L'AFRIQUE ECRITE AU FEMININ Notes de lecture |
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Note de lecture de Liss Kihindou proposée sur son blog "Valets des livres", 2015.
Marie-Léontine Tsibinda est connue comme étant la première poétesse du Congo-Brazzaville, mais elle n'écrit pas que de la poésie, elle a aussi publié des nouvelles parmi lesquelles « Les Pagnes mouillés », texte couronné par le Prix Unesco-Aschberg en 1996. Dans l'anthologie du collectif des femmes écrivaines du Congo-Brazzaville, Sirène des Sables, elle a publié « Lady K », une nouvelle dont le titre rend hommage à Kimpa Vita, ne figure féminine historique du Congo.
Marie-Léontine Tsibinda est donc poétesse, nouvelliste, conteuse également. Mais il y a un autre genre qu'elle connaît bien car elle l'a pratiqué d'abord comme comédienne: le théâtre. Ayant fait ses armes dans une troupe universitaire ainsi que dans le Rocado Zulu de Sony Labou Tansi, le théâtre constitue donc, en quelque sorte, son premier amour littéraire, et l'on sait combien le premier amour marque une existence, combien il se loge dans les renfoncements les plus confortables du souvenir, au point qu'on ne l'oublie jamais. Marie-Léontine Tsibinda pouvait-elle résister à l'appel du théâtre ? Après La première brassée, une pièce écrite en collaboration et publiée en 2011, elle fait paraître La Porcelaine de Chine en 2013 aux Editions L'Interligne, à Ottawa (Canada). Dans cette pièce, trois personnages tentent de scruter le futur, de l'imaginer peint aux couleurs de l'espoir car le présent aussi bien que le récent passé ne leur réservent que la pollution de l'amertume.
Bazey n'a plus grand-chose dans sa maison, les pillages, comme un cyclone, ont tout balayé. Ses assiettes en porcelaine sont le seul bien luxueux qui lui reste et qui témoigne du confort de sa vie d'antan. Journaliste de renom, elle gagnait très bien sa vie et coulait des jours heureux avec son mari Bissy et leurs enfants. Mais voilà, la guerre a fait basculer toutes les vies, et celle de Bazey porte maintenant des scarifications profondes. Responsable du journal "Femmes et Libertés" qui osait dénoncer les violences et les humiliations infligées aux femmes, sans omettre de mentionner les auteurs de ces ignominies, elle a été violentée par l'armée qui, bien évidemment, se trouvait sous la coupe des gens au pouvoir et se considérait donc comme intouchable.
Si Bazey et son mari Bissy ont réussi à faire partir leurs enfants pour l'étranger, loin des conséquences désastreuses de la guerre civile, le couple, lui, doit maintenant supporter le goût amer des lendemains de guerre. La détresse physique apparaît comme le reflet de la détresse morale, c'est pourquoi Bazey s'accroche désespérément à sa porcelaine de Chine et s'en prend à sa bonne qui, ne contrôlant plus ses gestes depuis le choc psychologique causé par la folie des détonations, brise les précieuses assiettes les unes après les autres. Reste que Bazey ne veut pas voir sa vie complètement en morceaux, elle refuse de croire que tout espoir est perdu, elle tente de reconquérir son mari qui est devenu un autre homme depuis les événements de la guerre. Ses tentatives pour conserver ses assiettes sont à l'image des efforts qu'elle déploie pour sauver son couple, pour laver le linge du passé souillé de la pire manière. Maya, leur femme à tout faire, les observe. Elle sait qu'ils sont, comme elle, des victimes de la guerre, et elle pardonne les crises d'hystérie de sa patronne, l'aide même à surmonter son chagrin. Elle-même recherche ses enfants, son mari, ignorant où ils se trouvent car la guerre a séparé les familles. Une véritable solidarité naît entre les deux femmes comme le souligne Maya: « Je suis une femme comme vous, madame, et je sais ce que solitude et larmes veulent dire. » (p. 44)
La pièce est écrite dans un style où la gravité du sujet a pour écho la dignité des deux femmes qui se protègent comme elles le peuvent des agressions extérieures. A leurs propres yeux, elles entendent rester dignes d'estime. Il leur arrive de chanceler, mais elles ne tombent pas. Elles doivent rester fortes et éviter que tout ne parte en vrille car « ce pays fait porter aux femmes tout le fardeau de sa régression sociale » (p. 28). Dès lors, si elles perdaient pied, on imagine le désastre. C'est cette persévérance et cette détermination qui ouvre les yeux à Bissy qui feront que l'impasse dans laquelle tous les personnages semblent engagés se transformera lentement mais sûrement et permettra d'entrevoir une issue.
On se délecte de l'écriture de Marie-Léontine Tsibinda qui joue sur la polysémie des mots, établit des comparaisons subtiles et emmène le lecteur d'un terrain à un autre. Voici quelques exemples: « Je refuse de veiller sur l'eau. Veiller les morts est déjà bien pénible dans cette ville. » (p. 27); On passe de « casser la vaisselle » à « casser les oreilles » (pp. 32-33); du sens figuré au sens propre du mot "timbré": « les gens de cette corporation sont plus ou moins timbrés [... ] Timbrés, dites-vous, madame ! Timbrés comme deux lettres à la poste ? Tout ce qui est timbré voyage, madame, je préfère ne pas voyager. On n'est nulle part mieux que chez soi... » (p. 48)
Poésie, conte, réflexions philosophiques, état des lieux du pays après la guerre, interrogations sur la vie de couple, sur la possibilité de se reconstruire après un viol... La porcelaine de Chine est tout ça. La pièce est préfacée par Guy Menga, un dramaturge qui a marqué l'histoire du théâtre congolais avec, entre autres La Marmite de Koka-Mbala. En guise de conclusion, voici un extrait de sa préface: « Il suffit d'un rien parfois pour rasséréner des cœurs meurtris et pétris d'angoisse pérenne, quand lutter et espérer en l'avenir sont de l'ordre du possible à défaut d'une certitude absolue. C'est ce plat garni d'un optimisme modéré que Marie-Léontine Tsibinda-Bilombo nous sert ici, sans excès de sel ni de pili-pili (piment) dans ce qui reste de la porcelaine de Chine. »
Liss Kihindou 25 août 2015
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