Voici tout juste une année, Adrienne Yabouza a publié en France aux éditions Oslo dans la collection "Le temps qui passe" un premier roman, "La défaite des mères" Cela n'a rien d'extraordinaire sauf qu'Adrienne Yabouza est une femme simple, coiffeuse à Bangui; une femme qui n'a jamais fréquenté l'université, une femme veuve qui depuis toujours se bat pour survivre, à l'exemple de ces femmes de quartier dont on parle assez peu ... Après le succès de son premier titre, elle vient de récidiver et son deuxième roman "Bangui allowi" vient tout juste d'arriver en librairie. |
Dans ces deux livres, co-écrits avec Yves Pinguilly, Adrienne raconte essentiellement des histoires de femmes et pour ce faire, elle puise dans sa vie même. Née au lendemain des Indépendances, elle grandira dans le tumulte des changements brutaux de régimes, elle connaîtra la violence des mutineries et échappera de peu à la mort. Mariée très jeune, elle aura cinq enfants et se retrouvera veuve, seule dans les malheurs de la ville. De tous les tourments et des quelques bonheurs de sa vie, elle a fait une source d'écriture pour nous raconter l'Afrique néo-coloniale où le bonheur est loin d'être établi, où le mensonge, la corruption, les dictatures, limitent le développement.
Le roman "La défaite des mères" pourrait avoir pour titre "Une vie de femme en Afrique Centrale, du lendemain des indépendances à aujourd'hui. Le grand talent des auteurs est de nous raconter avec beaucoup d'humour une histoire qui à chaque chapitre ou presque nous met les larmes aux yeux. Pour ce faire, ils emploient une langue française complètement africanisée ! Toutes les métaphores, les néologismes et autres inventions langagières dont les capitales africaines sont si riches semblent se retrouver dans les pages. Rien d'académique ici, mais une langue vérité de la rue, une langue vérité du quartier: la vie même !
Adrienne Yabouza, que nous avons rencontrée dans sa petite maison du quartier populaire de Lakouanga, nous a dit : "L'écriture c'est une bonne sauce pour la vie... oui, la vie est comme le riz, elle a besoin d'une bonne sauce !" Les lecteurs africains et autres prendront plaisir à "manger" ou simplement à lire cette histoire de femme qui - excusez du peu - vient d'être sélectionnée pour le prix Escapade, à côté des romans du Guinéen Tierno Monénembo, du Malien Moussa Konaté et du Rwandais Gibert Gatore, prix qui sera décerné en mars 2010 en France.
Dans le deuxième titre, "Bangui allowi" avec un langage toujours libre-réaliste, langage dans lequel le sango centrafricain est encore venu provoquer la langue française, nous retrouvons Niwalie l'héroïne de "La défaite des mères" Cette fois, le roman devient un parent des grands contes fantastiques et la vie des femmes qui nous est racontée est caressée par bien des grandes croyances anciennes et modernes, vivantes dans L'Afrique d'aujourd'hui. Les grands mythes de la forêt où vivent les Pygmées, et les paroles des nouvelles Eglises de la ville se rencontrent dans Bangui, capitale de la République Centrafricaine.
Si ces livres semblent destinés en priorité aux femmes, les histoires qu'ils racontent sont suffisamment universelles pour séduire tous les publics et j'imagine que bien des femmes lectrices les offriront à leur mari.
Adrienne Yabouza ne compte pas s'arrêter là, elle prépare déjà un nouveau livre et a déjà rempli deux grands cahiers d'écolier, sur les pages desquels j'ai aperçu de belles et prometteuses ratures !
Rufin Souatondo