Elle vient de publier aux Nouvelles éditions africaines à Abidjan une bande dessinée: "Yao crack en maths". Elle est la première agrégée africaine et docteur d'état en mathématiques, Elle, c'est: |
Guidy Wandja Joséphine
Elle fit ses études secondaires et supérieures en France où elle arriva à l'âge de 14 ans. Elle fréquenta le lycée de jeunes filles de Chatellerault où elle obtint le BEPC en 1960, puis les grands lycées féminins de Paris, le lycée Fenelon et le lycée Jules Ferry où elle obtint sa première et deuxième parties de baccalauréat math-élem en 1963. Elle va préparer parallèlement les grandes écoles et MGP respectivement au lycée Jules-Ferry et à l'université Pierre et Marie-Curie. Elle obtiendra de nombreux certificats de mathématiques, physique, mécanique qui la conduiront de la maîtrise de mathématiques pures au doctorat de 3e cycle et doctorat d'Etat de mathématiques sous la direction d'éminents mathématiciens français dont Henri Cartan, Mlle Liberman et René Thom qui obtint la médaille Freld (Prix Nobel en mathématiques) à l'âge de 26 ans.
Elle est titulaire de l'agrégation française de mathématiques, docteur d'Etat ès-sciences mathématiques et d'une maîtrise de sciences économiques.
Quant à sa carrière dans l'enseignement, elle dure depuis 17 ans, dont 16 ans dans l'enseignement supérieur; elle débute au lycée Jacques Amyot de Melun (près de Paris) l'année scolaire 1969-70, passe par l'université de Paris VII où elle devient maître-assistante avant d'intégrer l'université d'Abidjan en octobre 1971 où elle passera maître de conférences. Elle enseignera aussi à l'école nationale des Travaux publics et à l'école nationale d'Administration.
Actuellement, elle est maître de conférences de mathématiques à l'université nationale et chargée de cours de recherche opérationnelle et de mathématiques économiques à l'école nationale d'Administration.
Elle est officier dans l'Ordre de mérite de l'Education nationale (Côte-d'Ivoire) et officier des palmes académiques (France).
Vous venez de publier une bande dessinée intitulée "Yoa crack en math". Pourquoi Yao crack-t-il en maths?
"Yao crack" est une bande dessinée constituée d'une vingtaine de sketchs titrés, tels que "Yao et Thales", "le parler mathématiques" etc. Grâce aux coups de crayon de notre talentueux dessinateur Jess Sah Bi (aujourd'hui grande vedette de la country music) les scènes sont pleines d'humour et dépeignent certaines des difficultés que recontre l'enfant africain face aux maths. Dès qu'un prof de maths dit à l'enfant (élève ou étudiant) "passez au tableau", il transpire comme Yao sur la couverture. Nous voulons démystifier les maths pour les rendre accessibles au plus grand nombre d'enfants. Car, comme ne cesse de prédire notre président Félix Houphouët-Boigny, "l'avenir appartient à la science, à la technique et à la technologie". A la base de toute science, de toute technique et de toute technologie interviennent les mathématiques aussi bien comme mode de pensée que comme instrument d'investigation.
Pourquoi avoir choisi les bandes dessinées pour vulgariser les maths? Vous auriez pu commencer par un essai.
C'est vrai que j'aurais pu commencer par un essai mais je voulais toucher tous les niveaux et le rendre plus accessible aux lecteurs. Les enfants en particulier qui dévorent beaucoup plus les bandes dessinées. D'ailleurs, "Yao crack en math" est parti tout simplement de l'observation par une mère de ses enfants. J'ai eu un de mes fils qui a connu quelques difficultés en lecture, et il a voulu savoir si par les bandes dessinées, je ne pourrais pas faire quelque chose. Alors, je me suis donné comme premier objectif de démystifier les maths.
Vous aviez souligné plus haut la peur des élèves pour les maths. A quoi est due cette faiblesse, cette peur et comment y remédier?
