L'AFRIQUE ECRITE AU FEMININ Notes de lecture |
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L'écrivain a pour mission de nous divertir mais il a également pour mission d'interroger la société dans laquelle il évolue. La femme de lettres sénégalaise Aminata Sow Fall accomplit parfaitement cette dernière mission dans La Grève des bàttu, son œuvre la plus connue. Elle y dénonce notamment l'hypocrisie de la société sénégalaise et l'idéologie patriarcale.
Ce livre a paru pour la première fois il y a trente six ans, pourtant il a pour nous une terrible résonance. Le récit aurait pu trouver pour cadre une ville comme Cotonou, Abidjan, Libreville ou Lubumbashi : n'importe quelle ville d'Afrique où les services dévolus à la voirie et à l'assainissement recourent à des méthodes peu orthodoxes pour faire table rase d'une population marginale, celle des mendiants. Cette histoire pourrait très bien se dérouler de nos jours, en 2015.
A travers un récit poignant mais non dénué d'une certaine poésie, la narratrice soulève certains problèmes qui gangrènent nos sociétés. Dans un pays qui tient à maintenir un flux toujours croissant de touristes occidentaux venus profiter du soleil, des hommes politiques tiennent à débarrasser leur ville des mendiants qui "abîment" par leur présence le paysage urbain. Mais pour vivre, les mendiants ont besoin de l'obole distribuée dans les bàttu, ces petites calebasses dans lesquelles l'aumône est versée. En choisissant le titre de son roman, la romancière nous montre comment le mendiant est chosifié et devient le bàttu.
Mour-Ndiaye est le directeur du Service de la salubrité publique. Il est dévoré par l'ambition et doit bientôt être promu vice-président. Dans un premier temps, il parvient à se débarrasser de la population indigente. Mais ce faisant, il bouleverse sans s'en rendre compte un certain ordre établi qui veut que mendiants et citoyens « se fréquentent » en bonne intelligence. Les citoyens donnent aux mendiants par devoir religieux ou pour avoir bonne conscience. Toute chose et toute personne ont leur place dans le monde qui est le nôtre mais quand Mour-Ndiaye oublie cette évidence, la foule des affamés se rebelle avec, à sa tête, Salla, une femme généreuse et courageuse [...]
Ce livre pose plusieurs questions encore actuelles. Quel regard posons-nous sur ceux qui matériellement n'ont rien? Comment nos sociétés sont-elles arrivées à nous faire appréhender autrui seulement à travers son aptitude à subvenir à ses propres besoins matériels ? Davantage de personnes devraient s'interroger sur la nécessité d'une réelle refonte du pacte social, ce pacte qui fonctionne si mal pour certains, dans nos sociétés profondément inégalitaires.
Mour-Ndiaye l'apprendra à ses dépens : « les plus petits » ont parfois une force insoupçonnée. Certes ils sont souvent transparents au regard de tous mais les mendiants de cette histoire montrent combien l'humanité véritable se vit pleinement au sein de ceux qui n'ont plus rien à perdre.
Sylvie et Gisèle Totin 14 décembre 2015
https://novi-novi.net/
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D'autres notes de lecture Lire les femmes et les littératures africaines [email protected] avril 2016 https://aflit.arts.uwa.edu.au/sow_fall_totin_15.html |
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