LA CUVÉE 1990 DE LA PRODUCTION LITTÉRAIRE SÉNÉGALAISE VIENT DE S'ENRICHIR DE DEUX TITRES DÛS À DES FEMMES. "REFLETS DE MODES ET TRADITIONS SAINT-LOUISIENNES" PAR NIANG FATOU NIANG SIGA ET "LE DARD DU SECRET" PAR SOKHNA BENGA |
Ces deux livres sont le produit des Editions Khoudia qui est une filiale du centre africain d'échanges culturels (CAEC) fondé et dirigé par Aminata Sow Fall qui est elle-même l'un des écrivains les plus en vue du Sénégal (Siège, HLM Fass Paillotes Tél. 21.10.23)
Les deux femmes qui viennent de publier ces deux livres ne se ressemblent pas beaucoup. L'une, Niang Siga est institutrice à la retraite alors que Sokhna Benga est une étudiante en droit de 22 ans. On peut dire qu'elles se complètent.
Dans "Reflets de modes et traditions Saint-Louisiennes" il est question surtout des coiffures des femmes Saint-Louisiennes liées au mariage et au baptême. Ce mot baptême étant d'ailleurs impropre, car il s'agit de donner un nom à l'enfant et non un sacrement. Cependant l'auteur remonte assez loin au 19ème siècle pour parler des origines des coiffures tant féminines que masculines. Il y a non seulement la façon de s'arranger la chevelure, mais celle aussi de porter le foulard pour les femmes ou le bonnet, le chapeau européen ou africain, le turban. Cela va des belles lingères qui suivaient les fanals la nuit de Noël jusqu'aux Saint-Louisiennes modernes qui consultent "Amina" et autres revues pour se tresser à la mode. La mode vestimentaire n'est pas non plus absente. Pour les hommes, on peut dire que les grands boubous et autres sabador n'ont pas beaucoup changé. Quant aux femmes, on sent que depuis deux siècles, les Saint-Louisiennes étaient écartelées entre imiter les peulhs et les mauresques et imiter les européennes. La même remarque vaut pour la façon de s'arranger les cheveux.
Notons que Niang Siga a profité de son livre pour y insérer des poèmes en ouolof ou en français, poèmes de mariage, pour le don du nom à l'enfant ou pour le fanal. C'est un livre qui demande une adaptation à la langue francaise pour ces textes en ouolof afin d'être un instrument de compréhension de la culture Saint-Louisienne par des étrangers non sénégalais. Le livre pour moi est un chef d'oeuvre qui pourrait avoir une édition de luxe pour cadeaux.
En refermant le livre de Mme Niang Siga on pense aussitôt à la possibilité de créer un musée montrant ces modes et ces traditions. Au Niger à Niamey on a bien pu le faire, et il y a toujours beaucoup de monde à visiter ce musée populaire, pourquoi pas à Saint-Louis?
Sokhna Benga, elle, a écrit un roman avec "Le dard du secret". C'est un roman qui tourne autour de l'amour et de la mort. On y voit le véritable amour: maternel, paternel, filial ou entre deux époux qui s'aiment comme Ibou et Aïta. Seulement, il y a aussi l'envers du décor: la caricature de l'amour qui est la prostitution et la maîtresse "2ème bureau", etc... La mort est aussi présente dans ce livre, non seulement la mort normale d'êtres chers mais la mort violente dûe au désespoir ou à la malice des hommes. Et l'inceste vient couronner le tout. C'est un livre bien écrit, dont l'action est bien soutenue.
Tout commence par un tableau surréaliste: Julien et Elizabeth jeunes mariés ont chez eux Khardiata, une jeune fille amie d'Elizabeth. Tout va bien jusqu'au jour où ce qui devait arriver arriva: l'épouse surprit son mari et son amie dans le même lit. Prise de désespoir, elle se suicide. Khardiata fuit. Julien se trouve seul avec un garçon de 3 ans et une fille de deux jours qu'il court confier au village. Le garçon, Alpha et la fille Aïta grandiront chacun de son côté sans jamais se voir et sans même être au courant de l'existence de l'autre. D'où le drame d'Oedipe adapté par Sokhna Benga à la situation: Alpha et sa soeur Aïta se marieront, auront deux enfants et auraient vécu heureux s'il n'y avait pas eu Emma et la prostitution, Julien, Bec et les autres avec la drogue et son milieu sans pitié. Drogue, prostitution, chantage amèneront la révélation du secret à Aïta alors enceinte pour la troisième fois: de honte et de désespoir elle se suicidera. Julien en voulant savoir qui a osé révéler ce secret tombe sur Emma, sa maîtresse que la police vient cueillir pour trafic de drogue, mais il découvre en même temps que les lettres anonymes venaient d'un de ses pires ennemis. L'un d'eux doit mourir, ce sera Julien qui recevra 3 balles dans la tête, mais on dira dans le journal que "sa voiture a percuté un arbre..."
Ce livre a obtenu le grand prix de la commune de Dakar. L'auteur passe en revue la vie au village, dans une ville moyenne comme Kaolack et dans la capitale Dakar. Je pense que, dans une réédition dans quelques années, Sokhna Benga devrait insister plus sur ce qui rythme la vie à la campagne. Comme elle l'a déjà fait, elle a parlé des semailles, de la récolte et de la pluie bienfaisante dans le Sahel. Mais comme elle a des personnages musulmans et chrétiens et dans la région de Fatick, elle n'aurait pas dû oublier la musique et l'église qui rythment la vie des campagnes à côté de l'arbre à palabres dont elle a parlé avec talent. Les fêtes liées aux religions sont très importantes également. Tout cela pour comprendre encore mieux les caractères des personnages. Elle parle bien des divinités animistes, mais pas des religions révélées. Nous avons recontré Melle Sokhna Benga qui a bien voulu répondre à nos critiques et à la critique et nous parler d'elle-même.
