Toujours en avance d'une idée, l'écrivaine camerounaise Calixthe Beyala a encore créé l'événement en se lançant dans un nouveau combat : diriger pendant quatre ans la Francophonie... Rien de moins ! Sa candidature, aussi surprenante qu'originale, pourrait bien intéresser quelques chefs d'État à qui elle a écrit pour demander leur soutien. C'est en octobre prochain, à Beyrouth, lors du IXe Sommet de la Francophonie, que le nom du successeur de Boutros Boutros Ghali sera connu. Déjà, la lauréate du Grand Prix de l'Académie Française a un programme bien ficelé. Son cheval de bataille : faire de l'organisation francophone un instrument au service du plus grand nombre. Et dans le même temps, lui donner un petit coup de jeunesse. Interview. |
Vous êtes candidate au poste de Secrétaire général(e) de l'Organisation Internationale de la Francophonie. Est-ce une candidature de témoignage ou y croyez-vous vraiment?
J'y crois vraiment parce que la francophonie est en train de changer et l'Afrique aussi. Je pense qu'il est temps que nous démontrions qu'il existe une nouvelle génération d'hommes et de femmes brillants et intègres qui sont capables de diriger une organisation comme celle-ci. Et de l'amener au triomphe qu'elle mérite. Car à ce jour, on peut constater que la Francophonie n'existe pas, il s'agit d'un mot creux. Institutionnellement, l'organisation existe, mais elle ne vit pas. Si vous allez poser la question dans la rue, personne ou presque ne saura vous dire ce qu'est la Francophonie. Or, il s'agit d'un instrument important de démocratisation et de développement des pays, de solidarité et d'échange entre le Nord et le Sud. Avoir une langue en partage ne signifie pas seulement la parler, il convient aussi de cultiver et de développer un lien particulier. Je suis prête à relever ce défi et à créer cet espace d'échange tel qu'il a été pensé par Senghor.
Quels avantages pensez-vous avoir sur vos concurrents ?
Je suis une candidate aimée du monde francophone, ce qui n'est pas le cas de mes adversaires. A travers moi, les jeunes francophones s'identifient fortement. Je leur ressemble, j'ai leur esprit : dynamiques, travailleurs, décomplexés, simples, croyant en l'avenir du continent noir et en la Francophonie. En outre, je ne viens pas avec des idées préconçues, mais avec un programme novateur. Ma démarche est également plus démocratique et plus claire : elle consiste à solliciter le soutien des chefs d'État et non pas être, dès le départ, choisie par eux.
Par ailleurs, j'ai déjà montré mon efficacité sur le terrain francophone, non seulement à travers mon écriture, puisque j'ai défendu la francophonie un peu partout dans le monde, mais également à travers mes actions sociales. Ce qui n'est pas le cas de mes adversaires. Avec le "Collectif Égalité", j'ai mené des combats de justice sociale qui, normalement, devraient être menés par la Francophonie institutionelle. Au début de l'année 2000, j'ai lancé l'Appel des femmes de la francophonie contre le Sida. Cet appel a été soutenu par Boutros Boutros Ghali, des femmes de chefs d'État, des intellectuelles, des ministres... Depuis, le Sida est devenu une des préoccupations des dirigeants du continent noir.
Autre originalité de votre candidature : vous avez conçu un programme très détaillé. Quelles en sont les grandes lignes ?
Je vais dépasser le cadre des États pour développer une Francophonie des Nations, véritablement populaire. Et rendre cet instrument aux hommes et aux femmes de la rue. Pour l'instant, on a l'impression qu'elle est confisquée par des pouvoirs, alors que la Francophonie doit être incarnée par ses peuples. Et je suis prête à faire ce travail pour que chaque francophone se sente francophone dans cet espace et se sente partout chez lui. Par exemple, notre programme prévoit qu'il n'y ait pas de francophone sans-papier : c'est inadmissible et pas logique. Nous nous proposons d'octroyer des bourses, de créer des hôpitaux, d'organiser de grandes opérations "Sidathon", d'obliger les États à appliquer la démocratie sur le terrain. Pour que ce ne soit pas que des effets d'annonce, la Francophonie sera là pour suivre et aider à la mise en place de cette démocratisation, sur le continent africain, notamment.
Vous avez, semble-t-il, déjà effectué des misions pour le compte de la Francophonie. Que voudriez-vous changer dans cette "Maison" ?
Dans un premier temps, on peut constater qu'il n'y a pas de coordination réelle entre la rue de Bourgogne (Siège de l'OIF, ndlr) et le quai, de Grenelle (siège de l'Agence de la Francophonie, ndlr) de sorte qu'on a l'impression que les actions menées de part et d'autre n'arrivent pas à prendre corps. Le deuxième aspect vient du fait qu'ils n'ont pas une vision populaire de la Francophonie. Les colloques intéressent quelques chercheurs, mais jamais les populations. Il y a aussi un gaspillage d'argent énorme lors de ces colloques où les mêmes personnes se retrouvent, tous les deux ou trois mois, sans résultats concrets sur le terrain. Cette Institution est devenue un lieu de non-vie. C'est pour cela que je me présente.
Vous avez écrit à plusieurs chefs d'État africains. Pensez-vous qu'ils vous soutiendront ?
J'espère que je serai soutenue par les chefs d'État. En tout cas je le souhaite, car je pense qu'ils savent que je suis efficace. Et que ce serait pour l'Afrique une bonne chose. Je crois en leur honnêteté et je pense qu'ils vont me soutenir. Peut-être pas tous, mais certains chefs d'Etats en avance, qui aiment le continent, ne devraient pas hésiter à m'apporter leur appui.
Pensez-vous que l'arrivée d'une femme à la tête d'une telle organsiation puisse changer profondément son fonctionnement ?
Nous avons l'intention, comme en témoigne notre projet, de changer radicalement la Francophonie. Elle sera dans la rue, dès l'instant où notre équipe prendra la direction. Si jamais cela arrivait, elle ne serait plus une "Francophonie des bureaux". Elle sera dans la rue à s'occuper des problèmes concrets du monde francophone. De la misère, des écoles, des hôpitaux...
Vous avez une adorable petite fille. Si vous deviez écrire quelque chose du type : "La Francophonie expliquée à ma fille", que lui diriez-vous ?
Vous me prenez au pied levé ! (sourire). En tout cas, je lui dirais quelque chose dans le genre : "Il était une fois un instrument magique mis dans la main des hommes qui pouvaient le détruire. Un jour, est arrivée une femme, elle était si petite, si petite que personne ne pensait qu'elle pouvait même marcher. Tous la méprisèrent. Pourtant, malgré son manque de jambes, elle rampa jusqu'à l'instrument, le prit dans ses mains et en fit une étoile...".
Propos recueillis
par Renée Mendy-Ongoundou