concerné par l'avenir de la planète et l'ouvrage propose une vision dynamique du présent. Certes, personne ne sait ce que nous réserve l'avenir, mais pour ceux qui pensent que « l'injustice sociale mène à l'injustice écologique et vice-versa » (p.154), comme le disait le Brésilien Leonardo Boff, l'essentiel est d'agir aujourd'hui, avec intégrité; et, quoi qu'il arrive demain, de pouvoir se dire qu'on a fait ce qu'on a pu.
A son retour d'une mission dans l'espace, en 2005, la commandante Eileen Collins racontait à des journalistes qu'alors qu'elle survolait l'Afrique à trois cent mille kilomètres de distance, elle avait pu constater les effets de la déforestation et de l'érosion; qu'elle avait observé des immenses nuages où se mêlaient le sable, les cendres et la fumée des feux allumés par les paysans qui pratiquent l'agriculture sur brûlis et fabriquent du charbon. « Je ne sais vraiment pas pourquoi ils font cela ? » (p.52) ajouta-t-elle, ébranlée par ce qu'elle avait vu.
Les inquiétudes d'Eileen Collins rejoignent certainement celles de Wangari Maathai qui, comme l'astronaute américaine, « aimerait voir les gens prendre soin de la terre et remplacer les ressources utilisées » (p.51). Mais aux yeux de l'auteure, la question du « pourquoi » est inséparable du sens que l'on donne au pronom « ils ». Signifie-t-il les Africains qui mettent le feu à leur continent comme semble le laisser entendre Eileen Collins ? les pays du nord qui imposent ses monocultures, affament les populations du sud et pillent les ressources du continent en toute impunité ? les clients des grandes surfaces pour qui les secrets de la finance, de l'économie et du commerce international importent peu pour autant qu'on leur offre des fruits et légumes à prix cassés ?
Le désastre écologique observé par Eileen Collins depuis l'espace n'est bien sûr pas le fait d'un groupe individus particulier mais de l'humanité dans son ensemble. Dès lors, dit Wangari Maathai, « quand le commandant Collins a dit: 'Je ne sais vraiment pas pourquoi ils font cela ?', elle aurait pu poser la question non seulement aux Africains mais à tous les citoyens de la planète. Car cette question s'adresse à chacun d'entre nous: pourquoi faisons-nous cela ? Et j'ajouterai: combien de temps encore allons-nous continuer ? » (pp.52-53).
De l'attitude de chacun d'entre nous dépend la réponse à cette obsédante question. A lire.
Jean-Marie Volet
Notes
Site Internet du "Green Belt Movement" (GBM): https://www.greenbeltmovement.org/ (Consulté le 15 avril 2013)
A ce jour (1er mai 2013), trois autres ouvrages de Wangari Maathai ont été traduits en français.
Editor ([email protected])
The University of Western Australia/School of Humanities
Created: 1-May-2013.
https://aflit.arts.uwa.edu.au/reviewfr_maathai13.html