Comment avez-vous fait pour écrire un livre à votre âge (22 ans) et avec vos études de droit?
Je peux vous dire que c'est l'inspiration. C'est venu comme cela. Je l'ai écrit une première fois à 13 ans alors que j'étais en 5ème à la Maison d'éducation Mariama BA à Gorée. Mais déjà à 11 ans, toujours à Gorée j'ai écrit une pièce de théâtre qui n'a pas encore été publiée et que je n'ai pas fait jouer non plus. J'ai donc gardé "Le dard du secret" et je l'ai retouché tranquillement au cours des années avant de le soumettre à la lecture. J'ai d'ailleurs en chantier d'autres romans.
On vous aurait crue en faculté des lettres plutôt qu'en droit.
Je ne me suis jamais sentie attirée par les études de lettres, bien que j'aie fait cinq ans de latin. Je désirais faire administration économique et sociale mais il n'y a pas cette branche ici et c'est pourquoi je fais le droit. Cependant, je lis énormément.
S'agit-il d'événements imaginaires ou bien est-ce qu'il y a une base historique à votre livre?
"Le Dard du Secret" est un livre entièrement imaginaire, un roman qui ne repose sur aucun fait réel.
Vous connaissez l'histoire d'Oedipe de la mythologie grecque. N'est-ce pas un peu une adaptation sénégalaise du sujet universel de l'inceste?
Oedipe? Quand j'écrivais le livre je n'avais même pas entendu parler d'Oedipe. Ce n'est qu'après, dans les grandes classes que j'en ai entendu parler. Dans les milieux où je vis on est plutôt choqué par l'inceste, et on ne comprend pas que cela puisse exister. Mais dans mon livre, l'inceste d'Alpha et de sa soeur Aïta provoque de la commisération car cela est arrivé malgré eux, dans l'ignorance complète de leurs liens de parenté. Ils ne se connaissent même pas.
Est-ce qu'il est très africain, très sénégalais d'exprimer fortement ses sentiments entre parents et enfants et entre frères et soeurs comme c'est le cas dans votre livre?
Je pense que les Africains, les Sénégalais aiment bien que le parent, le frère, la soeur sachent que l'on a de l'amour pour lui. Moi je ne cache pas mes sentiments envers mes parents. Je ne vois pas pourquoi je ne dirais pas à ma soeur que je l'aime. Je pense qu'il en est de même pour les autres.
Vous écrivez en page 60: «Maï avait toujours été une paresseuse. Elle détestait le mariage, les enfants, le travail ménager, les trois sources d'aliénation de la femme», disait-elle. Quelle est votre opinion? Militez-vous avec les féministes?
Le mariage, les enfants et le travail ménager c'est ce qu'on pourrait appeler le rôle traditionnel de la femme et je ne les déteste pas personnellement. Cependant, je pense qu'il faut y ajouter du modernisme. Par exemple, étudier et ensuite embrasser une carrière selon ses possibilités. En outre, il faut ménager à la femme des loisirs. Si partout on parle de l'allègement des travaux ménagers pour les femmes, si on donne aux villages des moulins à mil, si on creuse des puits, c'est que cela diminue la fatigue des femmes surtout en milieu rural. Et cela est une très bonne chose. C'est même le meilleur moyen de rendre le mariage plus attrayant. Cela permet à la femme de s'épanouir. Je pense donc qu'il faut tout faire pour que la femme, même dans son rôle traditionnel ne soit pas écrasée, mais puisse s'épanouir.
Mais je ne suis pas féministe et ne fais pas partie des mouvements féministes. Je respecte les féministes et je pense que chaque homme et chaque femme sont libres de mener leur vie comme ils l'entendent pourvu qu'ils sachent assumer les conséquences de leurs actes.
Pour vous qu'est-ce que le mariage?
Tout d'abord, j'espère bien me marier un jour et je considère que c'est la meilleure des choses qui puisse m'arriver un jour. Mais je veux un mari pieux, compréhensif et ambitieux. Il faut qu'il soit pieux pour lui-même, compréhensif envers moi et ambitieux pour nous deux. Je peux vous dire qu'étant moi-même pieuse, croyante et pratiquante je tiens à un mari qui mette la religion parmi ses préoccupations.
De toute façon, je vais réfléchir à deux fois avant de m'engager parce que je considère le mariage comme quelque chose de sérieux. Je ne me marierai pas pour divorcer le lendemain. Il faut évidemment que mon futur mari m'accepte avec mon métier d'écrivain et ses contraintes.
Dans votre livre, Aïta épouse d'abord Ibou qui est d'un niveau inférieur intellectuellement. Est-ce que cela n'est pas source de difficultés?
Je ne vois pas de problème à me marier avec quelqu'un d'un niveau d'études inférieur à moi. L'important n'est pas son bagage intellectuel. Il faut que j'éprouve un vrai sentiment d'amour pour celui que j'aurai accepté comme mari.
Vous abordez aussi dans votre livre, le milieu de la drogue avec ses problèmes. Que pensez-vous de ce fléau?
C'est exact, je pense que la drogue est un fléau, et comme tel je pense qu'il faut lutter contre. Et j'ai montré les gros trafiquants parce que ce sont eux qu'il faut combattre pour empêcher les petits consommateurs de se procurer la drogue. J'ai voulu montrer aussi la perversité de l'argent si on oublie sa dignité humaine. Et quand l'homme perd sa dignité c'est à la déchéance qu'il va et même la société peut aller à la déchéance.
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