Kouméalo Anaté est née le 15 juin 1968 à Kazaboua, au Togo. Chercheuse à Bordeaux et docteur en Sciences de l'information et de la communication, elle est avant tout écrivain dans l'âme. Kouméalo a remporté le premier prix de poésie en 1994 au concours organisé par l'UNIFEM-Dakar, sous l'égide des Nations Unies pour l'Afrique de l'Ouest. C'est dire son talent. Elle est actuellement auteur de trois livres: "Frontières du jour" (recueil de nouvelles, Ana Editions, Bordeaux 2004), "Le Regard de la source", sujet principal de cette interview, et "L'écrit du silence" (poésie, Les belles pages, Marseille 2006). AMINA a décidé d'en apprendre plus sur cette jeune femme et sur son dernier ouvrage, "Le Regard de la source". |
Quel est votre parcours ?
Après le Bac A4 passé au lycée Saint-Athanase de Dapaong, j'ai continué les études à l'Université de Lomé où j'ai obtenu une maîtrise en Lettres Modernes et une licence en Sciences de l'Education. C'est en 1995 que je suis arrivée à Bordeaux pour y suivre une formation doctorale. Depuis 2004, je suis docteur en Sciences de l'information et de la communication. Actuellement, je suis vacataire dans l'enseignement (Académie de Bordeaux) et dans la recherche. Je collabore en l'occurrence à la gestion d'une base de données en littérature africaine (LITAF), et je participe à plusieurs programmes de recherche à I'Université de Bordeaux 3.
Comment vous est venue l'idée d'écrire ce livre ?
"Le Regard de la source" est un livre que je porte en moi depuis toujours. Je suis très sensible à toutes les grandes questions et aux souffrances qui touchent l'homme. Et je suis constamment révoltée par toutes sortes d'injustices. J'ai remarqué aussi qu'il existe une certaine pudeur face à la souffrance. Beaucoup d'hommes et de femmes souffrent en silence et ont peur de parler de ce qu'ils vivent, surtout quand cela peut être considéré par certains esprits comme quelque chose de "sale", d'humiliant, voire de déshumanisant. Je pense non seulement aux femmes battues, mais aussi au viol, à l'inceste, etc. Je ne pouvais donc pas ne pas écrire ce livre qui s'imposait à moi. Si vous ouvrez les yeux, vous verrez qu'autour de vous il y a beaucoup de personnes qui vivent ces drames.
Pourquoi ce titre, "Le Regard de la source" ?
Le titre du roman m'a été inspiré par la problématique même du roman. Il est beaucoup question de regards et de quête de soi dans chacune des histoires qui traversent l'œuvre : des regards qui dévorent, détruisent anéantissent mais aussi des regards vrais, généreux, libérateurs, etc. L'une des philosophies sous-jacentes dans le livre, c'est que, même lorsque le regard des autres nous juge ou nous blesse, lorsque notre propre regard nous condamne, il existe toujours quelque part un regard qui peut nous libérer, nous guérir et nous permettre de nous réaliser pleinement.
Quel est le contenu du livre ?
Dans ce roman il y a une histoire principale, celle de Médé femme battue qui vit mal la perte de son enfant et de son mari , mais également plusieurs histoires collatérales qui se reflètent. Je ne vais pas raconter le roman, cependant, pour donner une petite idée au lecteur, je dirai qu'il s'agit de trois femmes qui se cherchent et essaient de se reconstruire après avoir connu des parcours tragiques. Mais elles empruntent finalement des trajectoires différentes. Médé, quant à elle, rencontre un homme Hèzu, médecin et thérapeute , qui entreprend de faire le voyage avec elle. Voyage intérieur. Voyage dans l'espace. Voyage dans le temps. Ils décident d'aller à la recherche d'une source. Le chemin n'est pas sans obstacles. Est-ce qu'ils vont atteindre la source ? Jusqu'où iront-ils dans leur quête ? Que représentent-ils l'un pour l'autre ? D'autre part il y a dans ce roman un jeu de miroir entre la souffrance psychologique des personnages et la crise socio-politique qui secoue fortement le pays.
Quel est le style littéraire du livre ?
Je ne sais pas s'il faut parler d'un style... On pourrait plutôt parler des styles car certains lecteurs trouveront que c'est un roman à la fois intimiste et réaliste, d'autres parleront de roman philosophique et sociologique. Au-delà de toutes ces considérations, beaucoup qualifient mon style de kafkaïen. C'est très flatteur pour moi.
Quels y sont les thèmes abordés ?
Les thèmes abordés sont multiples. Je parle de violence physique et psychologique notamment pour les femmes violées ou battues , l'enfance, la quête et la reconstruction de soi, l'amour, le regard, l'hospitalité, la maladie, les thérapies traditionnelles, les dérives politiques, etc.
Votre livre délivre-t-il un message ?
Si on peut parler de message, je dirai que le livre véhicule un message d'espoir et de vie.
Est-ce que le lecteur peut trouver, dans votre livre, votre propre expérience personnelle ?
On laisse toujours une part de soi dans ce que l'on écrit. Il y a effectivement des passages pour lesquels je me suis inspirée de mon expérience personnelle et de ce que j'ai pu observer chez des personnes de mon entourage ; toutefois il ne s'agit pas d'une autobiographie.
Avez-vous rencontré des difficultés pour écrire ce livre ?
Je n'ai pas rencontré de difficultés particulières pour l'écrire. Par contre, ce n'est pas toujours évident de garder la distance nécessaire, émotionnellement parlant, lorsqu'on traite de drames humains. Un lecteur m'a dit : "On voit que tu écris avec ton cœur". Il a raison car pour moi, il ne peut en être autrement : écrire et parler avec son cœur.
Où peut-on se le procurer ?
Le livre est en librairie mais on peut aussi trouver des sites sur Internet pour le commander.
Quel est son succès jusqu'à présent ?
Le livre est très bien accueilli, les retours sont très positifs. Plusieurs personnes se sentent fortement interpellées par "Le Regard de la source", soit parce qu'elles retrouvent des bribes de leur propre histoire, soit parce que l'actualité et la gravité des thèmes abordés ne les laissent pas indifférentes. Il semble également que j'aie une écriture simple et facile à lire, au point que certaines personnes disent que le roman est écrit comme un conte.
Avez-vous tout dit ?
Il s'agit d'une fiction, d'une production romanesque avant tout. L'objectif n'est donc pas de dire et encore moins de tout dire. Si vous m'interrogez sur les thèmes abordés, je vous dirai que je les ai à peine effleurés. Ce serait prétentieux de croire qu'on peut épuiser un sujet. Il y a encore de la matière pour écrire autant de livres qu'on souhaite.
Un mot pour conclure ?
Je vais conclure en reprenant les propos d'un personnage, dans le roman, qui dit qu'en fait chaque être humain est une construction : il y a un peu de soi, un peu de chaque vie que nous traversons et de chaque vie qui nous traverse. Juste pour dire que nous sommes finalement dépendants les uns des autres, par conséquent les autres nous sont indispensables dans notre cheminement.
Propos recueillis
par Lionel Pires