Leurs faiblesses sont fonction d'un certain nombre de paramètres dont leur environnement, le message mathématique du professeur, la pédagogie non adaptée, etc. Pour y remédier, il faut trouver des ouvrages et de démystification car c'est très important. La peur date de l'époque coloniale. On a l'impression qu'elle se transmet de père en fils. En tant que pédagogue, il nous incombe de trouver les voies et les moyens pour que l'enfant ait un accès facile aux maths. Les maths interviennent aujourd'hui dans tous les domaines. En littérature, dans la recherche approfondie, en histoire (exemple: les oeuvres de Cheick Anta Diop, etc.).
On a souvent affirmé que les Noirs ne sont pas faits pour les mathématiques qui seraient racistes?
G.W.J.: Non, les maths ne sont pas racistes sinon je ne serais pas là aujourd'hui. De même qu'il n'y a pas de discrimination sexuelle. Il faut être réaliste et comprendre que nous sommes de jeunes nations. Nous avons pris le même cheminement que les autres qui n'ont pas formé leurs cadres en un jour ni en 25 ans. C'est très important. La formation en mathématiques est continue. Le temps joue en notre faveur.
Pourquoi aviez-vous choisi d'être professeur de maths et non de français ou d'histoire-géo où on rencontre les femmes?
Je me pose moi-même cette question. Je ne peux pas dire que je suis née mathématicienne. J'ai suivi un cheminement qui m'a conduite vers les maths. Au fur et à mesure que je passais les étapes, je me disais pourquoi ne pas continuer. Aussi, il faut avouer que mon père était très exigeant et me suivait de près. J'avais foi en ce que je faisais. Mais il n'y a pas de don sans travail. Jusqu'en terminale, je ne savais pas encore ce que je voulais être. Mes parents voulaient que j'opte pour la médecine. Elle est au-dessus de mes capacités humaines. Je suis très émotive. Je travaillais en équipe avec des copines et on s'est dit: "pourquoi ne pas faire les maths" et nous nous sommes inscrites en prépa, pour "Fontenay-aux-Roses".
Un heureux hasard qui va vous faire obtenir, avant l'agrégation, de juin 1965 à octobre 1969, 12 certificats de l'enseignment supérieur dans des domaines variés: maths générales et physiques, mécanique générale, calcul intégral, théorie des nombres, etc. Vous êtes un exemple de réussite pour la femme africaine. Cette femme est-elle faite réllement pour les maths?
Elles sont douées, mais elles n'ont pas la possibilité d'aller plus loin. Dans leur vie de tous les jours, une femme qui arrive à jongler avec un budget si minime pour nourrir sa famille et qui ne fait pas de gâchis est une bonne gestionnaire. Je suis très heureuse que, de plus en plus, à l'université, les filles choisissent de faire les maths. Actuellement, il y en a même en maîtrise. C'est un premier pas important. Elles sont excellentes. Seulement, il faut les aider parce qu'elles ont des difficultés environnantes qui doivent être surmontées pour aller loin.
Une savante comme vous a-t-elle vraiment le temps de vivre sa vie d'épouse et de mère?
Et comment donc! J'ai rencontré mon mari à un bal d'étudiants alors que j'étais étudiante en maîtrise de maths et lui dans une école d'ingénieurs. Grâce à ses encouragements, trois ans plus tard, j'ai obtenu mon doctorat de 3e cycle et nous nous sommes mariés. Nous avons choisi de vivre ensemble après ses trois ans d'observation (1968-1976), voici 18 ans que nous sommes ensemble. Le respect de ses engagements, l'organisation, l'amour des siens, la grande famille à l'africaine peuvent vous faire soulever des montagnes et permettre de vivre sa vie d'épouse et de mère. Car de ce côté-là, étant donné que les mathématiques ont pour laboratoire le cerveau - si ce cerveau a des problèmes, on ne peut aller loin mathématiquement - l'attention et le cerveau d'une mère sont occupés par son enfant au moins pendant les 9 mois de la grossesse, et les 9 mois d'allaitement maternel, soit 18 mois par enfant, 9 mois pour 5 enfants, soit environ 8 ans. Huit ans où le laboratoire fonctionne au ralenti. Si ce laboratoire au ralenti pendant 8 ans, à sa réouverture, se trouve au même niveau qu'un ayant fonctionné à plein temps, celui de l'homme, alors tirez vous-mêmes les conclusions.
Vous êtes une femme toujours élégante, habillée avec recherche. Pour une femme aussi bardée de diplômes, c'est curieux.
J'avais un père très exigeant et soigné dans tout ce qu'il faisait. Il m'a éduquée dans ce sens. Il s'est toujours occupé de mon extérieur.
Que pensez-vous de l'apport de la femme dans la société africaine, son émancipation, son évolution?
La femme a toujours beaucoup apporté dans la tradition comme dans la maternité. Elle est épouse, mère, éducatrice, agent de développement économique et social. Elle a une part très importante dans le développement. Quant à son émancipation et l'évolution, elle ne peut suivre que l'émancipation et l'évolution de nos Etats. En ce qui nous concerne, le chemin est tout tracé par notre président de la République, son Excellence Félix Houphouët-Boigny qui a beaucoup fait et continue de faire pour l'émancipation et l'évolution de la femme.
Avez-vous une position sur la polygamie?
Je suis issue de parents polygames. Je pense que la polygamie, c'est la responsabilité de l'homme d'accepter d'assurer ses charges. Dans nos sociétés traditionnelles, l'homme savait quel était son rôle vis-à-vis de ses femmes, de ses enfants, de ses belles-familles, il avait des devoirs. En revanche, si être polygame aujourd'hui c'est avoir plusieurs femmes éparpillées, je n'appelle pas cela la polygamie. Une polygamie doit être responsable et pensée.
Avez-vous utilisé le fétiche ou consulté des lanceuses de cauris, etc?.
De mon adolescence jusqu'à mes diplômes universitaires j'étais en France, ce n'était pas l'époque où il y avait plein de marabouts dans les rues de Paris. La foi brise les montagnes.
Revenons à "Yao crack en math". Que doit retenir le lecteur moyen de ce livre et quelle a été la réaction des lecteurs?
Mon fils qui suscita cette bande fut le premier à la lire avant que je ne la dépose chez mon éditeur NEA (01 BP 3525 Abidjan). Son éclat de rire à chaque sketch était déjà un test positif. L'ouvrage a été accueilli comme mon fils le fit, avec des éclats de rire à chaque sketch. Dans l'ensemble, jeunes et adultes sont contents du livre. C'est un ouvrage de vulgarisation. A travers ce livre, chacun doit comprendre qu'il y a une situation de peur d'abord, aussi l'incidence que peuvent avoir les maths dans notre vie.
Dans un de vos skteches "Coup de franc mathématique?", à quoi voulez-vous en venir?
Le football est un jeu de stratégie. En math, nous avons une théorie des jeux qui dit comment optimiser son gain. On considère dans cette théorie la situation du footballeur, ou d'un match comme si on était en état de guerre. Quand deux équipes s'affrontent, on doit avoir une stratégie de jeu. Ce n'est pas pour rien si certains entraîneurs ont pu mettre sur pied des systèmes 4-2-4-, 4-3-3, 4-4-2, etc. Cela est issu de l'analyse stratégique du jeu.
Un dernier mot pour nos lectrices qui viennent de vous découvrir.
Je souhaite qu'en Afrique de nombreuses femmes se consacrent aux sciences (droit, physique, chimie, etc.). Si la femme veut, elle peut faire plus. Je félicite surtout "Amina" pour le progrès réalisé depuis sa création. C'est un instrument privilégié pour l'émancipation de la femme noire. Continuez de permettre aux femmes de toutes les couches sociales de s'exprimer. Bravo et merci à Amina! Toutes les femmes doivent vous soutenir!
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